3 février 2020

Festival Trajectoires : “A corps et à cœur”

Du 10 au 19 janvier 2020 s’est déroulée la 3ème édition de “Trajectoires”, festival de danse à l’initiative du Centre Chorégraphique National de Nantes (CCNN). Celui-ci a gravité autour de vingt-cinq lieux dans l’agglomération nantaise pour un parcours complet de vingt-quatre spectacles. Plongeon au cœur de cinq représentations : Winterreise, Nocturne musée danse en Amazonie, Vendredi, Brother et Ben & Luc.

Festival Trajectoires : “A corps et à cœur”

03 Fév 2020

Du 10 au 19 janvier 2020 s’est déroulée la 3ème édition de “Trajectoires”, festival de danse à l’initiative du Centre Chorégraphique National de Nantes (CCNN). Celui-ci a gravité autour de vingt-cinq lieux dans l’agglomération nantaise pour un parcours complet de vingt-quatre spectacles. Plongeon au cœur de cinq représentations : Winterreise, Nocturne musée danse en Amazonie, Vendredi, Brother et Ben & Luc.

Winterreise – A cœur perdu

Samedi 11 et 12 janvier, le chorégraphe Angelin Preljocaj a envoûté le théâtre Graslin avec l’harmonie tout en dualité de son ballet de douze danseurs.

Il est 18h. Dehors la nuit tombe et à l’intérieur les notes du piano s’élèvent pour emplir la voûte. La mélodie nostalgique des chants de Die Winterreise (Le Voyage d’hiver) de Franz Schubert propulse le spectateur au cœur d’une tempête : celle d’un homme qui se meurt d’avoir trop aimé. Incarné avec justesse par 6 danseurs et danseuses, ils se trouvent tour à tour blessés et blessants. D’une esthétique incroyable, les prouesses physiques se mêlent à la douceur des portés où les genres s’opposent pour mieux s’abandonner.

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Winterreise by Angelin Preljocaj

Brescia and Amisano with Thomas Tatzl and company

Sur scène s’amoncellent de fines lamelles de papiers noirs, virevoltant au gré des déplacements, couronnant les personnages d’une neige sombre et poétique. Les 24 lieder de Schubert engagent les danseurs et danseuses dans un processus similaire au deuil, allant de la tristesse à la colère en passant par le déni, transposant ces sentiments contradictoires aux spectateurs. Miroir d’une souffrance sans nom, les artistes sont tels les réceptacles des émotions éprouvées à l’écriture des chants, transmises avec virtuosité par le baryton Thomas Tatzl à son auditoire. La poésie des accords emporte quand les corps sombrent, promesse d’un voyage infini.

Nocturne musée danse en Amazonie – Au cœur de la forêt

La nuit est bel et bien là lorsque les visiteurs et visiteuses convergent vers le Château des Ducs de Bretagne ce samedi soir. Ambra Senatore, chorégraphe et directrice du CNN de Nantes, a donné vie à l’exposition sur l’Amazonie. Grâce aux 60 danseurs amateurs du conservatoire, des extraits de son spectacle “Passo” (2010) surprennent les visiteurs au détour d’une vitrine ou d’une série de portraits. La balade dansée plonge le spectateur dans une nouvelle approche de la visite. Véritable continuité de l’exposition, les danseurs et danseuses nous immergent dans une expérience en 3D mélangeant les arts avec justesse.

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Maëva Rioual

Les énergies dégagées par les témoignages se retrouvent dans les mouvements des corps. Associant des gestes quotidiens à de courtes chorégraphies, la foule chemine et croise les danseurs s’appropriant le lieu, se mouvant dans les jeux de lumière afin de donner vie aux textes et aux objets exposés. A la fois spectateur et acteur, le public se laisse porter par le caractère innovant et complémentaire de cette performance, investissant les trois étages de l’exposition. La nocturne du musée invite à questionner la place de la danse et son champ des possibles dans l’espace artistique.

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Maëva Rioual

Vendredi – A cœur joie

Dimanche 12, un début d’après-midi ensoleillé regroupe la foule prête à accueillir… La fabrique fastidieuse. C’est la curiosité piquée que les spectateurs et spectatrices passent, ensemble, la porte de cette “fabrique”. Dans l’attente, on circule, on se regarde avec un petit sourire interrogatif. Puis, une jeune femme émerge de la foule et monte sur une des plateformes pour prendre la parole au micro : “Aujourd’hui c’est vendredi. Nous allons partager ce moment ensemble, ici et maintenant”. Placé littéralement au centre de la représentation, le spectateur est guidé dans une démarche de lâcher prise collective. Musique électro, hip-hop, techno, la foule suit les interprètes et rentre dans leur danse.

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Maëva Rioual

Petits et grands, chacun prend part à la performance – car s’en est bien une – allant du lancer de chaussettes aux pas de danse. Les regards se croisent et les sourires sont francs. Le collectif se donne, l’énergie se déploie sous les nefs et se propage à chaque protagoniste. On saute, on danse, tantôt assis, tantôt debout, accompagnant les déplacements des sept artistes. C’est dans cette ambiance électrisée qu’ils se défoulent, s’opposent, crient, s’en donnant à cœur joie pour exprimer la fête dans toute son énergie libératrice.

