22 septembre 2020

Josep, la résistance par le dessin

Le 30 septembre, Josep le film d’animation d’Aurel labellisé Cannes 2020 sortira en salles. En s’appuyant sur la vie du dessinateur de presse Josep Bartoli (1910-1995), il met en lumière le traitement des réfugiés du franquisme par la France à la fin des années 30 et révèle la force que peut revêtir le dessin de presse comme témoignage et acte de résistance.

Josep, la résistance par le dessin

22 Sep 2020

Le 30 septembre, Josep le film d’animation d’Aurel labellisé Cannes 2020 sortira en salles. En s’appuyant sur la vie du dessinateur de presse Josep Bartoli (1910-1995), il met en lumière le traitement des réfugiés du franquisme par la France à la fin des années 30 et révèle la force que peut revêtir le dessin de presse comme témoignage et acte de résistance.

Serge est grabataire mais profite d’un après-midi pour livrer ses souvenirs à Valentin, son petit-fils doué en dessin. En 1939, c’est la Retirada : des milliers d’espagnols fuient la dictature franquiste. Les français les parquent alors dans des camps. À l’époque, gendarme affecté à la surveillance de ces derniers, Serge se lie d’amitié avec Josep Bartoli. Le dessinateur et caricaturiste espagnol à la vie romanesque, sera incarcéré dans sept camps avant de s’enfuir vers le Mexique et les États-Unis. Le récit vu à travers les yeux du gendarme maintenant très âgé se permet des sauts dans le temps, des fabulations mais s’attache également à l’âpre réalité. La mort, la faim, la violence, le racisme. Serge s’arrange avec les ordres afin d’ouvrir des espaces de liberté et d’aide aux espagnols enfermés. Le dessinateur de presse Aurel et le scénariste Jean-Louis Milesi racontent cet épisode peu connu de l’Histoire à travers le récit fictionnalisé de la vie de l’artiste dans un très beau film d’animation.

L’animation comme une composition

L’animation est saccadée, à l’instar de la mémoire vacillante du vieil homme. Ces images peu animées se révèlent être de véritables compositions, des tableaux par lesquels se manifeste le talent d’Aurel pour retranscrire ses personnages, leurs émotions mais aussi la brutalité du sujet. À cela se mêlent des dessins originaux de Josep témoignant de la vie dans les camps, rappelant le talent de l’artiste et la force du dessin de presse, dans lequel tout se dit en une page. Aurel livre avec ce film un hommage vibrant et personnel au dessinateur.

Le beau casting de voix donne du relief à l’ensemble avec le catalan Sergi López dans le rôle de Josep, François Morel dans celui d’un gendarme ordurier ou encore Bruno Solo dans celui de Serge. La bande son est signée par la chanteuse espagnole Silvia Pérez Cruz qui illumine le film de sa voix envoutante.

Des thématiques fortes

L’ambition d’Aurel était de réaliser « un film personnel au service d’un autre dessinateur ». Il découvre Josep Bartoli un peu par hasard, dans un salon du livre grâce à l’ouvrage que George Bartoli consacre à son oncle.

Les dessins politiques, critiques du pouvoir le saisissent. Les croquis des camps particulièrement. Il éprouve alors le besoin de se plonger dans cette histoire, de « la digérer puis la faire revivre à travers le filtre de mon crayon » affirme-t-il. Le sujet du film sera le dessin, son incarnation Josep Bartoli.

Mais d’autres thèmes traversent le film. Celle de l’histoire des migrations et du traitement de cet Autre, qui revêt des origines différentes selon les époques. Celle de l’héroïsme ordinaire aussi, de la participation de certains à ces fenêtres de résistance. Aurel confie qu’il souhaitait interroger la notion d’engagement, de résistance, de témoignage et de déracinement. C’est une grande réussite.

Josep

Réalisation : Aurel

Scénario : Jean-Louis Milesi

Musique originale : Silvia Pérez Cruz

Technique : animation 2D

Durée : 1h14

Nationalités : Français, Espagnol, Belge

Avec les voix de Sergi Lopez, Bruno Solo, Gérard Hernandez, Valérie Lemercier, François Morel,…

Au cinéma le 30 septembre

Pour aller plus loin :

La Retirada, exode et exil des Républicains d’Espagne, dessins de Josep Bartoli, photos et textes de Georges Bartoli, récit de Laurence Garcia. Éditions Actes Sud BD, 2009, 18 euros.

Josep Bartoli et l’exode espagnol : son crayon est une arme sur France Culture (https://www.franceculture.fr/histoire/josep-bartoli-et-lexode-espagnol-son-crayon-est-une-arme)

Trois documentaires pour mieux questionner le pouvoir de l'argent sur les médias

L'éducation aux médias à travers les débats mouvants : des affirmations à débattre en groupe

Après des études en sociologie, je décide de me réorienter vers le journalisme. C'est une révélation pour moi. Passionnée par la photographie et le reportage, je mets ma curiosité au service d'histoires à raconter.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017