24 novembre 2025

Future·s Culture·s : « La culture, c’est ce qui fait notre humanité »

Le 22 novembre 2025, aux ateliers Dulcie September, professionnel·les de la culture et citoyen·nes se sont réuni·es pour faire le point suite aux coupes budgétaires des Pays de la Loire annoncée l'annèe dernière. Une journée d’échanges pour mesurer les effets, partager les inquiétudes et élaborer des pistes d’action collectives.

Future·s Culture·s : « La culture, c’est ce qui fait notre humanité »

24 Nov 2025

Le 22 novembre 2025, aux ateliers Dulcie September, professionnel·les de la culture et citoyen·nes se sont réuni·es pour faire le point suite aux coupes budgétaires des Pays de la Loire annoncée l'annèe dernière. Une journée d’échanges pour mesurer les effets, partager les inquiétudes et élaborer des pistes d’action collectives.

« On doit trouver des solutions parce qu’on n’a pas le choix. » constate la plasticienne Sepideh Fouladgar, adhérente au SNAP CGT. Ce 22 novembre 2025, aux ateliers Dulcie September à Nantes, artistes et citoyen·nes débattent sans relâche. Dans le froid de novembre, les discussions s’enchaînent et s’enflamment. Entre constats alarmants, fatigue partagée et résistance bien présente, la mobilisation Future·s Culture·s révèle un secteur fragilisé mais déterminé à chercher des solutions ensemble.

Des dégâts encore impossibles à mesurer

David Rolland, chorégraphe et co-délégué national du Synavi déclare au nom des organisateur·rices : « on se sent investi de la mission de réagir contre cette politique qui n’est pas budgétaire mais idéologique ». Si les situations varient selon les métiers, l’inquiétude face aux coupes traverse toute l’assemblée. Une participante dénonce « beaucoup d’invisibilité dans tout ça et eux [NDLR : les pouvoirs publics] vont argumenter en disant “vous voyez, ça va”» faute d’un état des lieux précis.

David Rolland rappelle que tout le monde peut s’exprimer dans chacun des groupes de réflexion, le 22 novembre 2025. © Amélie Fortin

Ely, syndiqué au FNSAC-CGT, redoute « la disparition progressive des structures les plus fragiles ». Le technicien du son apprécie que cette mobilisation permette enfin « d’imaginer un futur désirable ». Nicolas Chenuet, trompettiste et syndiqué à la CGT, pointe le danger de la perte progressive des compétences artistiques et techniques. « S’il n’y a plus de financement, les gens vont se détourner de leur pratique et on va perdre un savoir-faire de très grande qualité », explique-t-il. Pour lui, affaiblir la culture revient à affaiblir l’économie. Il s’agace aussi que « la rentabilité serve trop souvent d’argument politique », un critère qui, selon lui, détériore le secteur.

De gauche à droite : Ely, Sepideh Fouladgar, Aurèle Salmon et Nicolas Chenuet, le 22 novembre 2025. © Amélie Fortin

Du côté des artistes-auteur·rices, Sepideh décrit un statut incomplet et une précarité extrême : pas de chômage, pas d’accident du travail, pas d’arrêt maladie et de faibles revenus. Elle rappelle cette statistique établie par le Parti communiste français : « 50 % des artistes-auteur·rices gagnent moins 8000€ par an ».

Culture dégradée, quotidien impacté

Au cours de la journée, les intervenant·es soulignent la porosité de la frontière entre artistes et spectateur·rices. Nicolas insiste : « on ne devrait pas envisager l’art avec une fracture entre les producteurs et les consommateurs, on fait tous partie du même système ». Pour lui, chacun·e est un jour amené·e à être dans « une démarche d’apprentissage, une démarche autodidacte, une démarche de création spontanée, informelle ». Sepideh appuie : « je ne connais personne qui n’écoute pas de musique, ne lit pas, ne va jamais au ciné ». Elle imagine Nantes sans artistes, « nettement moins attractive ». Au-delà de l’économie, leur disparition entraînerait « un appauvrissement intellectuel ». Elle résume : « la culture, c’est ce qui fait notre humanité ».

Une soixantaine de personnes, en majorité professionnelles du secteur, ont participé aux ateliers Future·s Culture·s, le 22 novembre 2025. © Amélie Fortin

Pour beaucoup, le problème dépasse le secteur culturel et ébréche la démocratie. Maxime Séchaud-Do-Dang, secrétaire général adjoint de la CGT Spectacle rappelle que défendre la culture, c’est aussi protéger un espace démocratique fragilisé par l’extrême droite et les politiques de privatisation. Pour le metteur en scène et comédien, les mobilisations doivent s’inscrire dans un rapport de force plus large et engage à « faire front face à l’offensive, faut rien lâcher à court et à long terme ».

Imaginer la culture comme un service public

Les ateliers invitent à concevoir collectivement une sécurité sociale de la culture et une continuité des revenus pour les artistes-auteur·rices. Très vite, l’idée revient de penser la culture comme un véritable service public, au même titre que la santé ou l’éducation.

De petits groupes de participant·es partagent leurs idées et leurs expériences, le 22 novembre 2025. © Amélie Fortin

L’ambiance est studieuse malgré la fatigue qui se lit sur les visages. Personne ne se coupe la parole, chacun·e écoute et donne son point de vue. Loin des discours abstraits, les participant·es avancent des pistes concrètes de caisse commune, de gouvernance démocratique mêlant professionnel·les et citoyen·nes tiré·es au sort et d’accès universel ou modulé aux pratiques culturelles.

Pour structurer ces réflexions, plusieurs outils sont déployés comme un fanzine, un vidéomaton et une boîte à idées. Ils visent surtout à documenter un travail de longue haleine. Cette approche lucide ne prétend pas « tout résoudre en un jour », précise Victor Tetaz, en charge du fanzine.

Le fanzine est rédigé en direct par Victor qui synthétise les constats et les premières pistes de solutions, le 22 novembre 2025. © Amélie Fortin

Un mouvement qui refuse de s’éteindre

En fin d’après-midi, les chaises sont repliées pour laisser place au dancefloor prévu pour clôturer la journée. Le collectif prépare déjà un second rendez-vous au printemps, ainsi que des actions autour de l’anniversaire des coupes en décembre ou du prochain BISE festival de Nantes. La lassitude est là, mais personne ne parle d’abandon.

Aurèle Salmon, l’une des organisatrices, résume l’état d’esprit du jour : « je n’ai jamais autant sauvé ma peau qu’en sauvant celles des autres ». Si l’avenir de la culture inquiète, c’est parce qu’il concerne tout le monde. Et s’il mobilise encore, c’est parce qu’ici, personne n’a renoncé à « fabriquer un peu de réconfort » observe la comédienne et chanteuse.

Pour aller plus loin :

 

Curieuse, passionnée et lumineuse, Amélie a cette envie sincère de faire rayonner la culture et la solidarité nantaise.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017