27 octobre 2017

« Le baiser du ramadan » ou comment vivre un mariage islamo-chrétien ?

Journaliste et rédactrice résidant à Nantes, Myriam Blal vient de publier son premier roman « Le baiser du ramadan », sous-titré « le jour où je me suis marié avec un chrétien », un récit autobiographique sur le thème de la mixité religieuse dans le couple. Fragil a eu la chance de rencontrer cette jeune auteure de 33 ans pour une interview matinale.

« Le baiser du ramadan » ou comment vivre un mariage islamo-chrétien ?

27 Oct 2017

Journaliste et rédactrice résidant à Nantes, Myriam Blal vient de publier son premier roman « Le baiser du ramadan », sous-titré « le jour où je me suis marié avec un chrétien », un récit autobiographique sur le thème de la mixité religieuse dans le couple. Fragil a eu la chance de rencontrer cette jeune auteure de 33 ans pour une interview matinale.

Confortablement assise dans les larges fauteuils en cuir de notre bureau, Myriam Blal nous a détaillé les étapes de la création de son premier roman et expliqué ce qui l’a poussée à rédiger ce témoignage autobiographique.

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Interview
Myriam Blal interviewée dans les locaux de Fragil

Merwann Abboud

FRAGIL : Pouvez-vous nous présenter rapidement votre parcours ?
MYRIAM BLAL : Je suis née et j’ai grandi à Paris. Puis j’ai vécu 3 ans en Tunisie à l’âge de 9 ans. Je suis finalement rentrée en France pour y poursuivre des études de communication et de journalisme à Bordeaux, puis Saint-Etienne et Marseille. J’ai ensuite travaillé au Maroc comme pigiste, puis en France. Mais comme il faut bien vivre malgré le manque de piges, je suis également rédactrice indépendante spécialisée dans la communication d’entreprises.

« Je trouvais ça complètement insensé d’abandonner le projet d’une vie à cause de ce contexte religieux. »

FRAGIL : D’où est partie l’idée de ce livre ?
MYRIAM BLAL : Quand j’ai rencontré Maxime, mon futur mari, l’état de légèreté amoureuse dans lequel j’étais a vite laissé la place au désespoir, tant nos différences me paraissaient insurmontables. Parce que du point de vue de mon éducation arabe-musulmane, il n’était pas question que je fasse ma vie avec un non-musulman. Car dans l’islam, l’union d’une femme musulmane avec un non-musulman est interdite, tout du moins dans la religion telle qu’elle m’a été transmise. Après un an de relation secrète, j’ai dévoilé notre histoire d’amour à mes parents. Mon père a été assez catégorique en me disant: « si tu veux te marier avec cet homme, il va falloir qu’il se convertisse à l’islam ». J’ai eu le droit à une bénédiction mitigée de ma mère qui m’a juste répondu: « Tu es grande, mais sache que c’est un grand péché et tu iras en enfer ! ». A ce moment là, j’ai pris conscience que je transgressais les règles de ma religion telle qu’elle m’a été enseignée. Et en même temps, je trouvais ça complètement insensé d’abandonner le projet d’une vie à cause de ce contexte religieux. A partir de là, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose pour prouver à mes parents et à moi-même que je ne faisais rien de mal. J’ai donc entrepris des recherches avec Maxime et j’ai découvert plusieurs choses très intéressantes: il faut savoir qu’au sein de l’église catholique en France, il existe un service national de relations avec les musulmans dont la mission est d’accompagner les couples mixtes jusqu’au mariage. On m’a également mis en relation avec une association qui s’appelle le groupe des foyers islamo-chrétien, qui existe depuis 40 ans et qui a pour but de faciliter les rencontres de couples comme le nôtre pour échanger nos expériences. J’ai donc rencontré plusieurs couples, des prêtres ouverts à ce dialogue inter-religieux, tandis que pour les imams, c’est plus compliqué. J’ai rencontré aussi deux historiens et un sociologue qui se sont déjà intéressés à ces problématiques et je me suis rendu compte que cette interdiction ne repose sur rien et que c’est plus une tradition culturelle. Enthousiasmée par cette découverte, j’ai réalisé le conditionnement dans lequel j’ai été élevé pendant toutes ces années qui ne reposait que sur un consensus historique  jamais repensé et réinterrogé. Je me suis dit qu’il fallait que je témoigne, que je parle de ces rencontres et découvertes. Surtout qu’il n’y a pas de livre qui parle de cette problématique.

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Dessin-soeurs
Une musulmane ne peut pas tomber amoureuse d’un non-musulman. C’est comme de dire « ma sœur est tombée amoureuse d’un dauphin » ou « ma sœur est tombée amoureuse d’une chaise ».

Lucile Queriaud

FRAGIL : Pourquoi ce titre ?
MYRIAM BLAL : Quand j’ai rencontré Maxime, je vivais à Paris. Je suis venue le voir un weekend à Nantes pendant le ramadan. Quand il m’a accompagné à la gare, il a voulu m’embrasser sur le quai et j’ai refusé parce que le soleil n’était pas encore couché. Il n’y a donc pas eu de baiser du ramadan.

