11 avril 2022

Les élèves du lycée Joubert Maillard se confrontent à la réalité du journalisme

Une classe de seconde du lycée ancenien Joubert-Maillard a été accompagnée par l'association d'éducation aux médias Fragil de février à mars 2022. Pendant 6 séances, les élèves ont découvert la pratique journalistique, créé un média collaboratif à propos de la lutte contre la haine en ligne et publié leur premiers reportages.

Les élèves du lycée Joubert Maillard se confrontent à la réalité du journalisme

11 Avr 2022

Une classe de seconde du lycée ancenien Joubert-Maillard a été accompagnée par l'association d'éducation aux médias Fragil de février à mars 2022. Pendant 6 séances, les élèves ont découvert la pratique journalistique, créé un média collaboratif à propos de la lutte contre la haine en ligne et publié leur premiers reportages.

« Ça m’a permis d’apprendre à faire des articles et à réfléchir sur mes actes et ceux des autres« , confie une élève de seconde du lycée ancenien Joubert-Maillard à l’issue du projet de création de média qui dure depuis cinq semaines. Encadrée par l’association nantaise Fragil, cette classe de seconde a pu, pendant 12h d’ateliers, découvrir la pratique du journalisme en créant un média collaboratif sur Instagram : @findonepeace.

Le compte @findonepeace créé par la classe de seconde de Joubert Maillard.

La « haine en ligne », ligne éditoriale du média

Ce projet, initié à la demande du lycée Joubert Maillard, s’appuie sur l’expérience de l’association Fragil en terme de création de média. Depuis quelques années, l’association nantaise propose d’encadrer des groupes dans la création de médias collaboratifs sur les réseaux sociaux. La thématique choisie par l’établissement, « la haine en ligne », a permis aux élèves de réfléchir et débattre lors d’une séance dédiée de deux heures. Cyberharcèlement, trolls, modération, cybersexisme… autant de sujets qui ont été évoqués et discutés entre élèves grâce à différents supports. « On n’harcèle pas quelqu’un parce que cette personne a parlé d’un forum« , s’insurge un élève, choqué de découvrir l’histoire de cyberharcèlement de la journaliste Nadia Daam lors d’un quiz de culture générale centré sur cette thématique.

Découvrir le journalisme par l’expérience

Afin de permettre aux élèves de réaliser des reportages en lien avec la ligne éditoriale, deux séances de deux heures ont été dédiées à la découverte de la pratique journalistique et à sa critique.  La question de la neutralité journalistique a par exemple été évoquée lors d’un débat mouvant. « Il faut qu’un journaliste soit neutre, c’est son métier » assènera un élève qui découvrira quelques minutes plus tard la difficulté de rester objectif quand il lui sera demandé d’animer un temps de débat avec ses camarades « c’est dur de pas donner son avis quand on anime« . L’auto-censure a pu être évoquée dans un autre temps pendant lequel il était demandé aux élèves d’aller prendre des photos dans leur lycée pour répondre à une des questions suivantes :  » Le lycée est-il moderne ? », « Le lycée est il accueillant? » ou encore « le lycée est il dangereux ? ». En revenant de leur photo-reportage, un élève illustrera la puissance de l’auto-censure face à une institution en témoignant devant le groupe : « On ne savait pas si on avait le droit de dire que le lycée n’était pas très accueillant ».

Créer un média collaboratif

« Qui lit le journal du lycée ?« , demande l’animateur. Le silence de la réponse collective est parlant. S’informant principalement à travers les réseaux sociaux, les élèves entretiennent un rapport distant avec les médias traditionnels et l’information locale. Ainsi, après avoir débattu du meilleur support pour que leurs reportages soient vus et lus par leurs pairs, la plateforme Instagram a été préférée au blog, fanzine ou autre plateforme de podcast audio. La possibilité offerte par le réseau social de publier plusieurs types de formats (vidéo, son, texte, image) a fini de convaincre le groupe.

Se reposant sur un élément de culture commune à la classe, à savoir le manga One Piece, les élèves ont adopté le nom de média « Find One Peace », arguant du fait que le média aiderait les lecteurs et lectrices à « trouver la paix« .

Dernier élément de la construction d’un média collaboratif, la classe a défini elle-même les règles qu’elle aura à respecter dans l’utilisation de ce compte Instagram dont les identifiants seront partagés entre tous les élèves. Ainsi, une vingtaine de règles faisant le tour des nombreuses fonctionnalités du réseau social et des problématiques du travail collaboratif a été validée et signée par l’intégralité de la classe : « On ne partage pas les codes à quelqu’un d’extérieur à la classe », « on ne modifie ou ne supprime pas le travail des autres », « on ne s’abonne qu’à des comptes en lien avec la ligne éditoriale »… Un travail émancipateur pour la classe qui a découvert avec cet exercice sa capacité à s’autogérer : « on n’est pas habitué à réfléchir aux règles qu’on nous impose« , remarquera une élève, surprise de la qualité du résultat.

Un résultat riche malgré une sensation d’urgence

« Mais on est à Ancenis ! », s’insurge un élève, montrant à quel point le groupe est convaincu qu’il ne se passe rien d’intéressant près de chez eux. Pour questionner ce préjugé, l’animateur a invité les élèves à trouver des sujets de reportages avec des personnes expertes à interviewer dans leur environnement proche. Au fil de leur recherche, les pistes s’affinent : un réparateur informatique pour en savoir plus sur les « victimes de hacking », la gendarmerie d’Ancenis pour avoir de l’information sur la lutte contre le cyber-harcèlement, des élèves du lycées victimes de racisme… Autant de pistes explorées par les groupes afin de réaliser leurs reportages.

« On n’a pas eu assez de séances sur ça« , « un bon projet, mais on n’a pas eu assez de temps car notre sujet était bien compliqué« , les réactions des élèves mentionnant un temps d’accompagnement trop court sont nombreuses à l’issue du projet. Certain.e.s se sont en effet laissés surprendre par une des réalités du journalisme, à savoir le temps de recherche et de prise de contact avec des sources.  Un des groupes travaillant sur la « haine anti-russe » n’a par exemple pas réussi à organiser de rendez-vous avec l’unique source contactée, un restaurateur russe, et ce malgré les invitations répétées de l’animateur à chercher d’autres contacts. Cette difficulté à se mettre en mouvement, pour une partie de la classe, explique le fait que seuls six reportages sur les onze prévus aient pu être publiés lors de la dernière séance. Les groupes qui n’ont pas eu le temps de terminer leur enquête se sont tout de même engagés à publier leur reportage dans les semaines à venir.

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Chargé de projets numériques et médiatiques chez Fragil depuis 2017, musicien, auteur, monteur... FX est un heureux touche-à-tout nantais. Il s'intéresse aux musiques saturées, à l'éducation aux médias, aux cultures alternatives et aux dystopies technologiques.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017