5 décembre 2023

Exposition “Les Femmes de notre histoire” : lutter contre le racisme grâce à la photographie

“Bougnoul. Nègre. Esclave. Sale immigrée.” Voici une petite partie des insultes entendues au lycée par un groupe de jeunes filles inscrites à la maison de quartier Nantes-Est. Pour lutter contre ces discriminations, elles ont eu l’idée d’une exposition photo pour se réapproprier leur image et transformer le regard sur l’immigration. Suela Cherfa, animatrice à l’ACCOORD, nous raconte la genèse et les retombées du projet.

Exposition “Les Femmes de notre histoire” : lutter contre le racisme grâce à la photographie

05 Déc 2023

“Bougnoul. Nègre. Esclave. Sale immigrée.” Voici une petite partie des insultes entendues au lycée par un groupe de jeunes filles inscrites à la maison de quartier Nantes-Est. Pour lutter contre ces discriminations, elles ont eu l’idée d’une exposition photo pour se réapproprier leur image et transformer le regard sur l’immigration. Suela Cherfa, animatrice à l’ACCOORD, nous raconte la genèse et les retombées du projet.

Tout commence en novembre 2022. Animatrice à la maison de quartier de la Halvèque pour l’ACCOORD, l’association d’éducation populaire nantaise, Suela Cherfa accompagne un groupe de jeunes filles de 14 et 15 ans. Autour d’un atelier, elles évoquent les insultes racistes dont elles sont victimes au sein de leur lycée. Elles se sentent blessées, humiliées, isolées.

L’équipe du projet, de gauche à droite : Fatima, Coline Ouisse, Gilles Guyon, Suela Cherfa, Fahima et Josuée. Photo : Suela Cherfa

“Leurs camarades de classe ne pensent pas toujours à mal, mais il ne faut pas minimiser la souffrance que ces mots peuvent provoquer. Ayant subi le même type d’insultes à leur âge, je me suis dit que cela ne pouvait pas continuer. Il fallait faire quelque chose”

Commence alors un brainstorming avec les filles. Très vite, un double constat émerge. L’ignorance est le terreau de ces comportements racistes : ceux qui insultent ne connaissent pas leur histoire, se trompent même sur leurs origines. Mais en discutant avec les filles, l’animatrice se rend aussi compte qu’elles-mêmes connaissent mal l’histoire de leur pays d’origine.

Djoumbé Fatima, reine de Mohéli (Comores), résistante à la domination coloniale française (1836-1878), incarnée par Rosemine

Se réapproprier son histoire

“J’ai eu cette idée de travailler sur des figures de femmes héroïnes qui ont marqué les pays de leurs parents ou aïeux, notamment avant la colonisation, pour leur proposer de se réapproprier leur histoire”.

L’objectif est double : faire travailler les adolescentes sur des recherches pour qu’elles apprennent à mieux se connaître et regagner confiance en elles, tout en apportant une réponse originale et créative aux insultes. 

Suela évoque la complexité de trouver des modèles féminins qui ont marqué l’histoire : “Il y a beaucoup de représentations masculines, mais nous avons eu du mal à trouver les femmes, qui étaient cachées ou peu mises en avant. Par ailleurs, on s’est rendues compte que même lorsqu’elles existaient, ces héroïnes n’étaient pas toujours représentées visuellement. »

« C’est alors que j’ai proposé aux filles d’incarner chacune une héroïne de leur pays d’origine »

L’animatrice propose aux adolescentes de sortir des codes de représentation des réseaux sociaux et son lot de filtres pour aller vers quelque chose de plus naturel. “Ça n’a pas forcément été facile au début : les filles ont dû sortir de leur zone de confort. Néanmoins, je trouvais ça important de travailler avec l’image, qui véhicule un message fort d’affirmation de soi.”

