14 mars 2022

Gestion du Covid-19 dans le secondaire : la difficile débrouille des AED à Nantes

Protocoles sanitaires successifs, professeur‧es malades, covid-tracing et tests en pagaille… Trois assistantes d’éducation racontent leur quotidien dans leurs collèges et lycées nantais alors que le gouvernement a promis le recrutement de 1500 surveillant‧es pour renforcer les vies scolaires.

Gestion du Covid-19 dans le secondaire : la difficile débrouille des AED à Nantes

14 Mar 2022

Protocoles sanitaires successifs, professeur‧es malades, covid-tracing et tests en pagaille… Trois assistantes d’éducation racontent leur quotidien dans leurs collèges et lycées nantais alors que le gouvernement a promis le recrutement de 1500 surveillant‧es pour renforcer les vies scolaires.

“Alors, on en est à combien aujourd’hui ?”. Depuis la rentrée de janvier, la question est quotidienne lorsqu’un‧e membre de la vie scolaire passe le pas de la porte du bureau. Les lignes rouges sur le tableur Excel s’accumulent et s’additionnent. Chacune d’entre elles correspond à un élève positif au Covid-19. Derrière l’ordinateur, Agathe*, la trentaine. Elle est assistante d’éducation (AED) depuis neuf ans dans un établissement privé nantais qui accueille près de 1500 élèves. Par un hasard d’organisation, elle se trouve en septembre 2020 à gérer, en lien avec l’infirmière, une explosion de cas de Covid-19 dans une classe de seconde. Elle se propose en renfort et sollicite auprès de sa direction des heures dédiées au covid-tracing. “Au début ce n’était pas grand chose, environ quatre heures par semaine. En fonction des vagues et du niveau de personnes touchées, ces heures augmentent ou baissent. Jusqu’à ce que ça devienne en janvier 2022 ma seule activité. Pendant cinq semaines, j’y ai consacré tout mon temps de travail”.

L’exceptionnelle mobilisation des assistant‧es d’éducation

Entre covid-tracing, protocoles en cascades, enseignant‧es et personnels malades, le quotidien des surveillant‧es est le plus souvent un casse-tête permanent. Ils et elles endossent, depuis le début de la pandémie, de multiples casquettes sans n’avoir reçu aucune formation spécifique et sans que cela ne fasse partie de leur fiche de poste initiale. “On a l’impression d’être devenu une antenne de l’ARS” confie Juliette*, 22 ans. Elle, qui travaille dans un lycée public du sud de Nantes depuis un an et demi, décrit un quotidien surchargé, des collègues à cran et un sentiment de servir de “variable d’ajustement”. Le tout sans aucune compensation financière relative à cette surcharge de travail.

C’est pourquoi elle, ainsi que l’intégralité de l’équipe de vie scolaire de son établissement, a fait grève le 13 janvier dernier, répondant à l’appel de très nombreux syndicats et fédérations de l’Éducation nationale. Une grève qualifiée d’“exceptionnelle” par l’ampleur et l’unité de cette mobilisation. Pourtant, ce qui n’a pas fait grand bruit, c’est ce chiffre, avancé par le syndicat national SNES-FSU (premier syndicat des personnels enseignants, d’éducation et d’orientation de second degré) : 80% des AED auraient fait grève ce jour. Un pourcentage plus important encore que celui des enseignant‧es, qui trahit une spécificité de leurs conditions de travail et une réalité : ce sont sur leurs épaules que repose toute la charge organisationnelle autour de la crise sanitaire actuelle.

La cinquième vague révélatrice de dysfonctionnements

“Je ne doute pas de la difficulté que c’est de faire cours aux élèves avec un masque, ni de devoir gérer les cours en distanciel. Mais je pense que la pression que l’on ressent en tant qu’AED est décuplée car elle est permanente. On côtoie deux milles élèves, de 7h45 à 18h, en continu” analyse Juliette, qui a fait grève car elle était “épuisée”. Une fatigue corrélée avec l’arrivée de la cinquième vague. A partir du 3 janvier 2022, date de la rentrée des vacances d’hiver, le nombre de cas de Covid-19 a explosé dans toutes les écoles. Dans le collège-lycée privé d’Agathe, il y a eu près de 390 cas positifs. Dans le lycée de Juliette, jusqu’à deux tiers des effectifs ont été absents.

Clémentine, assistante d’éducation dans un collège REP+ (Réseaux d’éducation prioritaire renforcée) de Nantes, n’a pas fait grève le 13 janvier 2022. Non pas par manque d’envie, mais pour des raisons financières. « Ça coûte trop cher ! Pourtant j’avais des raisons de vouloir aller manifester. Les protocoles annoncés trop tardivement, des consignes irréalistes à mettre en place et le fait que nos avis ne soient pas pris en compte dans la décision du maintien des écoles ouvertes, entre autres”, explique celle qui travaille depuis quatre ans dans un petit établissement de 340 élèves. Agathe, non gréviste pour la même raison, renchérit : “J’aurais aimé dénoncer la très grande précarité de notre métier, considéré comme un petit job temporaire alors que c’est une fonction très complète qui nécessite plein de compétences différentes”.

Une confiance à reconstruire

Les trois femmes ont toutes témoigné de leur sentiment d’être en première ligne et du manque de reconnaissance envers leur travail, de la part des parents, des professeur‧es, de leurs directions et de l’État. “C’est nous qui sommes au contact des élèves sur tous les temps où ils et elles ne sont pas en classe et qui faisons le lien avec toutes les familles” relève Clémentine. Toutes trois ont également mentionné un moment charnière de leur journée : “Dans le self chaque midi, on surveille 500 à 700 élèves sans masque dans un espace clos” témoigne Agathe. “On est en contact avec un large public qui a de fortes probabilités d’être touché par le Covid, donc on est exposé également, pourtant personne ne parle de nous”, soupire Juliette.

“Heureusement qu’on est débrouillard‧es, note-t-elle, car on a été en sous-effectif” jusqu’aux vacances scolaires de février. En effet, au plus fort de la pandémie, le quotidien a été quelque peu chaotique. Les missions des AED ont changé du tout au tout au dépend de leurs missions initiales. “Il est difficile de trouver du temps pour faire autre chose que ce qui est relatif au Covid, au mépris de la relation et du suivi des élèves” constate amèrement Juliette. La pandémie a d’ailleurs exacerbé les fragilités de certain‧es élèves, le décrochage scolaire, les phobies et autres angoisses. La vigilance des assistant‧es d’éducation doit être d’autant plus grande qu’il est de plus en plus compliqué d’instaurer un lien de confiance avec les jeunes. “Le plus usant est de faire la police en permanence concernant le port du masque, le respect des distances, les sens de circulation… On passe notre temps à trier, séparer, ranger les ados, ce qui déshumanise nos rapports” regrette Agathe. “Ce n’est pas le genre de relations qu’on veut entretenir avec nos élèves”, renchérit Clémentine.

Alors que le taux d’incidence du Covid semble repartir à la hausse et que le port du masque n’est plus obligatoire même à l’intérieur depuis le 14 mars, les AED sont quelque peu inquiètes. Agathe, qui n’a encore jamais contracté le virus, en est persuadée, dans les prochaines semaines elle n’y coupera pas.

*les prénoms ont été modifiés

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Anne-Marie est journaliste pigiste spécialisée dans les sujets société/culture. Elle a le goût de raconter des histoires, chercher la parole et le dévoilement de l’autre, notamment autour des thématiques féministes et LGBTQ+. Elle est également passionnée de séries et de pop culture.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017