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25 novembre 2016

Au fond du roman, la magie – Entretien avec Erik L’Homme

Erik L’Homme, auteur de romans jeunesse et fantasy, fait son retour cet automne, après un an d’absence de la scène littéraire, à l’occasion des Utopiales. Fragil a tendu son micro à cet écrivain qui a fêté l’an dernier quinze années de créations littéraires. Un instant pour revenir sur la définition ce genre si particulier qu’est le roman d’imagination, ainsi que sur le parcours d’un homme qui n’a pas fini de faire rêver enfants, adolescents et plus si affinités.

Au fond du roman, la magie – Entretien avec Erik L’Homme

25 Nov 2016

Erik L’Homme, auteur de romans jeunesse et fantasy, fait son retour cet automne, après un an d’absence de la scène littéraire, à l’occasion des Utopiales. Fragil a tendu son micro à cet écrivain qui a fêté l’an dernier quinze années de créations littéraires. Un instant pour revenir sur la définition ce genre si particulier qu’est le roman d’imagination, ainsi que sur le parcours d’un homme qui n’a pas fini de faire rêver enfants, adolescents et plus si affinités.

Fragil : Vous avez essentiellement écrit des romans jeunesse, mais aujourd’hui à quoi correspond ce genre plutôt récent ?

Erik L’Homme : C’est vrai que les romans jeunesse, c’est récent, ou du moins leur catégorisation. Par exemple, Jules Verne écrivait pour la jeunesse, dans le but de l’édifier à travers les romans. Or, tout le monde s’est mis à les lire. Aujourd’hui, la jeunesse est une catégorisation et ce boum de la littérature jeunesse va de pair avec un côté marchand. Ce qui me rassure moi, c’est quand les frontières restent floues. Par exemple, Harry Potter est un roman jeunesse, mais il fut une des meilleures ventes, jeunesse et adultes confondus pendant plusieurs années. Cette absence de frontières caractérise pour moi la littérature anglo-saxonne, car ils ont une habitude du merveilleux très ancienne. En Angleterre, des gens comme Roald Dahl ou Pullman font figure d’écrivains à part entière, avec une notoriété aussi fameuse que les écrivains de littérature blanche. Donc, cette catégorisation de littérature jeunesse reste quelque chose de très français, on aime ranger les choses dans des cases, c’est toujours gênant quand on en sort. Quand on aime écrire des romans imaginaires, destinés à tout public, on rentre dans la catégorisation d’écrivain jeunesse. Donc oui, j’écris des romans jeunesse, mais c’est comme ça qu’on me définit de l’extérieur. Moi j’écris des romans et il se trouve que j’ai un large public de jeunes, mais pas seulement, il y a aussi pas mal d’adultes qui lisent. Après, nous pourrions rentrer dans le détail, voir si on écrit un roman jeunesse de la même façon qu’un roman adulte. Il y a évidemment des différences, ne serait-ce qu’en France : il y a une loi qui protège la jeunesse contre les excès de violence, entre autres, mais je ne pense pas qu’il y ait besoin de ça quand on écrit pour la jeunesse.

Je lis le monde. Je le lis à hauteur d’un regard d’adolescent ou d’enfant Erik L'Homme

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Erik L'Homme
Erik L'Homme

Catherine Hélie - Gallimard Jeunesse

Pour moi, ce qui fait que j’écris des romans pour la jeunesse c’est que mes héros, ce sont des jeunes, soit des enfants, soit des adolescents. Quand ce sont des enfants, mon public sera prioritairement de l’âge de mes personnages, quand ce sont des ados, même chose et pour qu’un roman tombe juste, je m’adapte, je lis le monde, qui est le même que celui dans lequel vivent les adultes, mais je le lis à hauteur d’un regard d’adolescent ou d’enfant. Ça peut être le même monde, la même histoire, seulement elle sera vue, interprétée, décodée et déchiffrée par le regard d’un enfant ou d’un adolescent. C’est ce qui fait que quand, dans le Livre des Étoiles, il y a une scène d’une sensualité extraordinaire quand deux de mes personnages, qui ont 13 ans tous les deux, se retrouvent dans un cinéma et dans la faible obscurité : les mains se frôlent, se touchent, c’est bien la seule scène du genre qu’on va trouver dans mon roman ! Pourquoi ? Parce que quand on a 12 ou 13 ans, c’est généralement tout ce qui se passe quand on flirte, quand on commence et surtout quand on est pris à côté de ça par toute une aventure fantastique, magique. Après, dans la série A comme Association, mon héros a 16 ans, c’est un petit peu différent : il est travaillé par ses hormones, par ce qui se passe à seize ans…

