12 avril 2022

Un documentaire retrace une histoire méconnue : le sauvetage en 1971 du marais de Guérande par quelques utopistes

50 ans après, qui se souvient encore de cette lutte acharnée contre les puissances de l’argent et du béton ? Un documentaire co-produit par France 3 Pays de la Loire et .mille et une. films retrace cette belle histoire : «Guérande, un peu de la beauté du monde». Le 6 avril, le cinéma Le Concorde avait organisé à Nantes une projection avec la réalisatrice, Sophie Averty, et l’un des meneurs de ce combat qui semblait perdu d’avance, Charles Perraud.

Un documentaire retrace une histoire méconnue : le sauvetage en 1971 du marais de Guérande par quelques utopistes

12 Avr 2022

50 ans après, qui se souvient encore de cette lutte acharnée contre les puissances de l’argent et du béton ? Un documentaire co-produit par France 3 Pays de la Loire et .mille et une. films retrace cette belle histoire : «Guérande, un peu de la beauté du monde». Le 6 avril, le cinéma Le Concorde avait organisé à Nantes une projection avec la réalisatrice, Sophie Averty, et l’un des meneurs de ce combat qui semblait perdu d’avance, Charles Perraud.

«Dans le Panthéon des luttes paysannes, rares sont celles qui ont réussi. Il y a eu le Larzac et … Guérande» avoue dans ce documentaire Alain Courtel, un pornicais séduit par la beauté du site à préserver et que rien ne prédestinait à devenir paludier.
Tout a démarré en 1971 par la construction d’une rocade qui devait couper en deux le marais, un projet que les banques et les promoteurs immobiliers voulaient imposer sous la houlette du puissant Olivier Guichard, maire de La Baule.

Le pot de terre contre le pot de fer

Le tourisme de masse devait transformer le sel en or disaient à l’époque les campagnes de publicité. Face à ce rouleau compresseur, une poignée de jeunes rêveurs, aux cheveux longs et à la fibre écologiste. C’était le pot de terre contre le pot de fer. Le combat semblait perdu d’avance d’autant que le marais périclitait.

«La moitié des œillets étaient à l’abandon» reconnaît Charles Perraud, l’un des principaux meneurs de la lutte, à l’époque étudiant en géographie à l’Université de Nantes. «Les paludiers qui se transmettaient ce savoir ancestral de génération en génération n’arrivaient plus à en vivre correctement. Ils n’y croyaient plus».

Tous les recours juridiques contre le projet avaient échoué, au Tribunal administratif comme au Conseil d’Etat. Mais c’était sans compter sur la détermination et la capacité de mobilisation de ce jeunes soixante-huitards pour qui «un autre monde était possible».

Sit-in des jeunes chevelus face au force de l’ordre

Rayer 2000 ans d’histoire ?

Manifestations, pièce de théâtre, débats, intervention dans les conseils municipaux. Les contestataires actifs ont utilisé tous les moyens pour empêcher le financement de la rocade par les communes et ils ont réussi à remporter la bataille de l’opinion.

«Les élus ne voulaient pas prendre la responsabilité de faire mourir un lieu aussi exceptionnel» explique Charles Perraud. «Ils auraient du rendre des comptes aux générations futures».

«Ce marais, c’est une cathédrale d’argile façonnée par les hommes depuis des millénaires» insiste Alain Courtel dans le documentaire qui sera rediffusé sur France 3 national le 18 avril à 23 heures. «Le marais, c’est 2000 ans d’histoire qui vous regardent».

Les marais façonnés par l’homme depuis 2000 ans

La force du collectif

Mais la lutte ne s’est pas arrêtée là. Il fallait relancer l’activité, la rendre rentable, trouver de jeunes pour prendre la relève. Et c’est là que la méthode suivie est intéressante : la force du collectif.

Le mouvement s’est structuré. Un groupement foncier s’est constitué pour empêcher que les Salins du Midi ne rachètent les terres à bas prix. Une formation de paludier a été inventée pour apprendre aux nouveaux venus d’apprendre les rudiments du métier.

Une coopérative, Le Guérandais,  s’est créée pour investir dans du matériel, constituer des stocks et ne plus être dépendants des prix du marché, et surtout commercialiser le sel artisanal sans être pris dans les griffes des Salins du Midi qui s’enrichissaient sur le dos des petits producteurs. Les coopérateurs ont donc obtenu un label rouge pour valoriser leur sel gris et ils ont été aidés par les grands chefs de la gastronomie française qui ont fait du sel de Guérande un produit de référence.

Croire en ses rêves

Il a fallu beaucoup de persévérance pour arriver à renverser la situation. «Pendant 10 ans, j’étais obligé de faire de petits boulots à côté pour en vivre. J’ai été DJ» s’amuse Charles Perraud, longuement applaudi pour son courage ce mercredi 6 avril au cinéma le Concorde.

Aujourd’hui, le marais de Guérande donne du travail à 350 paludiers et 1 000 saisonniers qui viennent en renfort l’été. Le sel est vendu dans 64 pays et la liste des jeunes qui veulent reprendre le flambeau est longue. Il y a 2 ans d’attente avant de pouvoir exploiter des œillets.

«Rien n’est perdu d’avance» conclut Charles Perraud. «Rien n’est inéluctable. Il faut croire en ses rêves».

Charles Perraud et Sophie Averty au cinéma le Concorde

Une trace de cette lutte

Avec ce documentaire, Sophie Averty redonne toute sa vitalité à ce combat méconnu voire oublié. Elle laisse une trace précieuse, un espoir à tous ceux qui veulent changer le monde, le rendre plus acceptable, plus respectueux de la nature.

«En racontant cette belle histoire, j’ai voulu monter la force du collectif et d’une nouvelle génération qui est venue avec un autre regard sur le marais» confie la réalisatrice qui avait déjà réalisé il y a 30 ans «Une vie saline», le portrait un paludier historique, Joseph Péréon.

Les élèves du lycée Joubert Maillard se confrontent à la réalité du journalisme

Au collège Rosa Parks de Nantes, on "décrypte" l'actu sur Instagram

Quand on a été journaliste pendant plus de 30 ans à France 3, que l'on s'est enrichi de belles rencontres et de découvertes, on a envie de continuer à partager sa curiosité et son ouverture d'esprit avec d'autres. En travaillant bénévolement à Fragil, on peut continuer à se cultiver en toute liberté. Ca donne du sens à un retraité devenu journaliste honoraire.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017