3 octobre 2018

Alain Surrans : « L’opéra appartient à tout le monde ! »

Après avoir orchestré douze saisons passionnantes à la tête de l’Opéra de Rennes, Alain Surrans dirige désormais Angers Nantes Opéra. Pour sa première programmation, il nous annonce, dans un entretien qu’il nous a accordé, quelques jolies surprises pour que l’on s’approprie autrement les mystères de la voix, et de grandioses découvertes !

Alain Surrans : « L’opéra appartient à tout le monde ! »

03 Oct 2018

Après avoir orchestré douze saisons passionnantes à la tête de l’Opéra de Rennes, Alain Surrans dirige désormais Angers Nantes Opéra. Pour sa première programmation, il nous annonce, dans un entretien qu’il nous a accordé, quelques jolies surprises pour que l’on s’approprie autrement les mystères de la voix, et de grandioses découvertes !

Parmi les temps forts de cette saison, on explorera le répertoire russe, avec « Iolanta » de Tchaïkovski (1892) et « Aleko », de Rachmaninov (1893), en version de concert, on s’abandonnera, dans des églises, à un oratorio en version scénique, « San Giovanni Battista » de Stradella (1675), sur le mythe de Salomé, mais on verra aussi, à l’opéra, « The Beggar’s Opera » de John Gay (1728), dans une mise en scène du génial Robert Carsen, la rarissime « Cendrillon » de Jules Massenet (1899), dont la vision d’ Ezio Toffolutti promet un grand moment (avec, dans la distribution, Rosalind Plowright, une chanteuse de légende !), et on vibrera enfin sur deux des opéras parmi les plus intenses du répertoire « Un bal masqué » de Verdi (1859), et « Le vaisseau fantôme » de Wagner(1843) Tout un monde de bonheurs esthétiques contrastés, mais pas seulement…

Fragil : Que représente pour vous Angers Nantes Opéra ?

Alain Surrans : Il s’agit d’une institution originale puisqu’elle repose sur une collaboration entre deux villes, alors que traditionnellement, les maisons d’Opéra en France sont très municipales. Nous travaillons aussi avec Rennes. C’est une maison qui possède toutes les corporations possibles, en dehors de l’orchestre symphonique, notamment pour la construction de décors et la création de costumes : il s’agit vraiment d’un bel outil pour les productions lyriques.

« Ce qui est passionnant, c’est cette incroyable diversité du théâtre musical, vieux de quatre siècles. »

Fragil : Quels vont être les grands axes de vos premières programmations, et quels sont les temps forts de votre première saison à la tête de cette institution ?

Alain Surrans : Nous proposons cette saison une programmation assez ouverte, qui part de fondamentaux et en particulier de la voix, que l’on va décliner de plusieurs manières. C’est ainsi que nous allons débuter un cycle de musiques du monde, pour élargir le champ des possibles. Une autre proposition, « Ça va mieux en le chantant », va inciter le public à faire de l’intérieur l’expérience de la voix, et plus seulement dans une approche de spectateur ou d’esthète. L’opéra est un lieu privilégié où s’expriment des passions humaines, tout en racontant des histoires. Cette saison par exemple, un temps sera consacré au féerique et au merveilleux, avec « Cendrillon » de Jules Massenet, un autre au romantique fantastique, grâce au « Vaisseau fantôme » de Richard Wagner. Ce qui est passionnant, c’est cette incroyable diversité du théâtre musical, vieux de quatre siècles. Nous offrons un véritable kaléidoscope de formes lyriques, avec également un oratorio de l’âge baroque « San Giovanni Battista » de Stradella, et « The Beggar’s Opera » de John Gay, un ouvrage parfaitement accessible, ancêtre de la comédie musicale.

 

[aesop_image imgwidth= »100% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/10/2ANO-74392C.jpg » credit= »Jef Rabillon » alt= »Alain Surrans dans son opéra » align= »center » lightbox= »on » caption= »Alain Surrans dans son opéra » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

 

 

« Nous voulons vraiment combattre cette idée reçue de l’élitisme ; c’est un genre qui appartient à tout le monde. »

Fragil : Comment envisagez-vous l’action culturelle, pour élargir le public et ouvrir encore plus l’opéra au plus grand nombre ?