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Gallimard Jeunesse

Fragil : Vous parliez des enfants, est-ce que, pour vous, il faut avoir gardé son âme d’enfant pour pouvoir écrire des livres qui leur ressemblent ?

Erik L’Homme : Je ne sais pas s’il faut avoir gardé son âme d’enfant, c’est quelque chose de difficile à définir. Je dirais, de manière plus simple, qu’il ne faut pas oublier l’enfant et l’adolescent qu’on a été, c’est ça qui est important.

C’est ça qui est génial chez un écrivain, c’est qu’on peut mettre en scène des personnages désespérément comme tout le monde, et on arrive à un moment donné en lui disant « Toi, tu vas faire de la magie » Erik L'Homme

Fragil : Quelles sont les différences entre l’enfant que vous étiez et les enfants d’aujourd’hui, ceux à qui vous vous adressez ?

Erik L’Homme : Il y a à la fois des différences et à la fois aucune. C’est-à-dire que, et heureusement pour moi, sur le fond il n’y a aucune différence. Comme personnellement je n’ai pas d’enfants et que je ne travaille pas dans un milieu d’enfants, j’ai des rapports avec les enfants comme n’importe qui, j’ai des neveux, je fais des rencontres scolaires, mais tout ce qui fait la vie et le quotidien d’un enfant d’aujourd’hui m’est assez étranger et en réalité, ne m’intéresse pas trop. Je suis un adulte, je suis déjà occupé avec mes propres centres d’intérêts. Mais j’essaie de m’adresser à ce qui reste intemporel et éternel chez l’enfant : le désir de l’aventure, le besoin de trouver sa place dans son environnement, dans le monde dans lequel il vit, l’amitié, les premiers émois de cœur… Ce sont des fondamentaux et c’est là-dessus que je joue pour construire mes histoires. Et comme en plus je situe mes histoires – sauf bien sûr Phænomen qui est un peu particulière puisqu’elle se déroule dans notre monde, avec des personnages qui eux-mêmes (je triche un peu) sont trop bizarres pour correspondre vraiment à une réalité générique – , mes personnages vivent dans des contextes de fantasy, qui ne rendent pas nécessaire la maîtrise de l’univers des enfants d’aujourd’hui. Dans le Livre des Étoiles, les personnages ont 12-13 ans, mais ils s’enthousiasment à l’idée de devenir un jour chevaliers, car il y a de vrais chevaliers dans le monde où j’écris. Heureusement, je n’ai pas joué le jeu du « Ah, je rêve d’être joueur de foot », moi je trouve ça plus intéressant d’être chevalier ou de pouvoir lancer des sortilèges sur les monstres ! L’enfant d’aujourd’hui, c’est pareil, il aimerait qu’il y ait des chevaliers pour de vrai, il aimerait qu’il y ait des monstres, il aimerait pouvoir faire la preuve de sa valeur, de manière fantasmée, de manière héroïque, de manière qui montre qu’il n’est pas comme tout le monde.

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Erik L'Homme
Erik L'Homme

Catherine Hélie - Gallimard Jeunesse

Fragil : Ça rappelle un peu Jasper (dans A comme Association, ndlr) qui, avant de rencontrer Walter, se sentait parfaitement médiocre, marginal, même avec son groupe d’amis qui forment un groupe de rock assez décalé.

