21 avril 2017

Woods : au-delà de l’ombre, la lumière

C’est le 21 avril que Woods publie sa nouvelle collection de pépites pop-folk mâtinées de psyché qu’ils peaufinent depuis huit albums. Une preuve supplémentaire que l’élection de Donald Trump a au moins l’avantage de nourrir la créativité. Rencontre avec les New-Yorkais lors de leur dernière tournée française.

Woods : au-delà de l’ombre, la lumière

21 Avr 2017

C’est le 21 avril que Woods publie sa nouvelle collection de pépites pop-folk mâtinées de psyché qu’ils peaufinent depuis huit albums. Une preuve supplémentaire que l’élection de Donald Trump a au moins l’avantage de nourrir la créativité. Rencontre avec les New-Yorkais lors de leur dernière tournée française.

Une voix haut perchée, des riffs de guitare chaloupés, une pédale steel ou wah-wah, une trompette qui de l’arrière-plan passe franchement au-devant de la scène. Ce nouveau disque en forme de surprise, Love is Love, dans la lignée du prédécesseur City Sun Eater in the River of Light (2016), aligne six morceaux qui portent la marque de fabrique de Woods depuis la sortie de With Light and With Love en 2014. Ce dernier, acclamé par la critique, a fait connaître le quintette à un public élargi, eux qui œuvraient dans l’ombre de leur home studio de Brooklyn, The Rear House (littéralement « la maison du fond », ndlr), depuis 2005. Toujours ces mélodies imparables alternant avec des expérimentations psyché incroyables et des références au reggae et aux rythmes éthiopiens. Jeremy Earl, chanteur et compositeur de la bande, explique : « La lumière et l’obscurité, le soleil et l’ombre, c’est un thème récurrent chez nous », représenté également par cet équilibre entre pop et psyché. « Nous avons besoin des deux. Mon cerveau est immédiatement attiré par une mélodie pop, mais j’aime aussi les choses plus bizarres, quand on improvise et qu’on devient un peu fous. Je trouve que c’est un joli contraste. On a parfois besoin de montrer l’obscurité pour être capable de voir le côté lumineux des choses. »

Agrandir

Woods_3719
Jeremy Earl, compositeur, chanteur et guitariste de Woods.

Sandrine Lesage

Cette ombre, toujours à l’affût dans le disque à venir, porte bien un nom, et c’est celui du 45ème Président des États-Unis. Une menace bien réelle qui a poussé Jeremy à prendre la plume bien plus tôt qu’il ne l’imaginait. « Nous n’avions pas le projet d’enregistrer un nouveau disque, et voulions continuer dans la lignée des précédents, c’est-à-dire laisser deux ans entre chaque album. Cette année, nous avions l’intention de repartir deux fois en tournée, de nous reposer et de laisser venir les chansons à nous de manière naturelle. Mais l’élection a eu lieu (Donald Trump a été élu Président des États-Unis le 20 janvier 2017, ndlr) et j’ai immédiatement été inspiré pour composer : les chansons sont sorties, elles ont coulé de source pour moi. (…) Une première, puis une deuxième, une troisième et une quatrième chanson sont venues, et je ne pensais toujours pas à écrire un album ! C’est tout simplement le résultat de la manière dont j’intégrais et gérais émotionnellement la situation. »

Mon cerveau est immédiatement attiré par une mélodie pop, mais j’aime aussi les choses plus bizarres, quand on improvise et qu’on devient un peu fous. Je trouve que c’est un joli contraste. On a parfois besoin de montrer l’obscurité pour être capable de voir le côté lumineux des choses Jeremy Earl

Le label fondé en 2006 par Jeremy, Woodsist, permet au groupe une grande liberté dans l’enregistrement, encore facilité par l’investissement passionné du compère des débuts, Jarvis Taveniere, ingénieur du son et producteur en plus de tenir la guitare ou la basse en studio. « Au bout de deux semaines environ, il était évident que nous tenions un disque. J’avais envie que les gens puissent l’écouter aussi vite que possible, donc nous avons décidé de le sortir rapidement.  J’ai parlé à Jarvis, et il m’a dit : « Enregistrons maintenant ! » C’est arrivé très vite et nous avons juste profité de cette énergie très spontanée ».