« L’idée est d’aider, donc si à travers ce livre, je peux accompagner et éclairer un ou deux couples, j’en serais ravie. »

FRAGIL : Quel accueil votre roman a-t-il reçu depuis sa sortie ?
MYRIAM BLAL : Les retours sont très intéressants. Je suis très contente parce que des personnes qui l’ont acheté, notamment des femmes, me disent qu’elles se reconnaissent dans mon histoire. Elles me remercient et j’en suis très touchée. J’ai fait un peu de promo sur des groupes Facebook et la sortie de mon livre a été très relayée et commentée. J’ai même été sollicitée pour des rencontres avec des femmes pour leur expliquer « mon islam ». L’idée est d’aider, donc si à travers ce livre, je peux accompagner et éclairer un ou deux couples, j’en serais ravie.

« On est croyants tous les deux et pour notre enfant, on se dit qu’on n’a pas obligatoirement besoin de la religion pour lui inculquer des valeurs, nos valeurs. »

FRAGIL : Comment se passe votre mariage mixte ?
MYRIAM BLAL : En fait, tout se passe assez simplement. Au début, les mêmes questions revenaient: « Comment vous allez faire pour l’éducation de vos enfants ? Est ce qu’ils seront baptisés ou circoncis ? Est ce qu’ils mangeront du porc ? ». En fait, cette rencontre avec Maxime m’a forcé à ouvrir les yeux, à approfondir mes connaissances de la religion. J’ai été obligée de prendre du recul, à m’interroger sur mes valeurs, à aller vers l’essentiel. On est croyants tous les deux et pour notre enfant, on se dit qu’on n’a pas obligatoirement besoin de la religion pour lui inculquer des valeurs, nos valeurs.

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Myriam
Myriam Blal

Merwann Abboud

FRAGIL : Vous sentez-vous toujours musulmane et Maxime chrétien ?
MYRIAM BLAL : Bien sûr ! L’islam a plein de visages différents, le christianisme aussi. C’est un rapport intime à son créateur. La vérité n’est pas contenue dans une seule tradition. C’est ce mariage qui me paraît intéressant. On est tous les deux profondément croyants et cette double croyance est une richesse. Cependant, il existe une sorte de paradigme de la supériorité musulmane sur les autres religions et j’ai été élevée dans cette idée de supériorité. Étant jeune, j’ai même demandé à ma mère si l’Abbé Pierre était voué à l’enfer vu qu’il n’était pas musulman. Elle m’a répondu « Oui, bien sûr ». Dans cette conception, il y a les musulmans et les autres, les mécréants. C’est cela qu’il faut combattre, car cette soi-disant supériorité est terriblement arrogante !

« Notre rencontre est un cadeau du ciel. »

FRAGIL : Entre l’amour et la religion, lequel est le plus fort ?
MYRIAM BLAL : Je ne dirais pas que notre amour l’a emporté sur la religion. Notre rencontre est un cadeau du ciel. Certes, on a brisé certaines barrières. Nos parents nous ont éduqués avec certaines valeurs, mais il faut savoir rester maître de son destin et s’affranchir de certains dogmes. L’important est d’être cohérent avec soi-même.

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Dessin-couple
Notre rencontre est un cadeau du ciel

Lucile Queriaud

FRAGIL : Étant née et ayant grandi en France avec des origines tunisiennes, dans laquelle des deux cultures êtes-vous plus ancrée?
MYRIAM BLAL : C’est toujours complexe de répondre à cette question, mais je pense que je me sens plus française. Quand je suis en France, j’idéalise la Tunisie et quand je suis là-bas, j’ai hâte de rentrer en France. Concrètement, c’est plus la culture française qui m’a construite. Mais j’ai beaucoup d’influences tunisiennes en moi. Ma double culture me permet de prendre du recul, d’avoir une vision plus globale du monde.

« Ma double culture me permet de prendre du recul, d’avoir une vision plus globale du monde. »

FRAGIL : Quel regard portez-vous sur la révolution tunisienne, sur la Tunisie en général et sur ses mœurs, notamment ce couple emprisonné récemment pour un baiser dans une voiture ?
MYRIAM BLAL : Cette affaire assez surprenante. Franchement je ne comprends pas. Je trouve pourtant que ça a bougé depuis le printemps arabe. Les Tunisiens peuvent plus s’exprimer qu’avant. Une loi qui autorise le mariage des Tunisiennes avec des étrangers a d’ailleurs été votée l’été dernier. L’affaire du baiser et ses conséquences montrent que tout n’est pas réglé malgré certaines avancées.

Rendez-vous dans toutes les bonnes librairies pour plonger dans cette union mixte et découvrir ce récit autobiographique qui réfléchit et interroge la place de la religion dans l’amour… et dans la vie.

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9782227492271
"Le baiser du ramadan, Le jour où je me suis mariée avec un chrétien" de Myriam Blal
Publié le 11 octobre 2017 aux éditions Bayard

Editions Bayard

Interview réalisée par Epiphane Adadja et Merwann Abboud // Dessins de Lucile Queriaud

Du Glyphosate au retour à la terre

Depardon fait salle comble avec 12 jours

Réalisateur de formation, Merwann s’intéresse à la musique, à la littérature, à la photographie, aux arts en général. De juillet 2017 à juillet 2023, il a été rédacteur en chef du magazine Fragil et coordinateur de l'association.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017