Erik L’Homme : Oui, et c’est ça qui est génial chez un écrivain, c’est qu’on peut mettre en scène des personnages comme par exemple Jasper qui est désespérément comme tout le monde. Au lycée il a sa bande de potes, ils sont un groupe de rock, mais l’écrivain arrive à un moment donné en lui disant « Toi, tu vas faire de la magie ». Et d’un coup, tu as la possibilité de sortir du lot, ce qui n’est pas possible autrement. Et le lecteur va adhérer, parce qu’au fond de lui, il ressent ce besoin, il aimerait un jour découvrir son petit pouvoir, qui fait qu’il n’est pas comme tout le monde. Et, ne pas être comme tout le monde, même si au départ c’est un objectif, très vite, quand on se rend compte qu’on a des possibilités supérieures, [on se demande] à quoi ça va servir et là on débouche sur plein de problématiques très intéressantes à traiter.

Fragil : Vous avez parlé du merveilleux de la littérature anglo-saxonne, est-ce qu’on peut dire que la fantasy aujourd’hui se rapproche du conte contemporain, avec le même schéma du héros, du méchant, les péripéties et bien sûr la présence de la magie ? On pourrait par exemple citer Charles Perrault.

Erik L’Homme : Je remonterais encore plus loin, car, ces caractéristiques des légendes et des récits mythologiques fondateurs, on les retrouve déjà dans le premier roman, qui pour moi est L’Odyssée. On a un héros qui veut rentrer chez lui, qui va affronter des épreuves et qui, une fois rentré, doit encore régler les problèmes qui s’y sont installés depuis qu’il est parti. Et il doit remettre de l’ordre grâce à des « pouvoirs magiques » : c’est le seul à pouvoir bander son arc par exemple. Homère a fait très fort et depuis rien ne l’a dépassé. Pour moi, la fantasy, c’est l’actualisation, à chaque génération, de quelque chose d’ancien et de permanent. Pendant très longtemps ça a été l’apanage de l’oralité, et quand on a développé l’écrit, elle s’en est emparée, et notamment le roman.

Aujourd’hui les gens sont désemparés parce qu’on est dans un univers qui est bourré de paradoxes Erik L'Homme

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Gallimard Jeunesse

Fragil : A-t-on besoin encore aujourd’hui de magie dans notre quotidien ?

Erik L’Homme : Oui, je pense que de tout temps ça a été comme ça, avec quand même des caractéristiques propres à l’époque. Pendant très longtemps et jusqu’à l’époque moderne, c’est-à-dire jusqu’aux Lumières puis aux révolutions industrielles, l’univers quotidien des gens était baigné de surnaturel. On ne pensait pas « Ah ce serait bien que la magie existe », parce que ça existait ! Dans les campagnes, quand les vaches tombaient malades, la première chose qu’on faisait était de savoir qui avait pu jeter un sort aux vaches, on ne cherchait pas à savoir s’il y avait un virus ou si elles avaient mal mangé. Pourquoi est-ce qu’il y avait autant de pèlerinages, de culte des reliques ? Ce n’était pas pour faire semblant, c’est qu’en allant embrasser telle relique on allait peut-être guérir des yeux ou de ses maladies de peau ; il y a une pensée magique en permanence. Et aujourd’hui les gens sont désemparés parce qu’on est dans un univers qui est bourré de paradoxes : d’un côté on a la science qui se propose de tout expliquer et de l’autre on a la technologie, qui est quasiment magique. On nous dit que la magie n’existe pas mais à côté de ça, moi je travaille sur un ordinateur dont je suis incapable de conceptualiser le fonctionnement : je ne m’en sors que parce que je considère que c’est un objet magique. On nous dit que la magie n’existe pas, mais on nous propose des objets qui ont une fonction d’artefacts magiques. La science donc, qui se propose de tout expliquer, est confrontée à des limites qu’elle n’arrive pas à dépasser et sur ce qui intéresse en profondeur les gens comme : « Qu’est-ce qu’il y a après la mort ? Quelles sont les origines ? » Pour l’instant, la science ne peut apporter aucune réponse, elle nous dit qu’elle peut tout expliquer, mais pour les grandes questions fondamentales, elle nous dit « Débrouillez-vous ». C’est donc une modernité très paradoxale, qui fait que les gens sont encore plus perdus qu’avant, alors qu’on pourrait penser que c’est l’inverse. Aujourd’hui, on devrait avoir plus de points de repère, eh bien non, c’était beaucoup plus simple quand le surnaturel et le naturel étaient mêlés. Pour revenir au roman et au roman de fantasy, l’engouement qu’il suscite, c’est de resituer, de ramener le lecteur dans un univers où ce naturel et ce surnaturel sont toujours liés, et finalement où tout est plus simple.

