10 mai 2019

La politique de Facebook en question après la suppression de la page du Vlipp

Après la diffusion d'un extrait d"une pièce où l'on entrevoit la nudité d'une comédienne, Facebook a décidé de supprimer la page du Vlipp. Une problématique qui permet d’interroger le rôle de Facebook et son monopole dans la diffusion de contenus.

La politique de Facebook en question après la suppression de la page du Vlipp

10 Mai 2019

Après la diffusion d'un extrait d"une pièce où l'on entrevoit la nudité d'une comédienne, Facebook a décidé de supprimer la page du Vlipp. Une problématique qui permet d’interroger le rôle de Facebook et son monopole dans la diffusion de contenus.

Spécialisé dans la production de supports vidéo, Le Vlipp fait partie des médias associatifs qui agissent au cœur de la métropole nantaise depuis plus d’une décennie pour promouvoir une information multiforme, locale et citoyenne. L’équipe du Vlipp, composée de quatre salariés et de trois volontaires en service civique, est souvent amenée à filmer des événements réalisés sur les différents campus de l’Université de Nantes.

L’association était donc au rendez-vous du Festival Turbulence le mois dernier, afin de couvrir la pièce « Démée » du collectif Bande de Bleus au théâtre universitaire. La comédienne Anaïs Barbier réalise alors une performance artistique originale en se dénudant complètement sur scène. Un moment capté par les caméras du Vlipp qui diffuse alors un extrait de la scène sur sa page Facebook. Une opération de communication habituelle pour le média nantais qui promeut une partie importante de ses contenus via Facebook depuis quelques années.

Problème, le réseau social américain a récemment supprimé la page du Vlipp. En cause, un extrait de la pièce « Démée » où l’on voit cette performance dénudée d’Anaïs Barbier. Une suppression qui étonne les salariés de la structure et qui pose de nombreuses questions sur l’utilisation des réseaux sociaux comme outil de diffusion de contenu à l’heure où le mastodonte américain reste fortement plébiscité en la matière.

Une logique peu compréhensible et un recours difficile

Facebook a fait évoluer ses conditions générales récemment, notamment en ce qui concerne la nudité. L’entreprise américaine précise clairement accepter la nudité pour certaines causes ou des œuvres artistiques, mais se donne aussi le droit de censurer certaines images montrant des mamelons pour endiguer la pornographie sur son réseau. Le projet du Vlipp s’inscrit dans une démarche artistique, mais le recours auprès de Facebook France témoigne d’un long parcours du combattant et d’un flou qui entoure toujours une modération parfois arbitraire et frileuse de Facebook.

« Ils nous ont répondu que notre vidéo convenait bien dans le terme nudité artistique, parce qu’ils ont effectivement élargi autour de la prévention de la santé, l’art. Ils ont admis que l’on rentrait dans ce critère là, et c’est ensuite que ça a été effacé » affirme Marianne Gaudillère, rédactrice en chef du Vlipp.

Chargée de communication pour l’association, Fabiola Moreau rapporte que c’est lorsqu’ils ont « uploadé le magazine intégral du festival » que Facebook a envoyé un message de censure. Dans la foulée, le jeudi 2 mai « la page n’était plus publique. Facebook nous proposait de contester la décision, ce que nous avons fait. Et depuis hier, la page n’est plus du tout accessible. »

Après la publication de la vidéo contestée, Facebook a en effet décidé au premier abord de mettre hors ligne le contenu hébergé par le Vlipp. L’association nantaise a alors essayé de contacter Facebook pour avoir des explications sur cette modération jugée illégitime. Dans une réponse par mail, Facebook a reconnu le degré artistique de la démarche en précisant que la nudité était bien acceptée dans ces conditions . Pour éviter une nouvelle censure, le Vlipp décide alors de partager uniquement les liens des vidéos problématiques aux yeux de Facebook, en hébergeant le contenu sur la plateforme Vimeo.

Toutefois, c’est en mettant en ligne le magazine intégrale du festival Turbulences posté sur Facebook, où l’on voit un extrait de la prestation d’Anaïs Barbier, que la censure réapparaît. Après un appel du Vlipp qui semble temporairement régler la situation, Facebook décide arbitrairement de supprimer la page quelques heures plus tard, dans l’incompréhension générale.

