22 octobre 2020

L’upcycling, tendance ou concept recyclé ?

Et non, l’upcycling n'est pas une nouvelle discipline aux jeux olympiques, ni une technique de coaching à la mode. Traduit en français par surcyclage, il s’agit de réduire la production de déchets par le réemploi d’objets en fin de vie. Ces produits initialement destinés à la poubelles, sont valorisés par certains en créations uniques et originales. Fragil est allé à la rencontre de créateurs de la région nantaise qui transforment l’inutile en bijoux, meubles ou autres objets tendances.

L’upcycling, tendance ou concept recyclé ?

22 Oct 2020

Et non, l’upcycling n'est pas une nouvelle discipline aux jeux olympiques, ni une technique de coaching à la mode. Traduit en français par surcyclage, il s’agit de réduire la production de déchets par le réemploi d’objets en fin de vie. Ces produits initialement destinés à la poubelles, sont valorisés par certains en créations uniques et originales. Fragil est allé à la rencontre de créateurs de la région nantaise qui transforment l’inutile en bijoux, meubles ou autres objets tendances.

Que faire de nos déchets ? Chaque année en France, nous produisons 568 kg de déchets par habitant (Source : Ademe). De nombreuses alternatives permettent d’éviter de jeter les objets usagés, telles que les ressourceries ou la réparation. Mais quelques créateurs ont eu l’idée d’y mêler leur talent et leur créativité.

Le terme upcycling, littéralement “recyclage par le haut” est né dans les années 1990. L’architecte d’intérieur allemand Reiner Pilz qualifiait de downcycling (recyclage par le bas) le recyclage traditionnel “qui détruit tout”. Aujourd’hui, l’upcycling est considéré comme tendance, et de nombreux articles en parlent comme une nouveauté. Pourtant, le réemploi de matériaux et d’objets a toujours existé, comme le souligne le menuisier Grégory Thomas “Je n’ai rien inventé, les menuisiers faisaient déjà du recyclage il y a cent ans. Cette démarche n’est aujourd’hui pas possible à cause de cette course au temps.” Les adeptes de cette pratique se servent de leur imagination et leur savoir-faire pour ajouter de la valeur esthétique, sentimentale, environnementale et économique aux déchets. 

Pirouette, une boutique en ligne dédiée à l’upcycling

Crédit photo : Véronic Durand

Création disponible sur le site Pirouette

En 2012, Véronic Durand a créé Pirouette, le premier magasin dédié à l’upcycling à Nantes, aujourd’hui en ligne. Elle revendique ce mot qu’elle assume complètement. “Ce terme correspond à ce que j’ai envie de défendre. J’ai toujours cette image d’avant-gardiste lorsque je l’utilise, mais c’est un moyen de marquer les esprits et de surprendre. C’est le pied de nez au déchet sale, moche et qui pue.” A travers sa boutique, la fondatrice veut dénoncer toute la matière première gaspillée, et exprimer ses valeurs autour du réemploi. La sélection Pirouette correspond à des labels et contraintes bien précises. Ce ne sont que des objets dont la matière réemployée est mise en avant. Ils doivent être sourcés, conçus, et distribués localement. Le processus doit être artisanal, en opposition avec le milieu industriel qui emploie des procédés chimiques et mécanisés.

Pirouette valorise particulièrement les matières dépourvues de filières de revalorisation, comme l’explique Véronic “En théorie tout est recyclable, il suffit de trouver les filières et les bons processus, mais il y a des matériaux qui le sont très difficilement, avec un impact environnemental trop important. Elle cite l’exemple du verre, en regrettant que les projets tels que Bout’ à Bout’ ou Jean Bouteille qui veulent remettre à l’ordre du jour la consignation des bouteilles en verre ne soient pas assez mis en avant. “On a tendance à croire que le verre est un matériau très écologique car recyclable à l’infini, alors que ce n’est pas vrai. D’abord, il faut bien le recycler. Le processus demande énormément d’énergie et de ressources, et il n’est pas recyclable à l’infini. Il existe le système de consigne qui est très intelligent au niveau zéro déchet et la base de ce qui se faisait initialement. Même avec ce système de consigne, il y a toujours des bouteilles abîmées et cassées, avec lesquelles on peut encore faire quelque chose, sans passer par les processus traditionnels de recyclage du verre.”

