3 novembre 2025

Jour des Morts à Nantes : un spectacle culturellement «creux»

Vendredi 29 octobre, Plein Centre, l’association des commerçants du centre-ville de Nantes, organisait son événement d’Halloween. Elle a décidé de mettre l’accent sur le Jour des Morts mexicain en invitant la compagnie Planète Vapeur et ses squelettes géants. Retour sur ce spectacle qui pose question sur le respect d’une tradition ancestrale.

Jour des Morts à Nantes : un spectacle culturellement «creux»

03 Nov 2025

Vendredi 29 octobre, Plein Centre, l’association des commerçants du centre-ville de Nantes, organisait son événement d’Halloween. Elle a décidé de mettre l’accent sur le Jour des Morts mexicain en invitant la compagnie Planète Vapeur et ses squelettes géants. Retour sur ce spectacle qui pose question sur le respect d’une tradition ancestrale.

Le public était nombreux ce vendredi 29 octobre, malgré la pluie. Petits et grands étaient au rendez-vous sur le parcours du spectacle « Santa Muerte » de Planète Vapeur. Invitée par Plein Centre, l’association des commerçants du centre-ville, la compagnie niçoise a fait danser ses marionnettes géantes de la rue Voltaire à la place du Commerce.

Un évènement « coloré » et « festif »

« On cherchait depuis longtemps un spectacle sur la Fête des Morts mexicaine » explique Sara Gangloff, de Plein Centre. Pourquoi cette thématique spécifiquement ? « Parce que c’est un spectacle coloré, festif, plus festif que les têtes de mort qu’on voit à Halloween » répond la déléguée générale de l’association.

Pour Françoise Izac, régisseuse et costumière de Planète Vapeur, ce spectacle fonctionne car « les enfants sont émerveillés de voir de nouvelles choses, ces marionnettes très grandes pour eux ».

Le public était nombreux pour assister à ce spectacle d’inspiration mexicaine. Crédit : Valentina Lugo 29/10/2025

Si l’aspect familial et festif de l’événement est indéniable, on peut se poser la question du respect d’une tradition qui n’est pas la nôtre. De l’aveu même de Françoise Izac, le processus de documentation de la compagnie s’est limité à « des recherches sur internet. On voyage aussi beaucoup, ça nous permet de ramener des choses pour agrémenter les marionnettes. Mais ce n’est pas le cas sur ce spectacle. »

Une popularité grandissante

Víctor Anduze Rivero, de l’association nantaise-mexicaine Comal, note : « Traditionnellement au Mexique, il n’y a pas de défilé pour le Jour des Morts. C’est une fête privée, en famille, tout au plus on mange et on boit avec les voisins. Le carnaval, les déguisements, c’est apparu pour la première fois en 2015 dans un James Bond (NDLR : 007 Spectre), tourné à Mexico. Quand les spectateurs ont vu ça, ils ont commencé à appeler les offices du tourisme de la ville pour savoir où et quand avait lieu le défilé. » La ville de Mexico, y voyant une aubaine touristique, organise depuis des événements publics à cette date.

Le Día de Muertos, célébré le 1er novembre, trouve ses racines chez les peuples autochtones du Mexique. Il s’agit d’un moment fort de l’année où les Mexicain·es se souviennent de leurs être chers décédés. « L’élément central de cette célébration, c’est l’autel. On y dispose des objets qui ont appartenu aux défunt·es, qu’ils et elles ont touchés, la nourriture qu’ils et elles aimaient. On essaie de recréer une connexion avec elles et eux », explique Víctor, qui a étudié les traditions populaires de son pays au cours de son cursus de sociologie.

Les marionnettes géantes du spectacle Santa Muerte. Crédit : Valentina Lugo 29/10/2025

Plein Centre et Planète Vapeur ne sont pas les seuls à s’être laissé séduire par ce côté coloré et joyeux. On assiste depuis plusieurs années à une popularité grandissante du Día de Muertos en France. Rien que dans l’agglomération nantaise, au moins trois événements autour de ce thème sont organisés entre la fin octobre et le début du mois de novembre cette année : à Magmaa, au Kazazen, au Warehouse.

Outre son aspect folklorique festif, pour Víctor, cette tradition vient combler un manque : « Ma lecture, c’est qu’en France, il n’y a rien de spécial pour marquer la Toussaint aujourd’hui. Or on a besoin d’un événement cyclique pour faire son deuil et se souvenir de nos mort·es. »

Un mélange de traditions

Plus gênant encore, le spectacle intitulé « Santa Muerte » a été présenté par Plein Centre sur sa page Facebook comme l’occasion de fêter Halloween. On assiste donc à un mélange total de traditions qui n’ont rien à voir entre elles. Si Halloween a une origine celte, la Santa Muerte est de son côté un personnage né du syncrétisme entre le catholicisme et d’autres religions antillaises. La mort y est érigée en figure centrale, « en remplacement de la Vierge » explique Víctor. Aucun lien donc entre cette image macabre et une tradition consistant à rendre hommage aux membres disparus de sa famille.

« Le spectacle a été sélectionné par le comité d’animations de l’association » indique Sara Gangloff, qui ajoute qu’« une des personnes du comité connaissait le thème de la fête des morts ». Mais selon Víctor, le spectacle était « creux ». « Les squelettes et le maquillage, c’est la pointe de l’iceberg. En dessous, il y a d’autres aspects culturels qui ne sont pas représentés. Et le Jour des Morts, ce n’est pas qu’une fête, c’est triste aussi, on pleure en repensant à nos mort·es et on espère que là où ils et elles sont, ils et elles vont bien. »

Pourrait-on aller jusqu’à parler d’appropriation culturelle ? Le point de vue de Víctor sur ce sujet est clair : « Pour moi, il n’y a pas d’appropriation culturelle tant qu’on n’essaie pas de me vendre quelque chose. Ça ne me gêne pas que des structures qui n’ont rien à voir avec le Mexique montrent cet événement si c’est pour passer un moment festif en famille. Toute occasion pour faire la fête est bonne pour moi », assure-t-il.

Après la gêne créée par les chars du carnaval et leurs représentations stéréotypées en avril dernier, c’est donc au tour de Plein Centre de tomber dans le cliché, au mépris d’une culture tout entière.

À 38 ans, Florence, formatrice en espagnol originaire de Quimper, a rejoint Fragil. Entre envie d’écriture, découvertes culturelles et nouvelles rencontres, elle espère que cette expérience lui permettra de redécouvrir Nantes autrement.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017