S’engager, prendre la plume

Si Woods ne s’est jamais vraiment considéré comme un groupe engagé, les récents événements dans leur pays ont réveillé une conscience citoyenne qui trouve son expression dans la musique. Pour Jeremy Earl, « la musique est à la fois une merveilleuse échappatoire, et c’est l’une des plus belles choses dans l’art : on peut toujours se tourner vers un morceau de musique ou une belle peinture, et s’extraire du moment présent. Mais je voulais absolument qu’il y ait un message cette fois-ci. Le message étant une simple méditation sur l’amour : l’amour, comme l’art, est l’une des meilleures choses dans la vie, et sera toujours là. Je souhaitais faire passer cette image : « Nous connaissons une période sombre, et il y en a eu d’autres au cours de l’histoire. Regardons en direction de l’amour et il reviendra ». »

Récemment, Woods a fait partie des artistes à l’affiche de concerts organisés au profit de ACLU (l’Union Américaine pour les Libertés Civiles s’est engagée à combattre les mesures prises par Trump et contraires aux libertés et droits individuels, ndlr) et Planned Parenthood Action (organisation à but non lucratif qui défend les droits des femmes et à une information sur la sexualité et les moyens de contraception, et gérant des centres de planification familiale dans tout le pays, ndlr). Le chanteur s’en explique modestement : « A un moment comme celui-ci, si quelqu’un est en mesure de faire quelque chose, qu’il le fasse. C’est important de rester positifs et d’aider des organisations qui risquent de perdre leurs financements alors qu’on a besoin d’elles. C’est effrayant. Alors si on peut donner l’argent récolté en donnant quelques concerts, c’est la moindre des choses, et ça peut aider…».

Agrandir

Woods_3823
Woods a vu son line-up évoluer au fil des années, pour aboutir à cette formation à cinq qui délivre sur scène une énergie rayonnante, loin du concert folk autour du feu auquel on pourrait s’attendre.

Sandrine Lesage

Nous connaissons une période sombre, et il y en a eu d’autres au cours de l’histoire. Regardons en direction de l’amour et il reviendra Jeremy Earl

Bien que les élections récentes touchent les habitants de la ville comme de la campagne, Love is Love est le troisième disque d’affilée à s’identifier à l’esprit citadin, « tout simplement car je me trouvais en ville au moment des résultats. », explique Jeremy Earl. « Comme pour chacun des albums de Woods, je capte l’environnement dans lequel je suis, quel qu’il soit. » Dans la discographie du groupe, certains disques portent en effet la parure plus bucolique de la nature : Sun and Shade et Bend Beyond ont été écrits alors que Jeremy passe du temps dans sa petite ville natale de Warwick, dans l’État de New-York. Deux heures de route et voilà le groupe absorbé par la grande ville, sa cacophonie ambiante et son rythme effréné. « C’est l’atmosphère de la ville qui ressort [dans Love is Love] car j’ai vu la réaction des gens le lendemain [de l’élection], marchant dans la rue, l’air maussade, étrange. Cela m’a affecté, c’est sûr, mais je n’ai jamais eu le projet de faire un album qui sonne comme un disque citadin. »

Énergie rayonnante

Woods a vu son line-up évoluer au fil des années, pour aboutir à cette formation à cinq qui délivre sur scène une énergie rayonnante, loin du concert folk autour du feu auquel on pourrait s’attendre. « Cela fait quatre ans que le groupe est tel qu’il est actuellement. Nous sommes tous restés de très bons amis, surtout Jarvis et moi qui jouons ensemble depuis le début…C’est comme une deuxième nature pour nous, nous sommes comme des frères », admet Jeremy. Entre les morceaux, peu de bla bla, quelques mercis et signes reconnaissants, le groupe est là pour jouer, et bien. La section rythmique constituée par Aaron Neveu à la batterie et Chuck Van Dyck à la basse, se concentre tête baissée sur un jeu tout en finesse, tandis que le nonchalant John Andrews, aux claviers, sonde le public du regard entre deux chœurs. Le duo Jeremy/Jarvis, le premier à la guitare acoustique ou électrique, le second faisant claquer sa six-cordes grâce à un jeu de pédales et des soli endiablés, se répond et s’emporte sur les impros psyché qui déchaînent tout le monde dans la salle. La tournée française en 2017 ne se limite plus à une date parisienne comme précédemment, mais comprend six concerts dans tout l’hexagone. « La plus longue tournée jusqu’à maintenant ! » concède Jeremy, qui se rappelle particulièrement de La Rochelle, « un très bel endroit » et d’un accueil très positif de la part du public français. Pour le concert parisien dans la petite et chaleureuse salle de la Maroquinerie dans le 20ème arrondissement, le trompettiste accompagnant d’ordinaire Cléa Vincent et Tahiti 80 sera le sixième membre du groupe. Les répétitions l’après-midi même ont permis de tester pour la première fois des morceaux comme Bleeding Blue, sans conteste l’une des envolées du nouvel album, avec sa trompette virevoltante et ses chœurs en apothéose. On pense au groupe Love, avec ces cuivres, mais aussi à leurs échappées psyché proches de celles de Woods, même si cette formation à l’apogée de son talent en 1969 n’est pas une des influences de Jeremy.

