15 décembre 2022

FALLOPES : mettre en scène la mémoire d’une génération

Le samedi 24 novembre s’est déroulée la représentation de FALLOPES au théâtre du Cyclope, Fragil était présente. Une interview renversante avec l'autrice May Bindner révèle pourquoi l’écriture de cette œuvre lui tenait à cœur.

FALLOPES : mettre en scène la mémoire d’une génération

15 Déc 2022

Le samedi 24 novembre s’est déroulée la représentation de FALLOPES au théâtre du Cyclope, Fragil était présente. Une interview renversante avec l'autrice May Bindner révèle pourquoi l’écriture de cette œuvre lui tenait à cœur.

Un panneau sur la rue indique un théâtre presque caché. Au bout d’une allée longée par un mur de pierre apparaît une salle composée de quelques sièges dont l’assise confortable rappellerait aisément le salon de nos grands-parents. C’est dans ce cadre intimiste que nous avons découvert la compagnie de “La lionne à plumes” dans son oeuvre théâtrale “FALLOPES” écrite par May Bindner, jouée par Cécile Bargain, May Bindner, Laureline Lejeune, Sébastien Loiseau, mise en scène par Servane Daniel et May Bindner.

La nécessité d’écrire

Avant d’être comédienne, May était juriste au sein d’un accueil de jour pour les personnes victimes de violences conjugales. Une après-midi pluvieuse où les personnes se font rares, elle attend patiemment avec sa collègue, Annie, une bénévole forte d’une trentaine d’années d’expériences. Annie se confie, la lutte pour les droits des femmes c’est toute sa vie, elle a commencé à ses 17 ans, à l’époque où l’Interruption Volontaire de Grossesse était un crime et le viol un délit. Pour May, c’est une révélation : « Je me suis dit ; les femmes de cette génération sont encore en vie, je vais les rencontrer et écrire leur histoire. »

Une création inspirée des témoignages de celles qui ont fait l’histoire. Mamico, Reine Mamou, Joëlle, Lydie, Marie-Thérèse, Annie, Vonvon, Dominique, Jeanne, et bien d’autres… Des femmes aujourd’hui âgées de 61 à 83 ans.

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Voyage historique à travers les luttes féministes en chanson

Connaître son corps pour se l’approprier

Dans cette mise en scène vivante, interactive et musicale, deux générations se font échos en simultanés, représentées par deux femmes, Colette, militante féministe entre 1960 et 1980 et Lila sa petite fille, une jeune femme pétillante évoluant dans le monde actuel.  Colette est née en 1953. La pièce débute dans un collège catholique de jeunes filles où tout est tabou, le corps, les règles, la vie sexuelle et affective…L’idée était de questionner d’où sont parties ces femmes et peu à peu on les voit craquer le vernis pour obtenir le droit à disposer de leur corps” nous confie May.

En 1967, la loi Neuwirth dépénalise la contraception. Comme si nous y participions, nous observons Colette et ses acolytes dans les salles d’attente des cabinets médicaux où elles mènent l’enquête auprès des médecins qui semblent réticents à l’idée d’appliquer cette loi. En 1971, elles fondent une association à Vannes, où nous assistons à l’organisation de voyages à l’étranger pour accompagner des femmes dans leur parcours vers l’avortement.

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Les enquêtes effectuées par le groupe de femmes auprès des médecins

En 1975, la loi légalisant l’avortement est votée. Il aura fallu attendre le 31 décembre 1979, avant qu’elle soit définitivement adoptée. Après le vote, défilent les cinq années où les services d’interruption volontaire de grossesse ont du mal à trouver leur place, baladés entre la maternité et le local poubelle, en passant par la cardiologie. May insiste sur ce point : “ C’est Dominique qui l’a raconté, elle était gynécologue à l’époque, les hôpitaux leur mettaient des bâtons dans les roues, le service à vraiment été installé dans le local poubelle ”. L’association des femmes devient officiellement le premier planning familial de Vannes. Les questions de cette génération sont liées à leurs corps mais aussi à leur survie.

A travers cette pièce, le spectateur / la spectatrice est amené·e à se questionner sur le consentement, en partant du couple, « les femmes ne pouvaient pas dire non, c’était le devoir conjugal” jusqu’au viol collectif subi par Lila, la petite fille de Colette. Comment la femme peut trouver sa place dans une sociéte où elle ne dispose pas de son propre corps ?

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Voyage historique à travers les luttes féministes en chanson

Entre histoire et réflexions

Cette pièce pleine d’enseignements a déjà servi d’outil pédagogique auprès d’un public de collégien.ne.s et si May se réjouit de l’utilité de cette œuvre, elle confie volontiers qu’elle préférerait la juger obsolète dans 40 ans.

En attendant, la troupe se produira de nouveau le 8 mars 2023, à l’occasion de la journée internationale des droits de la femme au Théâtre 100 Noms.

Simone Veil disait, Ce ne sont pas les mémoires qui manqueront mais le contact unique de celles qui l’ont vécu. 

FALLOPES est née de ces souvenirs vivants, emplis d’anecdotes recueillies par May au cours de ses rencontres avec ces héroïnes de quotidiens. Plus qu’un souvenir, cette pièce est une transmission, une mise en scène historique sur des luttes passées qui pourraient bien être toujours d’actualité.

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Passionnée d’interculturalité et amatrice d’art, j’aime les regards qui se croisent, les verres qui tintent les débats qui se prolongent et sous ma douche, écouter des podcasts. 

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017