14 septembre 2022

Couverture ou boycott de la coupe du monde au Qatar : quels choix pour les médias ?

Suite à l'annonce du Quotidien de la Réunion et de l’Océan Indien du boycott du Mondial 2022, Fragil réfléchit aux options qui se présentent aux structures médiatiques concernant la couverture d'un événement sportif controversé.

Couverture ou boycott de la coupe du monde au Qatar : quels choix pour les médias ?

14 Sep 2022

Suite à l'annonce du Quotidien de la Réunion et de l’Océan Indien du boycott du Mondial 2022, Fragil réfléchit aux options qui se présentent aux structures médiatiques concernant la couverture d'un événement sportif controversé.

Quand, lors de la matinale de France Info du 14 septembre, on demande à Fabien Roussel s’il va boycotter la coupe du monde au Qatar, le secrétaire national du Parti Communiste Français botte en touche et renvoie la question aux journalistes.

La veille, le Quotidien de la Réunion et de l’Océan Indien avait tranché la question en annonçant son choix de ne publier «  aucun article ni annonce publicitaire évoquant l’aspect sportif de ce Mondial 2022 » arguant qu’en cristallisant des « atteintes intolérables à la dignité et aux libertés humaines[…] jamais sans doute n’était-on allé aussi loin dans la caricature d’un système dévoyé. »

Quels choix sont donc offerts aux médias vis à vis de la couverture de cet événement, et par extension, à tout type d’événement emmêlé dans des paradoxes éthiques ?

Nous parlerons ici des médias en tant que structures de création et de diffusion de contenu, pour qui la question du boycott du Mondial 2022 se pose : des médias généralistes nationaux ou régionaux qui ont l’habitude de couvrir les mondiaux et qui ont les ressources nécessaires pour y envoyer des reporters.

Couvrir la Coupe du Monde avec le minimum de regard critique

C’est le choix qui ne demande aucun effort, pas même celui de s’interroger sur la possibilité de l’existence d’une alternative. Les médias dont le modèle économique dépend de leurs revenus publicitaires, et/ou qui sont totalement inféodés aux pouvoirs politiques et financiers, ne pourront jouer que le rôle de passe-plat d’une information contrôlée par les services de communication des institutions. C’est une évidence : il faut aller couvrir la Coupe du Monde au Qatar. Même s’ils sentent bien qu’un questionnement existe sur un éventuel boycott de l’événement, le manque à gagner est trop important pour ne pas le couvrir. Le risque de perdre un lectorat en demande d’information sportive et donc de perdre les revenus publicitaires qui lui est associé est trop grand, sans compter le risque de se mettre à dos les marques sponsors de l’événement qui pourraient se vexer et retirer leur budget publicitaire alloué à ces médias, ça s’est déjà vu sur d’autres sujets.

Après le journalisme de préfecture, ces médias nous proposeront donc un journalisme de conférences de presse en offrant à leur lectorat (qui ne paiera pas, ou peu, pour ces informations, rappelons-le) un florilège d’informations issues de différents services de communication. Des reportages clés en mains servis par, au choix, la FIFA qui nous dira vraisemblablement que l’organisation de la coupe du Monde est un succès malgré les challenges rencontrés, le Qatar qui nous apprendra sans aucun doute que les stades, infrastructures, paysages du pays sont très beaux et parfaitement adaptés aux investissements occidentaux, ou les marques qui ne manqueront assurément pas de rappeler que leurs athlètes réalisent de superbes performance lors de cet événement incontournable.

Boycotter un événement mondial

Ne pas y aller, ne pas en parler. Un engagement fort pour tout média généraliste dont les pages « sport » sont encore majoritairement dédiées au football. Car comme l’a résumé un ancien responsable du service des sports de l’Agence France Presse : « Le sport, c’est le football, après le reste ». Ne pas y aller et ne pas en parler c’est choisir de créer un vide à combler en terme éditorial et de proposer à son audience du contenu de substitution. Sans doute une aubaine pour des sports moins médiatisés, à condition de réussir à ne pas désintéresser son audience. Le choix du boycott est un geste fort, louable en terme de militantisme contre le « foot-business ». Reste à savoir s’il est efficace s’il n’est pas effectué par l’ensemble des médias majeurs. Et par efficacité, entendons la possibilité que ce boycott agisse factuellement sur les futures organisations de Coupe du Monde de Football.

Si ce boycott n’est opéré que par des médias « militants », l’essentiel de l’information créée autour de la Coupe du Monde 2022 proviendra des autres qui auront fait le choix de couvrir l’événement avec le minimum de regard critique. Dans cette idée commune que « le journalisme est le premier brouillon de l’Histoire », c’est tout simplement laisser la charge de ce brouillon aux médias qui valident l’organisation de l’événement, cf paragraphe précédent.

Le boycott pose aussi la question de l’accès à l’information de son lectorat : en tant que média, ne pas parler d’un sujet c’est empêcher (à plus ou moins grande échelle, selon la qualité de l’offre médiatique) une population de s’informer, et donc in fine, peut-être marquer un but contre camp.

Remplir sa mission d’information : aller au Qatar et refuser le jeu des services de communication

Rappelons la mission première des médias d’informations et donc des journalistes qu’ils emploient : informer une population. Quelque soit le média pour lequel les journalistes travaillent, cette mission est la même. Quelque soit les valeurs défendues par leur média, cette mission est la même. Évidemment, chaque média dispose de sa propre ligne éditoriale, cadre qui permet à une rédaction de sélectionner ses sujets, et à son public de savoir à quoi s’attendre.

Alors quand un événement tel que le Mondial de football au Qatar se présente et qu’un média a toujours couvert les événements de ce type, son boycott pur et simple est un coup de dague dans la ligne éditoriale pour laquelle une audience le suit.

Ainsi, au lieu de prendre le risque de perdre un public fidèle et de laisser la narration d’un événement controversé à ceux qui refusent de le critiquer, on peut tout à fait promouvoir l’idée de remplir sa mission d’information tout en choisissant des angles moins conciliants. Traiter du Mondial uniquement sous l’aspect des performances sportives et des nouveaux stades hi-tech n’est pas la même chose que de le traiter sous l’aspect des conditions de travail sur les chantiers des stades et de l’empreinte carbone de l’événement. Ces angles, certes un peu moins bienveillants vis à vis de l’organisation, permettront de limiter le travail des communicants et de promouvoir au maximum l’idée du journalisme en tant que contre-pouvoir, même lorsqu’il s’agit de divertissement. Ainsi, et dans les faits, pour un grand journal généraliste, la couverture du Mondial pourrait se limiter au minimum en terme d’information sportive, afin de satisfaire le besoin en information de la population à propos de ce qui reste l’événement majeur du sport le plus populaire au monde, tout en attribuant aux services d’investigation les budgets jusqu’alors dédiés au service sport.

Cette nouvelle ventilation permettrait la multiplication d’enquêtes sur les sponsors, le contrôle de l’information, le respect des droits humains… et pourquoi pas espérer des révélations sur la manière dont les sponsors gèrent leurs dissonances cognitives entre valeurs humanistes et réalités au Qatar, ou encore sur les techniques que le Qatar, la FIFA, et les sponsors useront pour tenter de contrôler… l’information.

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Chargé de projets numériques et médiatiques chez Fragil depuis 2017, musicien, auteur, monteur... FX est un heureux touche-à-tout nantais. Il s'intéresse aux musiques saturées, à l'éducation aux médias, aux cultures alternatives et aux dystopies technologiques.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017