20 octobre 2023

Flavien Berger à Nantes : « j’ai très peur d’être un vieux qui croit être un jeune ».

Flavien Berger à Nantes : « j’ai très peur d’être un vieux qui croit être un jeune ».

20 Oct 2023

Il incarne la coolitude électro-pop à la française, douce, un peu perchée et engagée politiquement. Flavien Berger était à Nantes le jeudi 19 octobre pour un concert à Stereolux à guichet fermé, drôle et pointu à son image. Il revient pour Fragil sur sa tournée et son dernier album « Dans cent ans« .

En quoi cette date à Nantes est-elle particulière pour toi ?
Je suis très touché par cette ville. Je la trouve très inspirante et j’ai de la famille ici. Pour moi, elle correspond aux vacances, à l’été. Mais je n’en dirai pas plus, je n’aime pas parler de ma vie privée.

Tu as déjà collaboré avec les nanto-nazairiennes de Mansfield.TYA, que penses-tu plus largement de la scène nantaise ?
Je la connais peu. Bien sûr, il y a Zaho [de Sagazan] qui cartonne cette année et que j’aime beaucoup. Difficile d’être plus sous les feux de la rampe qu’elle en ce moment !

A travers cette tournée nationale, tu présentes le live de ton album « Dans cent ans » sorti en mars 2023. Quel regard portes-tu sur ce dernier chapitre d’une trilogie démarrée il y a huit ans ? [Lévianthan en 2015 ; Contre-Temps, 2018]
C’est encore hyper frais, même si, teasing, je me projette déjà dans autre chose ! C’est marrant parce que j’ai l’impression qu’il y a un grand malentendu sur le fait que cette trilogie parle du temps. Ce n’était pas mon idée de base, c’est une construction que les médias en ont fait. Pour moi, c’est davantage les carnets de travail d’un apprenti faiseur de pop. Ça me semble tellement étrange la pop. Les batteries, les refrains, ça demande une espèce de sensibilité très compressée, il doit se passer beaucoup de choses en peu de temps. Bref, ces albums étaient surtout ma recherche sur la pop musique.

Comment se passe cette tournée ?
Super bien ! J’ai une nouvelle scénographie réalisée par Juliette Gelli. On a tout misé sur des espèces de néons très simples. On a travaillé sur des combinatoires avec peu de possibles, comme des dessins de lumière. A la fois avec un côté forain et un peu comme dans un labo aussi. Et puis, j’ai SAM, pour Surface d’Action Musicale, que j’ai dessiné et conçu avec Lucien Nicou. C’est un contrôleur DIY. C’est un peu un rêve, il m’a fallu attendre trois tournées pour savoir comment m’y prendre et pouvoir enfin produire cet objet. Je suis très fan des vaisseaux spatiaux et ça ressemble à un vrai tableau de bord.

Flavien Berger en concert à Stereolux le 19 octobre 2023, Photo (c) Fragil

Tu évoquais à l’instant un autre projet en cours ?
Oui, ça s’appelle Contrebande 02, ça sortira en février 2024. Ça va être fun, le disque de l’été. Il parle d’aller se baigner dans la rivière, de faire du vélo… Il parle des betteraves aussi, parce que j’aime bien les betteraves. C’est la suite de Contrebande 01 qui était le disque de Noël.

Pour revenir à ton album de cette année, comment vois-tu l’avenir « Dans Cent ans » ?
Inondé ! (rires) Non, en vrai je ne sais pas trop, j’imagine qu’il y aura encore des humains et qu’il aura sûrement du plastique partout… Ce que je sais avec certitude, c’est que je serai mort. C’est ce qui m’amuse un peu avec cet album. C’est la vanité, un disque qui dit que je ne suis plus là, alors que je suis encore là.

Et la musique dans 100 ans ?
On se dira peut-être que la musique n’est plus un truc d’humains. Que l’IA [intelligence artificielle] les auront remplacé, un peu comme on le fait déjà aujourd’hui avec des robots qui font des tâches pour nous. Peut-être que les humains ne seront plus intéressés par faire de la musique et ce n’est pas grave. Il faut quand même avoir beaucoup d’égo pour se dire moi je ne serai jamais remplacé par une IA. Personnellement, je me méfie de penser que je suis né pour faire de la musique, que j’en ferai toute ma vie. J’ai très peur d’être un vieux qui croit être un jeune. Tu ne trompes personne quand tu continues à faire les mêmes trucs que quand tu étais jeune.

Ton titre « Pied-de-biche » évoque le combat féministe. Est-ce une forme d’engagement politique de ta musique ?
Oui, enfin j’y vais un peu à tâtons parce que je ne veux pas m’approprier quoi que ce soit. J’ai récemment pris la pente de lire des essais sur le féminisme pour comprendre d’où je parlais et questionner mes privilèges. Le pied-de-biche, c’est un outil incroyable que j’ai d’abord kiffé en faisant de la démolition. Puis je me suis rappelé que ma mère en avait un et qu’elle le trainait partout. Et c’est devenu pour moi un symbole d’empowerement. Mais j’ai fait attention à ne pas faire une chanson trop bienséante, avec un énième man qui dit « je suis votre allié ».

Tu vis à Bruxelles depuis 10 ans, mais t’intéresses-tu à la vie politique française ?
Oui, beaucoup. Je vote en France et je crois que plein de gens ne le savent pas, mais je ne suis pas un mec de droite. Je ne l’ai jamais vraiment dit explicitement, mais je suis clairement de gauche. Même si j’ai une vie de mec de droite, parce que je suis dans l’industrie musicale, que je vends ma musique dans des pubs. Je pense qu’il y a des propositions très bien à gauche. Je parle de la gauche radicale, pas de la gauche socialiste française qui n’est pas vraiment de la gauche, je réalise d’ailleurs la douille qu’Hollande a été par exemple. J’en profite pour dire que je suis très très inquiet du virage autoritaire français. Ce n’est pas juste positionnement opportuniste, c’est un nouveau chapitre autoritaire, avec un statement dur. Je me méfies notamment du combat au nom de la laïcité en France. Je crois que sous-prétexte d’interdire les expressions des religions, c’est surtout pour mettre en avant un certain mode de vie. Ce n’est pas de la vraie laïcité. Ce qui s’est passé avec l’abaya par exemple, c’est un signal tellement islamophobe, c’est ultra violent.

Notre magazine s’appelle Fragil. Que t’évoque la fragilité ?
Ça me parle carrément, je suis grave de la team fragile ! J’ai l’impression d’être balloté par la vie, de devoir me protéger, d’éviter les situations périlleuses. Mais rester fragile pour moi, pour ma musique c’est très important. Pour réussir à circonscrire ces moments dans une création.

Propos recueillis le 19 octobre 2023, par Edouard Gassin. Photo (c) Isabelle Hin.

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Découvrez aussi « Music for Maison d’en face« , la bande-originale conçue par Flavien Berger pour accompagner le spectacle « Maison d’en face » réalisé par Léo Walk et son collectif La marche bleue.
(sortie le 6 octobre 2023).

Miët ©Louison Bodineau

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Passionné par les médias, l'actualité nantaise culturelle et sociétale, j'aime aussi beaucoup la vie nocturne 🪩 et les ratons-laveurs 🦝 .

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017