Chez Pirouette, l’écologie est le moteur de la moitié des achats.

Les créations mises en avant chez Pirouette attirent aussi bien une clientèle sensibilisée à l’écologie et l’éthique, qu’une clientèle portée sur l’originalité et l’esthétique. Pour ces derniers, la démarche de réemploi est un intérêt secondaire dans leur achat. Véronic explique que son axe de référencement en ligne influence énormément le type de clientèle, mais se réjouit de l’évolution des esprits. Les clients semblent s’interroger davantage sur la façon dont sont fabriqués les produits J’ai l’impression que depuis cinq ans, les gens sont davantage à la recherche d’une consommation plus engagée et responsable. Ils réfléchissent à la manière de dépenser leur argent.”

Trouver les créations qui surprennent

Pour renouveler régulièrement son offre, Véronic est constamment à la recherche de créateurs “Je vais toujours chercher les créations qui surprennent, qui ne sont pas partout. Je me rends énormément dans les boutiques de créateurs, sur les marchés et les salons ou forums, boutiques éphémères, qui me permettent de découvrir des créateurs. Je fais de la veille en permanence, en ligne ou en réel. Les créateurs viennent à moi quand ils ont trouvé la boutique ou en ont entendu parler.” Un appel à créateurs va bientôt être lancé, à l’occasion du lancement d’un marketplace, un espace où les créateurs pourront vendre directement leurs produits, après un accompagnement et un processus de sélection rigoureux de la part de Pirouette.

Une communication également basée sur la récupération

Pirouette se base sur le réemploi pour sa communication, à l’image de ses cartes de visites tamponnées sur des cartons d’emballage ou des papiers cadeaux fabriqués à base d’anciens papiers (anciens livres, BD, papiers publicitaires ou encyclopédies illustrées). “Mon mode de vie est au maximum éco responsable et zéro déchet possible.” ajoute Véronic, qui a également co-fondé le collectif zéro déchets en 2014, constitué de professionnels du milieu du déchet (associations, indépendants et entreprises individuelles). Ils se sont réunis pour travailler avec Nantes Métropole sur des initiatives concrètes de réduction des déchets. “Cela sort du projet, mais tout est lié pour moi.”

Véronic Durand

Pirouette

Site internet : https://wearepirouette.fr/

Facebook : https://www.facebook.com/pirouette.nantes/

Zinagogo créé des bijoux à partir d’objets qui ont une histoire

Zina dans son atelier

L’upcycling peut exister avec des matériaux surprenants, à l’image des bijoux d’Anne-Laure Godeau, créatrice sous le nom de Zinagogo depuis 2013. Installée dans les ateliers partagés Le Mékano à Rezé, elle crée des bijoux depuis son enfance avec ce qu’elle récupère. C’est son amour de la nature et l’idée de la préserver qui l’a d’abord menée vers la transformation d’objets “Dans un monde d’hyperconsommation, la possibilité de donner une seconde vie aux objets qui étaient destinés à être abandonné s’est facilement offerte à moi.” Aujourd’hui, la majorité des objets qu’elle réemploie lui sont apportés par des personnes rencontrées sur les marchés et salons, sensibles à sa démarche. “Je suis la case avant la déchèterie. Les gens sont très contents de savoir qu’ils ne vont pas être abandonnés et pourrir la terre. Parmi ces objets là, il y en a qui ont une certaine valeur affective.” C’est ainsi qu’elle crée des œuvres uniques à partir de machines à écrire, de montres ou autres objets mécaniques et électroniques. Elle aime jouer avec l’imagination, et ainsi montrer qu’il est possible de créer du beau à partir d’un déchet. “Pour moi, la beauté peut être n’importe où, avec le travail de l’imaginaire.”

Une préférence pour l’Économie Sociale et Solidaire (E.S.S.)

