15 février 2023

Les pépites de la Folle Journée de Nantes

Faire émerger des jeunes talents, les accompagner dans leur carrière, leur trouver des dates de concert, c’est l’une des marques de fabrique de la Folle journée de Nantes. La 29ème édition n’a pas failli à cet objectif. Elle a révélé quelques pépites.

Les pépites de la Folle Journée de Nantes

15 Fév 2023

Faire émerger des jeunes talents, les accompagner dans leur carrière, leur trouver des dates de concert, c’est l’une des marques de fabrique de la Folle journée de Nantes. La 29ème édition n’a pas failli à cet objectif. Elle a révélé quelques pépites.

    « Je fais très peu de publicité. C’est le contenu qui fait la réputation de la Folle Journée ». En s’adressant ainsi aux directeur·rices de théâtre et de festivals de musique invité·es dans le cadre d’une journée réservée aux professionnel·les, René Martin, le chef d’orchestre de cet évènement phare, donne une des clés de sa réussite.

Ouvrir la musique classique à de nouveaux publics, la croiser avec d’autres styles musicaux comme le jazz ou les musiques actuelles, rendre accessible des œuvres parfois difficiles avec de la pédagogie. C’est ainsi que ce programmateur affûté et curieux arrive à déplacer 120 000 personnes en cinq jours à la Cité des Congrès.

La note bleue de Paul Colomb

Le Bleue Quintet de Paul Colomb Photo@SEKA

Le meilleur exemple de ces choix audacieux, c’est la présence de Paul Colomb avec son quintet de violoncelle composé par Justine Métral, Frédéric Deville, Michèle Pierre, Amandine Robillard, Louis Rodde et Grégoire Korniluk. Formé dans les conservatoires de Saint-Nazaire et Nantes, puis à la Haute École de Musique de Lausanne, le jeune compositeur se revendique du courant néo-classique.

Paul Colom utilise le violoncelle sous toutes ses formes en mélangeant musique classique, musiques actuelles, musiques improvisées. Résultat : sur scène, il sort avec ses acolytes des sons étranges, envoûtants, aux allures rock voire punk. Il plonge les spectateur·ices dans les mystères de l’Inde avec son morceau original intitulé Bangalore. Bref, il surprend, il étonne, il intrigue.

    « Ce que vous entendez, c’est du violoncelle à 100% » lance Paul Colomb au début de sa prestation avant d’avouer : « Avec un peu d’amplification électrique ».

Du violoncelle, certes, mais avec quelques tours de passe-passe qui méritent des explications.
« J’utilise des pédales pour créer différents effets » précise –t-il « Un effet de réverbération qui donne l’impression d’être dans une cathédrale, un effet de distorsion, comme une guitare électrique, qui est produit en saturant le son et j’ai aussi la possibilité de jouer sur les délais pour retarder les sons émis ».

Mais ce n’est pas tout. L’artiste éclectique a une botte secrète. Des sons qu’il enregistre à l’avance sur un ordinateur et qu’il triture dans une dizaine de machines, en les compressant, en jouant sur les niveaux sonores, pour donner un effet électronique. Du grand art au service de compositions mélodiques et improvisées.

Le Fado

Autre belle découverte : le fado de Duarte. Sur scène, les chants mélancoliques du portugais séduisent un public très à l’écoute des nouveautés. Pas besoin de traduire les paroles pour comprendre qu’il y a beaucoup de générosité chez ce troubadour des temps modernes. Son spectacle est une invitation au voyage et les deux guitaristes qui l’accompagnent, Pedro Amendoeira et Joao Filipe, créent une atmosphère langoureuse. Changements de rythmes, envolées lyriques et surtout un son spécial : celui de la guitare portugaise aux accents de mandoline.

Le trio SR 9

Avec ce trio de marimbas lyonnais, le public est transporté dans un univers irréel. Tous vêtus de blancs, tels des cosmonautes sortis d’une autre planète, Paul Changarnier, Nicolas Cousin et Alexandre Esperet, semblent jongler avec leurs instruments. Dans leurs mains, différentes sortes de baguettes font tinter les touches de leur sorte de grands xylophones.

Ils se balancent lentement et avec précision, comme au ralenti, le long de leurs claviers. De leurs marimbas sortent des sons doux et harmonieux, aux couleurs chaudes et joyeuses, comme des vagues dans un mouvement perpétuel. À la Folle Journée, le trio SR 9 s’est produit avec l’originale Kirie Kristmanson et il a revisité, entre autre, le Gaspard de la Nuit de Maurice Ravel. Une merveilleuse découverte.

Folle journée 2023 à la cité des congrès de Nantes le thème cette année est l’Ode à la nuit.
Les itinérantes trio à capella
photo : Marc Roger / CREA

Les Itinérantes

Autre pépite : les Itinérantes, trois femmes qui chantent a capella dans une quarantaine de langues, en letton, en japonais ou en hongrois. Leur répertoire va de la Renaissance aux Beatles en passant par le jazz. Bref, elles aiment voyager dans le temps et dans l’espace, d’où leur nom : les Itinérantes.