« On a appelé Facebook France hier, on a eu quelqu’un à 3 euros la minute qui nous a dit d’aller voir dans la FAQ (frequently asked questions) ou dans le forum, qui n’était d’aucune aide et qui nous a dit de faire appel » évoque Marianne Gaudillère. Cet appel, l’équipe du Vlipp l’a donc déjà fait, sans obtenir un levier supplémentaire pour éviter la fermeture de sa page. « On n’a eu aucun contact avec quelqu’un qui peut nous expliquer ce qui se passe dans ces cas-là, on n’arrive à joindre personne dont c’est le boulot de faire le lien avec les clients. Le problème c’est que c’est une espèce d’entité sans tête, qui tranche un peu à l’aveugle. » détaille la rédactrice en chef du Vlipp.

La page Facebook du Vlipp supprimée.

Vers un durcissement de la politique de modération de Facebook

Après les polémiques récentes pointant la politique de modération trop laxiste de Facebook, le réseau social fut contraint de se pencher sur la refonte de sa stratégie de modération.  « On se rend compte que l’on n’est pas les seuls à s’être fait censurer. Ça concorde avec l’état qui a fait un peu pression sur Facebook suite aux attentats de Nouvelle-Zélande, à cause d’une recrudescence des pages d’extrême droite. » avance Marianne Gaudillère.

Sous le feu des critiques après la tuerie de Christchurch, Facebook avait été épinglé par quelques médias et acteurs politiques concernant son inaction et sa responsabilité dans la diffusion du massacre sur sa plateforme.

Aussi, la censure de contenus artistiques où la nudité apparaît est récurrente sur Facebook. En effet, le tableau « L’Origine du monde » de Gustave Courbet s’est retrouvé censuré plusieurs fois sur le réseau du géant américain.

Symptôme d’une dépendance à Facebook ?

Cette suppression a des conséquences sur la visibilité du Vlipp et remet en cause le fonctionnement de leur stratégie de communication actuelle. Marianne Gaudillère commente les problématiques liées à cette situation et détaille l’importance de Facebook pour le Vlipp. « Le site on le valorise énormément par ce qu’on a beaucoup travaillé dessus, et il permet d’avoir la sécurité pour nos contenus, c’est important pour nous. Facebook est une interface beaucoup plus dynamique, interactive, même si les jeunes désertent un peu Facebook ça reste quand même une interface majoritaire malheureusement, on est un peu pris en otage. »

Elle évoque aussi un système de communication journalière ancrée dans une stratégie qui s’opère sur Facebook. « Cela fait deux ans que l’on se dit qu’il faut qu’on améliore notre visibilité sur Facebook car c’est vraiment une entrée pour un public très large sur notre site, la majorité des gens qui visitent notre site arrivent par Facebook. Mais avant, de par les valeurs que véhicule Facebook, on n’était pas vraiment enclins à faire beaucoup de communication sur le réseau. » Précise-t-elle.

En tant que rédactrice en chef du Vlipp, elle questionne donc cette presque évidence du choix Facebook pour rendre visibles les contenus produits par son média. «Ça pose la question de notre dépendance à tous envers ce réseau-là, où l’on est massivement tous inscrit, quand l’on doit mobiliser les contributeurs, toucher un maximum de gens. Malheureusement on se retrouve contraint et ça peut avoir une influence sur des choix éditoriaux futurs ».

Fabiola Moreau, déplore ce problème qui chamboule l’équilibre actuel du média. D’après ses chiffres, la page Facebook du Vlipp comptait plus de 3000 abonnés pour presque autant de mentions « j’aime » en 2018. L’interface a surtout permis de diffuser en masse le contenu produit par la structure associative nantaise, puisque c’est 15 700 minutes de vidéos qui ont été visionnées via Facebook.

Le constat est similaire pour Fragil. Notre association s’appuie sur Facebook pour promouvoir les LunDIY et contacter les contributeurs et contributrices en marge des conférences de rédaction et des actions d’éducation aux médias. Facebook demeure le principal organe de communication de notre association et reste le réseau social qui amène le plus de visiteurs sur notre site internet. Sortir de cette dépendance à Facebook est difficile à imaginer alors que le géant américain prédomine actuellement dans nos stratégies de communications. Mais il va falloir songer à s’adapter, puisque cette mésaventure connue par le Vlipp pourrait très bien s’appliquer à Fragil et bien d’autres structures diffusant des contenus artistiques ou de la sensibilisation impliquant de la nudité dans leurs colonnes.

Image d’en-tête : ©Stock Catalog « facebook testify zuckerberg »

Aux origines du cirque Gruss

Robert To : Cuba dans la peau

Animal journalistique curieux en service civique pour Fragil, je me passionne pour l’actualité du microcosme nantais afin d'en épier les nuances loin du manichéisme.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017