Pour vendre ses bijoux, Zina expose plutôt sur les marchés et salons organisés par les réseaux d’économie sociale et solidaire. “Il y a des valeurs que je retrouve plutôt dans le milieu des alternatives et du consommer, entreprendre et vivre autrement. Généralement, ces gens qui viennent là sont déjà sensibilisés.” Elle se réjouit de l’évolution qu’elle ressent depuis plusieurs années. La clientèle se diversifie et se rajeunit. “Au début, les gens étaient très surpris, me regardaient avec curiosité. Maintenant on me dit que je suis à la mode, alors que je n’ai jamais été à la mode de ma vie.”

La créatrice propose également des ateliers grâce au collectif de créateurs locaux “Clés”. Au delà de l’imagination et de son savoir-faire, elle essaie d’y transmettre le respect de l’environnement, et amener les participants à s’interroger sur leur manière de consommer.

Anne-Laure Godeau

Zinagogo

Le Mekano à Rezé

Facebook : https://www.facebook.com/zinagogobijoux/

Téléphone : 06 63 52 26 41

Marie-Hélène Zeidan fabrique des meubles en carton recyclé. 

Marie-Hélène Zeidan dans son atelier

C’est par la créativité que Marie-Hélène a commencé à transformer des cartons d’emballages en meubles colorés. Touche-à-tout depuis toujours, la créatrice a débuté son activité par l’organisation d’ateliers dans un but pédagogique “Mon but était que les gens n’arrivent pas en disant “Je ne peux pas, je ne sais pas”. Je leur montrait que l’on peut utiliser une perceuse, faire des montages électriques, même en faisant sauter les plombs du quartier, mais c’est possible.” Marie-Hélène a toujours créé avec des matériaux récupérés Pour elle, la créativité et le recyclage vont ensemble. Elle s’insurge de la quantité de cartons jetés en passant devant les magasins. “On ne les regarde même pas, alors que dès que l’on s’y intéresse, on se dit “mais qu’est ce qu’il est beau celui là !” Il est d’ailleurs essentiel pour elle de jeter le moins possible et de réutiliser, dans tous les domaines.

La démarche de recyclage est écologique, contrairement au matériau en lui même

Marie-Hélène reste pourtant lucide face au carton qu’elle utilise. Elle donne une attention particulière aux matériaux de finition et de collage qu’elle emploie, pour que ceux-ci soient le plus neutre possible, mais admet qu’il est impossible de connaître la composition du carton. “Le carton est aggloméré par des colles que l’on ne maîtrise pas. Le silicate de soude [utilisé comme colle, ndlr] par exemple, est tout sauf écologique. On ne peut pas se revendiquer 100% écolo lorsque l’on travaille le carton, parce que ce serait mentir.” La créatrice s’implique également dans une démarche éthique, en utilisant du papier de finition vendu par une association qui œuvre à maintenir le travail des femmes dans les vallées isolées du Népal. Le papier est conçu à partir des fibres du Lokta, des arbres qui perdent leur écorce tous les ans.

Une durée de vie équivalente à un meuble en bois

Dans le bilan environnemental, Marie-Hélène prend en considération d’autres facteurs que la composition initiale des matières premières. Un meuble en carton suffisamment bien construit supporte des charges très lourdes, il est cependant plus fragile à l’impact, mais ceux-ci peuvent se réparer. “Mes meubles crash test ont été chargés comme des mulets, mais n’ont pas bougé.” Pour prolonger la durée de vie, il est également possible de changer la finition, afin qu’elle s’adapte à la décoration.

Des stagiaires préoccupés par la démarche écologique

En plus de son artisanat, Marie-Hélène dispense des formation professionnelles à un public en reconversion. Leur démarche est généralement axée sur l’aspect environnemental, contrairement à sa clientèle, qu’elle trouve sur les salons. “Ils voient en premier lieu la personnalisation, la créativité et l’originalité. Ce n’est qu’au moment de la conception, que vient la réflexion de la nature des matériaux de finition. Je pense que c’est une question de génération.”