Alain Surrans : Le choix d’œuvres, justement, porte en lui toute une démarche d’action culturelle. Avec « Cendrillon », nous partons d’une culture commune. Nous possédons tout un fond de livrets à partir desquels on peut travailler sur l’imaginaire collectif, pour qu’un opéra parle à tous. On trouve des thèmes romantiques dans « Le bal masqué » de Verdi, et dans « Le vaisseau fantôme » où un chœur énorme rappelle les chants de marins. Contrairement à ce qu’ils pensent, les gens connaissent l’opéra, et ils aiment ça ! Nous voulons vraiment combattre cette idée reçue de l’élitisme ; c’est un genre qui appartient à tout le monde. De plus, Angers Nantes Opéra peut compter sur un service d’action culturelle actif et imaginatif, et cette action est indissociable du plaisir, et d’une familiarité joyeuse avec le genre lyrique. Ainsi, le 17 octobre, le premier rendez-vous de « Ça va mieux en le chantant », avec le chœur, jouera sur l’émerveillement que provoque le fait de chanter, avec des airs que l’on fait à toute vitesse, comme celui de Figaro du « Barbier de Séville » ou le périlleux Supercalifragilis…de « Mary Poppins ». Comme le cinéma, l’opéra nous raconte des histoires qui nous font réfléchir. Ainsi, Catherine Clément a écrit un très beau livre, « L’opéra ou la défaite des femmes », où elle interroge la violence faite aux femmes au XIXème siècle dans le répertoire lyrique. Elles veulent lutter, et trouvent souvent la mort, comme « Traviata » ou Senta du «  vaisseau fantôme », qui vit avec son imaginaire. C’est par tous ces axes que l’action culturelle a vraiment une fonction de révélateur, pour que la rencontre du public avec l’opéra soit réciproque.

Fragil : Allez-vous privilégier des coproductions avec d’autres théâtres ?

Alain Surrans : Cette saison déjà, nous avons des coproductions avec Nancy pour « Le bal masqué », ou Hagen, en Allemagne, pour « Le vaisseau fantôme », et nous disposons de tout un réseau de partenaires, avec lesquels nous entretenons des affinités actives. De plus, grâce à nos relations avec Rennes, les spectacles sont présentés dans trois villes. C’est ainsi que nous proposerons au total 13 représentations du « Vaisseau fantôme ». Pour « The Beggar’s Opera », nous sommes partenaires des Bouffes du nord, et le décor a été construit à Nantes. Cette production sera jouée 25 fois dans des villes des Pays de la Loire et de Bretagne. Cette dimension régionale et inter régionale est très importante. Au cours des prochaines saisons, nous aurons aussi notamment des projets avec Lille et Limoges…

« Rien n’est plus émouvant qu’une création… »

Fragil : Vous êtes très attaché à la création contemporaine, et l’avez montré à plusieurs reprises à Rennes, notamment par « L’ombre de Venceslao » de Martin Matalon, d’après une pièce de Copi et dans une mise en scène de l’immense Jorge Lavelli. Avez-vous des projets d’autres créations pour Angers Nantes Opéra ?

Alain Surrans : Cette saison déjà, nous allons avoir quelques reprises d’œuvres d’aujourd’hui, comme « La passion de Simone » de Kaija Saariaho (2013) en octobre ou « Les aventures de Pinocchio » de Lucia Ronchetti (2017), entre février et mai 2019. Mais nous allons aussi créer des ouvrages dès la saison prochaine, où nous programmerons « L’inondation » du compositeur italien Francesco Filidei, d’après une nouvelle d’Evgueni Zamiatine (1929), et dans une mise en scène de Joël Pommerat. Ce spectacle sera coproduit avec L’Opéra Comique. D’autres projets suivront, afin d’élargir cette palette de formes, dans l’alliance du théâtre et de la musique. Rien n’est plus émouvant qu’une création, où l’on trouve une autre intensité ; c’est vraiment essentiel d’en faire. De plus, les compositeurs sont revenus vers l’opéra, et on peut désormais compter sur un répertoire contemporain très vivant.