Fragil : Tout est plus simple ?

Erik L’Homme : Oui, tout est plus simple : toujours dans le paradoxe, le lecteur va jubiler parce que des brigands vont attaquer une ferme et le gamin de la ferme va d’un seul coup révéler des pouvoirs magiques qui vont assommer ou carboniser les brigands. C’est le point de départ d’une aventure, tout le monde jubile mais aujourd’hui si on se fait cambrioler et qu’on se défend, c’est tout un drame ! Je dirais que le roman de fantasy propose des solutions qui rendent paradoxalement les choses plus simples, car à la fois plus violentes et qui emportent le lecteur qui se dit « Ce serait bien si on pouvait aller voir un sorcier du village » ou « Ce serait mieux si on pouvait abandonner sa vie pourrie puis partir à la recherche d’un joyau ».

Le roman de fantasy nous emporte loin, nous fait voyager ailleurs, dans des mondes alternatifs, dans des royaumes imaginaires Erik L'Homme

Fragil : A propos des aventures, pour vous les romans sont-ils un moyen de découvrir un autre monde ou un autre moyen de découvrir le monde ?

Erik L’Homme : Je pense que le roman de fantasy est intéressant car, en un livre, on a la réponse aux deux. Parce que d’une part le roman de fantasy nous emporte loin, nous fait voyager ailleurs, dans des mondes alternatifs, dans des royaumes imaginaires, mais en même temps, il renvoie vers notre propre monde, il nous amène à le regarder différemment.

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Gallimard Jeunesse

Fragil : Les voyages que vous avez faits influencent-ils les propres voyages de vos personnages ?

Erik L’Homme : Oui, bien sûr, mais ce sont des influences sédimentaires. Je ne voyage pas pour prendre des notes ou dans la perspective d’un roman ou de l’écriture. Je voyage et je laisse les choses affluer, travailler, les paysages, les sons, les odeurs, les rencontres que je peux faire. Tout ça vient se déposer, et c’est à partir de ça que ça pousse.

Fragil : Pensez-vous qu’il y a une plus grande liberté dans le roman jeunesse ou fantasy que dans les autres genres romanesques ?

Erik L’Homme : C’est difficile. Une plus grande liberté ?

Fragil : Une plus grande liberté de parole, une permission d’aller plus loin là où d’autres mettraient un point.

Erik L’Homme : Je dirais qu’il y a de la liberté partout et nulle part. Il y a simplement des contraintes différentes et des libertés différentes. Si j’écris un roman de littérature blanche – que je décide un jour de n’être lu que par quarante personnes – eh bien je vais prendre énormément de liberté avec le style. Ce serait quelque chose d’hyper difficile à lire mais stylistiquement, ce sera plein de recherches, avec même une intrigue minimaliste. Là, ça intéressera très peu de personnes, mais j’ai la liberté de le faire. Par contre, je sais que je ne serai lu par personne. Je parlais des contraintes que je m’imposais personnellement tout à l’heure à savoir, de coller juste. La contrainte là ça va être de rester plausible et vraisemblable : c’est-à-dire que même si par moments il y a des scènes que j’ai envie d’écrire d’une certaine manière, je ne vais pas le faire parce que c’est un personnage de 12 ans qui va les vivre et lui ne les vivra pas de la même manière que moi, un écrivain adulte, qui aurait envie de les décrire. Ce sont des contraintes positives parce qu’elles m’obligent à écrire un bon bouquin jeunesse. Mais je pense qu’il y a une plus grande liberté d’imagination, de thème et de propos en jeunesse fantasy que par exemple en littérature blanche.