« le but était de raconter ces histoires à hauteur d’ado »

Pour le shooting, pas question d’acheter des vêtements ou des accessoires. Les jeunes filles portent des tenues traditionnelles trouvées chez elles. “On ne voulait pas qu’elles se perdent à travers le personnage. C’était important qu’on ressente leur personnalité et leur essence à travers les photos. »

Catherine Flon, révolutionnaire haïtienne co-créatrice du drapeau national (1772-1831), incarnée par Josuée

« Pour les recherches, les filles ne savaient pas trop par où commencer. Certaines ont grandi avec des figures d’héroïnes dans leurs familles, mais ce n’était pas la majorité. Nous avons rencontré pas mal de difficultés, car il y avait beaucoup de versions divergentes, de manques dans les écrits. Mais nous n’avions pas les moyens de réaliser un travail d’historien.nes : le but était de raconter ces histoires à hauteur d’ado. C’était important qu’elles utilisent leurs propres mots, qu’elles s’approprient le texte qui allait accompagner leurs photos.”

Ainsi, chaque cartel renseigne sur la vie de ces femmes souveraines, résistantes, officières : leurs histoires, leurs origines, leurs traits de caractère; ce pourquoi elle se sont battues. 

Pour le projet, Suela et son groupe a pu compter sur le soutien de l’équipe du studio de création Les Studios Bellarue 17. Emballée par le projet, l’équipe leur ouvre son studio photo.

Le shooting se déroule sur une journée lors des vacances d’avril. “Au début, les filles étaient un peu intimidées, mais Gilles [Guyon, photographe] et Coline [Ouisse, médiatrice culturelle] ont su les mettre à l’aise. Ils sont très humains et professionnels.” 

Des retombées très positives

Le projet a reçu un accueil très positif, auprès du grand public, comme en témoigne le livre d’or de l’exposition, rempli de messages de soutien et bienveillants.

Une belle récompense, raconte l’animatrice : “elles se sont investies à fond parce qu’elles avaient envie de faire passer un message.” Un message qui semble avoir été entendu et creuser son sillon. Après avoir été présentée au Francas des Pays de la Loire et à l’espace Louis Delgrès, l’exposition sera prochainement accueillie par le lycée Honoré d’Estienne d’Orves de Carquefou, où certaines des filles sont scolarisées. Un projet de voyage à l’international est même dans les tuyaux avec un projet ambitieux, celui d’un voyage en Angleterre pour y présenter l’exposition et créer un dialogue avec d’autres jeunes issus de l’immigration d’autres horizons. 

photo : Suela Cherfa

Mais l’exposition a aussi résonné dans la sphère intime des jeunes filles, dont les familles sont venues voir avec fierté l’exposition. Suela raconte que les mères “ont commencé à se confier et ont raconté avoir subi des insultes similaires”.

Enfin, l’exposition a eu un impact positif sur le groupe de jeunes filles, en leur faisant gagner confiance.

Aujourd’hui, lorsqu’elles subissent des insultes, elles sont moins touchées, elles arrivent à répondre. Surtout, elles sont fières d’elles, fières d’être qui elles sont. C’était un projet galvanisant à faire en collectif. Moi aussi, elles m’ont beaucoup apporté.”

L’animatrice conclut : “Je suis fière de les avoir aidé à trouver une réponse intelligente à apporter à ces humiliations, ces discriminations. Il y a beaucoup de discours défaitistes qui nous expliquent qu’on ne va pas changer les gens, qu’on ne peut rien faire. Mais si personne n’agit, les choses s’aggravent. Si on regarde en arrière, il y a toujours eu des personnes pour se battre et résister. Il faut en faire autant, de façon intelligente”.

photo : Gilles Guyon

L’exposition “Femmes de notre histoire” sera présentée au public ce samedi 9 décembre à l’occasion du festival Tissé Métisse, à la Cité des Congrès de Nantes .

En partenariat avec l’Accoord, l’Association Mémoire de l’Outre Mer et les Studios Bellarue 17, et le Festival Mois Kréyol.

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L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017