Le duo Jeremy/Jarvis, le premier à la guitare acoustique ou électrique, le second faisant claquer sa six-cordes grâce à un jeu de pédales et des soli endiablés, se répond et s’emporte sur les impros psyché qui déchaînent tout le monde dans la salle

Composer, produire, graver

Sur Woodsist, le label du groupe, les signatures à suivre de près se sont multipliées depuis plus de 10 ans, parfois produites par Jarvis Taveniere : Kevin Morby (ancien bassiste de Woods), Real Estate, Widowspeak, Vivian Girls, Ducktails… Parmi les dernières sorties, Jeremy nous conseille de surveiller Hand Habits, le projet de Meg Duffy, guitariste talentueuse de Kevin Morby, avec qui il a eu plaisir à travailler : « J’aime toujours sortir le premier album d’un artiste et le montrer aux gens » confie-t-il. « On vient également de sortir le disque de John Andrews and The Yawns. Il joue du clavier pour nous et il est aussi dans le groupe Quilt. C’est un très bon album, qui sonne à la fois comme Woods et comme Quilt, mais avec son atmosphère propre. John est un super ami : c’est comme ça que j’aime travailler, avec des amis, et j’aime pouvoir publier leurs disques ». Pour le moment, Jeremy Earl, ancien étudiant aux beaux-arts et graveur à ses heures perdues, est également bien occupé par la conception graphique des disques de Woods. Et s’il devait faire appel à un autre artiste pour ses pochettes ? Cela lui pose question : « Doit-il être vivant ? » demande-t-il en éclatant de rire quand il apprend qu’il a carte blanche. « Mon rêve ultime serait Keith Haring, j’aurais adoré qu’il puisse concevoir quelque chose pour nous. J’aime à la fois la simplicité et l’audace de son travail. Ç’aurait été génial. Pour ce qui est d’un artiste vivant, c’est une question difficile mais… je pense à Raymond Pettibon. C’est lui qui a réalisé les pochettes des premiers albums de Black Flag (dont il est le fondateur, ndlr) et des disques du label SST Records, ou encore d’un disque de Sonic Youth (Goo, ndlr).  J’ai toujours été inspiré par son œuvre : je pense qu’il a beaucoup de talent et qu’il pourrait s’intégrer dans notre travail, en décalage, avec son côté commentateur de la société. Aujourd’hui, il pratique plutôt la peinture et une exposition lui est consacrée en ce moment à New-York. »

C’est comme ça que j’aime travailler, avec des amis Jeremy Earl

Au-delà des styles musicaux entre pop et expérimentations, la notion de lumière intervient également dans des références plus littérales dans les paroles et les titres des chansons et des albums, comme une échappatoire au chaos de ce monde. La lumière, c’est pour Jeremy « cet élément spirituel vers lequel je tends ou qui m’inspire et sur lequel je n’arrive pas à mettre un nom. Je suis attiré par [cette chose], bien que ce ne soit rien de spécifique… Je crois que c’est ma quête pour…(il hésite) ce qui compte vraiment. Cela pourrait être un dieu, cella pourrait être le soleil…mais je ne suis pas sûr, je n’ai pas encore trouvé la réponse » ajoute-t-il dans un rire. A l’avenir, Jeremy Earl se voit bien devenir gérant de label à part entière : « Je sais qu’un jour – je ne sais pas quand – je voudrais produire plus de groupes, sortir plus d’albums, mais pour le moment, je me concentre sur la composition et le groupe » admet-il. Afin de poursuivre cette quête solaire, que l’on souhaite encore semée de fulgurances mélodiques et tortueuses.


L’album Love is Love sort le 21 avril en digital et le 19 mai prochain en physique.

Sans la musique (et l'art), la vie serait une erreur. Passionnée par le rock indé, les arts visuels et les mutations urbaines, Sandrine tente de retrouver l'émotion des concerts, de restituer l'univers des artistes et s’interroge sur la société en mutation.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017