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Maëva Rioual

“C’est dans cette ambiance électrisée qu’ils se défoulent, s’opposent, crient, s’en donnant à cœur joie pour exprimer la fête dans toute son énergie libératrice.”

Si tant est qu’il y eu besoin, les rayons du soleil réchauffent la foule, l’astre prenant part aux festivités comme pour se venger de n’y être trop peu convié. Un moment hors du temps où La fabrique fastidieuse investit l’espace public avec en toile de fond un message de résistance. Formidable écho au spectacle “Le charme de l’émeute” de Thomas Chopin (le 14 et 15 janvier au TU) où l’art permet dans ce spectacle de retranscrire sur scène la rue et pour La fabrique de faire de la rue une scène. Oui, l’art peut tout, même faire d’un dimanche après-midi un vendredi soir.

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Zoé Calvat

Brother – A cœur ouvert

Comment la fraternité se construit-elle au sein du groupe ? C’est ce que les spectateurs et spectatrices s’apprêtent à se demander en passant cette fois le portail du Grand T et son parc illuminé, la soirée du jeudi 16 et vendredi 17. Le chorégraphe portugais, Marco Da Silva Ferreira, cherche à travers son spectacle à comprendre comment cette solidarité existe et co-existe. Dans toute sa force et sa complexité, il interroge ses sources et mécanismes par le prisme d’un groupe de 7 danseurs. L’expression corporelle peut d’abord renvoyer à un aspect primitif de l’humain mais il est avant tout son langage universel. Les visages peints en jaune et les costumes dépareillés interpellent, l’aspect tribal constituant les racines de la communauté. Le fil rouge se déroule au fur et à mesure des déplacements et échanges muets, exprimés à travers plusieurs danses et tissant chez le spectateur un début de réponse.

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Maëva Rioual

Marco Da Silva Ferreira pousse le spectateur à se questionner : « comment garder son individualité tout en se fondant dans la masse ? L’autre est-il un moyen ou le reflet de soi ?”

“Brother is a constant bother” (*la fraternité est un effort constant)

Kuduro, pantsula, krump, voguing, les artistes passent d’un style à l’autre sur un rythme effréné dans un mélange de danses des plus anciennes aux plus actuelles. Elles les rapprochent ou les enferment, certaines chorégraphies créent un effet de groupe alors que d’autres les individualisent. Marco Da Silva Ferreira pousse le spectateur à se questionner : comment garder son individualité tout en se fondant dans la masse ? L’autre est-il un moyen ou le reflet de soi ? Entre mimétisme et inspiration, le rapport à l’autre est déconstruit afin de plonger le spectateur dans une profonde réflexion. Brother nous mène donc à nous interroger sur notre façon de “faire société”, dans toute sa vulnérabilité et sa violence mais surtout son harmonie.

Ben & Luc – Cœurs et âmes

Vendredi 17 à 21h, un jeune homme arrive dans le public avec écouteurs et sac sur le dos, puis monte sur scène. Un deuxième le rejoint quelques instants plus tard et le public devine un rendez-vous d’entraînement quotidien. Ils s’étirent en discutant et le rire communicatif de Luc vaut toutes les traductions. Échauffement des corps et connexions des âmes. Leur complicité se ressent jusqu’au dernier rang du TU, complet ce soir-là, pourtant les deux interprètes donnent l’impression d’être seuls.

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Philippe Savoir

Mickaël Phelippeau offre avec ce spectacle, car c’est bien un cadeau, un moment d’une sincérité sans égale. Témoin de la beauté de cette relation mais aussi de sa complexité, le public est emporté dans un tourbillon d’émotions : celles contenues dans les arrêts et ralentis, celles cachées dans la douceur des mouvements et la confiance des portés, métaphore de celle qu’ils se portent. La fusion de deux âmes, complémentaires visuellement par leur costume, touche profondément. La place de la parole et l’adresse direct au public apporte un bel échange où les spectateurs sont volontiers invités dans leur amitié.

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Juliette Corda

 “Aucun mot n’est assez fort mais la danse est un cri.”

L’intensité des échanges est telle que l’on comprend les failles et les espoirs, les doutes et les peurs, l’amour véritable qui se battit et se chérit. Aucun mot n’est assez fort mais la danse est un cri. Gratitude et partage, force et fraternité, dualité et unité, Ben et Luc.

Il est déjà l’heure des applaudissements et, après plusieurs rappels, le chorégraphe Mickaël Phelippeau rejoint les artistes : leur connivence éblouie et ils saluent. Luc prend alors la parole pour convier le public à venir les rejoindre sur scène pour une dernière danse collective. Magique.

 

Ben & Luc – teaser from Mickaël Phelippeau on Vimeo.

Pendant ces dix jours, le festival Trajectoires prend toute sa dimension culturelle et artistique. Réel espace d’échanges sur ce qui nous unit et nous sépare, pour mieux comprendre comment “faire sens commun” au sein d’une société en plein bouleversement.

Pomme en pleine poire

Jeu d'enquête autour des métadonnées au lycée de Bouaye

Etudiante en communication, passionnée par les arts et le spectacle vivant. Je danse et j’écris un peu, parfois.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017