29 janvier 2024

Laurent Cebe au TU : « Moche » fait mouche

Mardi 16 janvier dernier avait lieu la première du spectacle « Moche » créé par Laurent Cebe, au Théâtre Universitaire de Nantes. Cette œuvre chorégraphique, articulée autour de six danseur.euses, d’un musicien et d’un régisseur, prend la forme hybride d’une création scénique mêlant danse, musique, dessin. Le public a répondu présent à ce rendez-vous décalé.

Laurent Cebe au TU : « Moche » fait mouche

29 Jan 2024

Mardi 16 janvier dernier avait lieu la première du spectacle « Moche » créé par Laurent Cebe, au Théâtre Universitaire de Nantes. Cette œuvre chorégraphique, articulée autour de six danseur.euses, d’un musicien et d’un régisseur, prend la forme hybride d’une création scénique mêlant danse, musique, dessin. Le public a répondu présent à ce rendez-vous décalé.

Ce soir-là, tout le monde voulait être « Moche ». Le spectacle de Laurent Cebe faisait en effet salle comble, mardi 16 janvier au TU, et une vingtaine de personnes sans billet piétinaient, tentant leur chance sur liste d’attente. À 21h, les portes se sont ouvertes sur une salle entièrement revisitée pour accueillir un gigantesque tapis de jeu, bariolé de dessins, autour duquel le public a pu s’installer avec des yeux curieux. « Moche » : un drôle de mot pour un pas de côté assuré. Retour sur cette première qui a emballé la foule !

« Moche » a inspiré le public du TU Nantes, assis autour du tapis de jeu géant créé par Laurent Cebe.

« Moche », c’est le genre de représentation qui dérape, qui vacille, où rien ne se passe comme prévu. En apparence. Pendant 60 minutes, les danseur.euses improvisent une chorégraphie à partir de dessins… et tombent ! Le guitariste joue, parfois sans guitare, des mots sont hurlés, lancés, des corps s’entrechoquent. Parfois, de longs silences, puis un brouhaha. Là, un danseur vocifère. Une autre est allongée, inerte, à l’autre bout de la scène. Une autre encore est en transe, le corps tendu. Les mouvements vont et viennent entre le public et les artistes, se répondent. Musique, doute, déhanché passionné. Tout ça, c’est « Moche ». Le plaisir extatique, jubilatoire de s’accorder, pendant une heure, la possibilité de l’imperfection. Tout en justesse, émotion, énergie. Un élan de liberté qui a semble-t-il traversé le public. Iels nous ont confié leurs sentiments sur la création de Laurent Cebe.

Tonnerre d’applaudissements pour Laurent Cebe, créateur et chorégraphe de « Moche ».

« Moche », le lâcher-prise des spectateur.trices

À la sortie, deux jeunes femmes sont attablées au bar du TU, un peu dépitées : « On aurait bien aimé voir la pièce… » marmonne l’une d’entre elle. Cynthia et Amélie, qui elles ont pu assister au spectacle, en parlent avec animation : « Je connaissais le travail de Laurent. Plein de choses m’ont émue… Ça m’a fait du bien, ce côté rock and roll. »

 « Il nous a offert quelque chose. Pendant une heure, je n’ai pensé à rien, je me suis échappée. C’était bienvenu, je trouve, par rapport à l’actualité, tout ce qu’on voit chaque jour. On en avait besoin. »

Cynthia et Amélie connaissent le travail de Laurent Cebe depuis plusieurs années et n’ont pas été déçues.

D’autres sont venu.e.s en totale découverte. C’est le cas de Pierre qui se confie à Fragil, un sourire jusqu’aux oreilles.

« À des moments j’étais complètement perdu, je ne savais pas ce qui était écrit et quand c’était de l’improvisation. C’était du lâcher prise total ! »

Un lâcher-prise qui rend cette première particulièrement unique : le « Moche » du 16 janvier ne ressemblera jamais à d’autres « Moche » ! Une expérience qui a des airs de retour en enfance pour Antoine, pas vraiment familier du TU : « Je ne savais rien de la pièce, j’ai eu l’impression qu’on me ramenait à l’enfance et à une espèce de candeur. Ça m’a mis dans un rapport de moi enfant qui découvre le monde. En plus, avec les carnets de coloriage et les crayons de couleurs… » En effet, au début de la représentation, tous.tes les spectateur.trices se sont vu.es offrir un carnet pour griffonner dedans : « Tout ce qui vous inspire sur le moment, des émotions, des phrases, des mots, des lignes… ».

« Quand il y avait des silences, on entendait quelques personnes écrire dans le carnet, changer de crayon de couleur… j’étais super investi !»

Chacun.e a donc pu repartir avec un carnet personnalisé, précieux souvenir de cette drôle de soirée au TU Nantes. Presque un fanzine, finalement, montrant l’attrait particulier de Laurent Cebe pour le mélange des genres : écrit, danse, musique, chant, comédie… et vidéo ! En parallèle du spectacle, on pouvait en effet visionner dans une micro salle de cinéma du TU sa série Habiter. Là encore, une ode à l’imparfait et aux chemins transversaux.

« Habiter », série vidéo chorégraphique de Laurent Cebe, projetée au TU Nantes.

 

Le festival Trajectoires, c’est déjà fini, mais quelque chose nous dit chez Fragil qu’on n’a pas fini d’entendre parler de « Moche » ! 

 

« Moche » au TU Nantes. Photographie : Margaux Manchon

 

Margaux est arrivée à Nantes il y a quelques mois pour se lancer dans la vie tumultueuse d'illustrautrice, après quelques années parisiennes en tant qu'éditrice jeunesse. Elle aime écrire des BD rigolotes et a une vive inclination pour les livres, l'art et le féminisme.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017