Création de Marie-Hélène Zeidan (site internet)

Marie-Hélène Zeidan

123 Cartons

site internet : https://123cartons.com/

Facebook : https://www.facebook.com/123cartonsnantes/?ref=tn_tnmn

Grégory Thomas fabrique des meubles en bois recyclé

Grégory dans son atelier, devant sa réserve de bois recyclé

Pour Grégory Thomas, c’est la passion du bois qui l’a amené à créer du mobilier et des objets avec du bois récupéré, il y a deux ans. Il est sensible depuis longtemps aux anciens meubles envoyés à la déchetterie. “L’idée de départ était de penser les choses différemment de ce que j’ai pu voir dans mon métier. Je me suis demandé ce qui était possible de faire pour l’éviter.” Lorsqu’il s’est reconverti dans la menuiserie il y a une dizaine d’années, il était passionné par les textures et matières des différentes essences de bois. C’est un aspect du métier qu’il n’a pas pu retrouver dans ses différentes activités salariées depuis sa formation, même si ces expériences lui ont appris le métier et surtout ce qu’il ne voulait pas faire. Sa démarche écologique s’applique à l’ensemble de la création “Étant asthmatique, je me suis d’abord intéressé aux nombreux produits chimiques que l’on utilise au quotidien en menuiserie, comme les colles et vernis.”

Un partenariat avec les ressourceries

L’artisan trouve son bois dans des meubles précis, qu’il achète aux ressourceries. Il s’agit de meubles fabriqués il y a 50 ans en série, dans des essences intéressantes, mais souvent différentes. “Aujourd’hui, le faire traditionnel est jeté car il n’est plus à la mode. Le bois que je récupère est précieux, je le garde en attendant de lui trouver une seconde vie, plus dans l’air du temps.” Les meubles achetés sont ensuite démontés, les planches triées et calibrées pour récupérer des sections les plus propres possibles. Il est contraint de stocker une grande quantité de bois à l’avance, afin de garder une unité d’essence de bois dans ses créations. 

Une création de Grégory

Du neuf avec de l’ancien

Le recyclage a pour son petit atelier l’avantage d’être peu encombrant, par rapport aux billes entières (troncs d’arbres débités en planches) qu’il faut acheter chez le négociant. Contrairement aux créations vendues par Pirouette, ses objets semblent neufs. Il est impossible pour un œil non averti de deviner qu’il s’agit de bois recyclé. “A défaut de récupérer la technique, je recycle le bois. Peut-être qu’un jour je trouverai le moyen de garder les éléments travaillés.” Il explique que c’est sa sensibilité d’artisan qui l’amène à fabriquer des meubles avec le moins de défauts possibles Il déplore d’ailleurs être régulièrement confronté à l’image péjorative du recyclage. “Les clients sont souvent surpris par l’aspect neuf de mes créations en bois recyclé.”

Grégory est aujourd’hui rattrapé par des contraintes économiques qui lui imposent un rythme en désaccord avec le recyclage. Depuis le confinement, il a été amené à se tourner vers les négociants, mais souhaite aujourd’hui se recentrer sur sa ligne directrice.

Grégory Thomas

Boiso-GT

25 rue des Charreaux

44640 SAINT JEAN DE BOISEAU

site internet : http://boiso-gt.weebly.com/

e-mail : boiso.gt@gmail.com

Téléphone : 06 64 29 26 74

Un concept remis au goût du jour

Avec des approches et techniques variées, on peut constater que les créateurs ont conscience que le concept de recyclage dans l’artisanat ne date pas d’aujourd’hui. Pourtant, la prise de conscience de leur clientèle sur le choix écologique et éthique dans leurs achats donne aujourd’hui de nouvelles perspectives à l’upcycling. Le réseau de créateurs adeptes de cette pratique dans la région nantaise est important. De nombreux évènements sont également organisés par les acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire. Il est notamment possible de rencontrer les créateurs, ou participer à des ateliers organisés par les Ecossolies sur L’autre Marché. Vous pouvez également vous renseigner auprès des ressourceries, qui proposent également des ateliers de réemploi.

Un grand merci à Véronic Durand, Anne-Godeau, Grégory Thomas et Marie-Hélène Zeidan d’avoir répondu à nos questions !

Fragil intervient à Festi'Malles : échanges autour des fake news

"Nos vies sur les réseaux" : trois ateliers à la médiathèque de Rezé

Baroudeuse à ses heures perdues, ce sont les rencontres qui l’animent. Son truc ? La photo et l’écriture, de formidables moyens d’expression et de créativité. Son baluchon se pose un instant à la rédaction, pour vous faire découvrir la diversité culturelle Nantaise.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017