 

 

[aesop_image imgwidth= »100% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2018/10/2Aleko2_Laurent_Guizard.jpg » credit= »Laurent Guizard » align= »center » lightbox= »on » caption= »Répétition d’Aleko » captionposition= »left » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Fragil : Dans ce répertoire contemporain également, vous avez collaboré au livret de « Genitrix » de Laszlo Tihanyi, d’après le roman de François Mauriac, créé en 2007 à l’Opéra National de Bordeaux. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?

Alain Surrans : Le souvenir d’un spectacle très fort… Le livret a été directement écrit en français, et c’est sous cet angle que j’ai collaboré avec le compositeur. Les personnages étaient très caractérisés, et particulièrement la figure de Mathilde, dont la mort constituait l’arrière plan de tout le récit ; cette femme, morte en couches, avait espéré reconquérir son mari. La mise en scène de Christine Dormoy créait une atmosphère très prenante, en jouant sur des éléments extérieurs, comme le passage du vent, dans une correspondance saisissante avec le sujet et avec la musique. Je me souviens aussi d’Hanna Schaer, qui était formidable dans le rôle de la mère. C’était très émouvant d’être dans la genèse de cette œuvre, grâce à la confiance de Laszlo.

« Pour moi, il n’y a pas de vérité dramaturgique à l’opéra, il y en a plusieurs, et l’essentiel est que ce soit vivant. »

Fragil : Vous avez dirigé l’Opéra de Rennes de 2005 à 2017. Quels en sont vos plus beaux souvenirs et vos grandes fiertés ?

Alain Surrans : Il y a beaucoup de choses dont je suis très fier. Les retransmissions d’opéras sur écrans ont créé des rencontres très fortes avec le public, et particulièrement sur « Don Giovanni », dans la mise en scène d’Achim Freyer en 2009, ou plus récemment, sur « Carmen », dans la vision de Nicola Berloffa. Je garde aussi un souvenir très intense de « La Walkyrie » de Richard Wagner, donné en version de concert en 2013. Ces années rennaises ont été des années heureuses, avec des programmations qui ne sentaient pas l’argent mais le talent. Si une mise en scène est ingénieuse, cela vaut tous les fastes. Pour moi, il n’y a pas de vérité dramaturgique à l’opéra, il y en a plusieurs, et l’essentiel est que ce soit vivant. Je suis également très heureux d’avoir redonné vie à des ouvrages oubliés, comme « La fausse magie » de Grétry, en 2010. J’ai assumé une diversité de formes, et un répertoire porteur d’approches différentes. Ce plaisir que j’ai éprouvé à Rennes, j’ai envie de le poursuivre à Angers et à Nantes, dans un dialogue fécond avec le public.

Fragil : On vous retrouvera aussi cette saison le dimanche après-midi sur France Bleu Loire Océan, où vous animerez des chroniques. Seront-elles un prolongement de la saison d’Angers Nantes Opéra ?

Alain Surrans : C’est plutôt le contraire. France Bleu Armorique m’avait déjà proposé de faire des chroniques à l’automne 2016, dont l’idée était de traverser le répertoire lyrique, mais pas seulement. Parmi les thèmes abordés, ce pouvait être les voix algériennes, le suraigu, le rubato, ou encore ce que les hommes chantent entre eux dans les civilisations différentes de la nôtre. Ces chroniques m’ont inspiré la formule « ça va mieux en le chantant », qui, à Rennes, s’appelait « Révisez vos classiques ».

« Être directeur d’opéra, ce n’est pas accomplir des rêves, mais plutôt avoir envie de partager. »

Fragil : Quels rêves, autour de l’opéra, souhaiteriez-vous réaliser ?

Alain Surrans : Je n’ai pas de rêves pour moi-même ; être directeur d’opéra, ce n’est pas accomplir des rêves, mais plutôt avoir envie de partager. Je serais heureux de programmer d’avantage d’opéras de Richard Wagner, qui est un compositeur fondamental. Les trois conflits franco-allemands ont amené une ignorance face à la culture allemande, alors que ce répertoire est magnifique, tant sur le plan musical que littéraire, et d’une belle diversité. Si je pouvais contribuer à faire aimer ce répertoire allemand, ce serait une des plus belles missions que je pourrais me donner.

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Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017