Pour célébrer la nuit, thème central de cette édition, elles sont apparues déguisées en fées. Elles sont entrées dans la salle obscure, une lanterne à la main pour éclairer la pénombre et elles ont transporté le public dans leur monde invisible, celui de la magie et de la nuit.

« Écoutez, regardez avec vos oreilles et ouvrez votre cœur » ont-elles lancé avant d’entamer leur douzaine de berceuses. Médusé, l’auditoire a bu avec attention toutes leurs formules abracadabrantesques. Il a suivi leur cheminement ésotérique, plongé dans le noir, juste éclairé par les faibles lueurs orangées de leurs bougies. Une belle balade onirique.

Le Geister Duo

Plus classique mais non moins intéressant : le piano à quatre mains de David Salmon et Manuel Veillard. Voilà 10 ans que les deux jeunes pianistes jouent ensemble. Il suffit de les écouter pour observer leur complicité. David, imperturbable, tel un roc, assure le rythme d’un son puissant tandis que Manuel, tel un torrent dévalant de la montagne, joue les virtuoses. Avec eux, tout semble si simple et pourtant l’exercice est compliqué.

« Quand on joue à deux sur un même piano, on se gêne. Il y a parfois de frictions » reconnait Manuel Veillard. « C’est pour çà qu’il faut bien s’entendre » ajoute David Salmon.

René Martin , découvreur de talents

Tous ces artistes sont révélé·es par un programmateur toujours à l’affût des tendances nouvelles, René Martin, le directeur artistique de la Folle Journée.

    « Je n’ai pas le temps d’aller écouter tous les concours de musique » confie René Martin. « Mais j’ai un très bon réseau. Je connais les meilleurs professeurs des plus grands conservatoires du monde. Quand ils ont un élève prometteur, ils me le signalent avant qu’ils ne ne soient repérés par des prix d’excellence ».

Et ce n’est pas tout. Il observe aussi les phénomènes qui émergent sur internet. Voilà pourquoi il a souvent un temps d’avance sur les autres.

Les 4 mousquetaires de la Folle Journée
de gauche à droite : Denis Caille, directeur de la Cité des congrès, René Martin, directeur du CREA, Aymeric Seassau, maire adjoint à la culture, François Gabory, directeur culture à la Cité des Congrès

Une journée pro sur le modèle du Chaînon Manquant

Pour aider ces jeunes talents à construire leur carrière, il a même mis en place une journée spéciale pour les diffuseur·seuses de spectacle. C’est François Gabory, le directeur culture de la Cité des Congrès de Nantes, qui lui a soufflé l’idée.

Ce militant des saltimbanques préside par ailleurs le Chainon Manquant, une association qui, depuis 30 ans, repère les artistes et leur construit une programmation culturelle équitable et solidaire. Le principe est simple : chaque année, un festival est organisé à Laval. Les artistes viennent présenter leur spectacle. Les programmateur·rices font leur marché et préparent leurs tournées.

    « Le réseau Chainon a révélé des chanteurs comme Matthieu Chedid, Jeanne Chérhal, Bénabar, San Séverino » indique François Gabory.
À la Folle journée, une trentaine de programmateur·trices ont bénéficié d’un tarif de concert à cinq euros pour voir plusieurs spectacles sur une journée. L’initiative a été appréciée.

    « Aujourd’hui, c’est un marathon. Je vais aller écouter six récitals de piano » indique celui qui se fait appeler Pedro, le chargé de mission du spectacle vivant à Beauvais. « Mon métier consiste à veiller sur l’émergence des talents. Ici je viens repérer des jeunes mais je ne leur signerai pas forcément un contrat tout de suite ».

Pour lui, la Folle Journée est un rendez-vous incontournable. « Je vais me poser pendant trois jours et rencontrer des tas d’agents artistiques. Ça humanise les rapports et çà me change de mon quotidien ».

La plupart du temps, Pedro est au téléphone ou devant un ordinateur pour organiser ses tournées. Là, il a l’impression d’être dans une « bulle ».

Même objectif pour Estelle Beauvineau, la directrice des Rendez-vous de l’Erdre. Elle vient écouter Paul Lay, l’excellent pianiste de jazz qui a imaginé un voyage dans le New-York des années 1950 avec Thélonious Monk, Charlie Parker, Miles Davis.

« Le public qui vient au Rendez-vous de l’Erdre est curieux » affirme Estelle Beauvineau. « Il a envie d’être surpris. Alors je viens voir si ce que propose la Folle Journée peut coller avec leurs attentes ».

La Folle Journée hors les murs

Vous l’aurez compris, la Folle Journée est un festival de découverte très prolifique. Et il ne sévit pas qu’à la Cité des Congrès. Il s’est décentralisé en région depuis 20 ans et encore plus cette année en organisant une scène mobile qui s’est déplacée dans des petites communes rurales.

Il s’est installé sur la passerelle de la gare sud de Nantes pour des concerts à minuit. Il s’est échappé le temps d’un après midi sur deux lignes de tram du réseau TAN. La musique classique hors les murs des salles de concert, c’est une autre caractéristique de la Folle Journée et peut-être l’objet d’un autre reportage sur ce phénomène unique en son genre dans la musique classique.

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Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017