Le problème de la littérature blanche, c’est qu’elle est très médiatisée Erik L'Homme

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Gallimard Jeunesse

Fragil : C’est vrai qu’on trouve peu d’elfique dans la littérature blanche.

Erik L’Homme : C’est vrai, mais je dirais quelque part que le problème de la littérature blanche c’est qu’elle est très médiatisée et que la plupart des journalistes ne comprendraient absolument pas si quelqu’un tout à coup mettait de l’elfique dans la littérature. Ça ne ferait pas sérieux. Je parlais des cases tout à l’heure, on aime beaucoup ça, les cases.

Fragil : Vous avez dit dans une précédente interview que quinze ans après le Livre des Étoiles, c’est la fin d’un cycle. Comment est-ce que vous envisagez un nouveau projet ?

Erik L’Homme : Faire des choses différentes de ce que j’ai fait. En quinze ans, j’ai abordé tout ce que je voulais aborder dans la littérature « classique » de l’imaginaire. De la fantasy, du fantastique, de l’urban fantasy, des contes, du spaceopera… Et d’ailleurs j’ai bouclé une boucle, j’ai commencé par le Livre des Étoiles, donc de la fantasy et j’ai terminé par Terre-Dragon, qui en est aussi. Et là, je ne sais pas de quoi le nouveau cycle sera fait, certainement de fantasy. J’essaye aussi d’écrire quelque chose en adulte, mais ça va être différent de ce que j’ai fait et j’avais besoin d’une année de rupture pour remettre tout ça à plat. Je sors tout juste d’une sabbatique.

Fragil : Est-ce que vous envisagez une nouvelle collaboration après A comme Association ?

Erik L’Homme : C’est possible, tout est possible et tout est a priori ouvert.

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Gallimard Jeunesse

Fragil : Vous avez écrit beaucoup de romans, mais s’il ne fallait en garder qu’un ?

Erik L’Homme : C’est super dur ça ! Mon banquier dirait le Livre des Étoiles ! C’est très difficile, très confortable et à la fois très difficile de commencer sa « carrière » par un super gros succès. C’est super facile parce que du coup beaucoup de portes s’ouvrent et puis financièrement, on peut commencer à envisager les choses différemment. Et puis en même temps super difficile parce qu’on sait que tout ce qu’il y aura derrière, ce sera moins bien, enfin, en termes de succès. Donc, si je ne devais garder qu’un livre… J’aime beaucoup Phænomen , comme trilogie, c’est un peu comme dans les Rocky, il gagne, il se fait étaler, ensuite il s’entraîne, il revient et il gagne ! Parce qu’après le Livre des Étoiles, j’avais écrit mon space-opera, Les Maîtres des brisants, qui a marché, mais qui n’a eu qu’un succès relatif par rapport au Livre des Étoiles parce que les lecteurs ont été surpris. Ce fut ma première leçon, je me suis rendu compte qu’en fait les éditeurs ne sont pas les seuls à vouloir m’enfermer dans des cases, les lecteurs aussi aiment enfermer les écrivains dans des cases et eux, ce qu’ils voulaient lire, c’est un autre Livre des Étoiles. Et moi j’arrive avec de la science-fiction, du space-opera, et ils n’ont pas compris. Alors je ne suis pas revenu à un Livre des Étoiles, mais écrit mon fantastique Phænomen et ça a de nouveau pas mal marché. Et là mon éditeur s’est dit : « Ah le con ! Il est capable de revenir de temps en temps avec des trucs sortis de nulle part ! », et d’ailleurs c’est ce que je compte essayer de faire avec mon prochain projet. Et pour revenir à la question, je dirais Phænomen.

Fragil : S’il ne fallait garder qu’un roman, mais cette fois-ci parmi tous ceux que vous avez lus ?

Erik L’Homme : C’est dur ! C’est la question à laquelle on a du mal à répondre. Et je m’en tirerai par une pirouette en disant L’Odyssée !

redouanneharjane

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Toujours la tête dans les livres, Marie est à la fois étudiante en lettres et collaboratrice depuis quelques mois à Fragil.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017