9 février 2018

Vivir y otras ficciones

Cette semaine sort le nouveau film de Jo Sol « Vivir y otras ficciones », un film délicat et drôle, Prix du Jury Jeune au dernier festival de cinéma espagnol de Nantes, qui ose parler d’un sujet tabou : la sexualité des personnes handicapées. Le réalisateur espagnol présentait son film en avant-première au Katorza mardi dernier, Fragil y était.

Vivir y otras ficciones

09 Fév 2018

Cette semaine sort le nouveau film de Jo Sol « Vivir y otras ficciones », un film délicat et drôle, Prix du Jury Jeune au dernier festival de cinéma espagnol de Nantes, qui ose parler d’un sujet tabou : la sexualité des personnes handicapées. Le réalisateur espagnol présentait son film en avant-première au Katorza mardi dernier, Fragil y était.

Antonio est écrivain. Il est tétraplégique aussi. Pour lui, jouir d’une sexualité épanouie est un droit auquel tout le monde devrait avoir accès mais le sujet est sensible et personne ne semble vouloir s’en mêler. Alors Antonio prend les choses en main, à sa manière. Contre l’avis de son aide-soignante et face à la perplexité de Pépé, son assistant de vie, notre nouvel activiste va mettre en place un lieu d’assistance sexuelle, chez lui. Une prostituée, séduite par son argumentaire passionné va s’investir à ses côtés avec une grande bienveillance.

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Duo-Antonio_Pepe
Antonio et Pépé

Allocine

Au plus près de la réalité, entre documentaire et fiction

Jo Sol n’est pas le premier à aborder ce thème sensible de l’accès à la sexualité des personnes handicapées. En 2000, Nationale 7 suivait René dans son objectif de faire l’amour avant que l’évolution de sa maladie ne l’en empêche. En 2012, Geoffrey Enthoven filmait le road-trip de trois jeunes hommes handicapés vers une maison close en Espagne dans Hasta la vista, une comédie belge à l’humour décapant.

La caméra se glisse dans l’intimité des protagonistes jusque dans la chambre à coucher.

Jo Sol a lui, fait le choix de la réalité brute. La caméra se glisse dans l’intimité des protagonistes jusque dans la chambre à coucher. Il filme la nudité des corps déformés par la paralysie et les scènes de sexe sans filtre.
 D’ailleurs Antonio et Pepe ne jouent pas des rôles, ils existent et sont amis dans la vraie vie. Le tournage a eu lieu au domicile d’Antonio. « J’ai une histoire à raconter et cette histoire a quelque chose de réel, les faits se sont réellement produits dans la vie de ces personnes », explique le réalisateur.

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Pepe
Pépé

Allociné

« Si on ne fait rien à ce sujet, c’est comme si les gens n’existaient pas »

A travers cette conquête de la sexualité, ce film nous offre une véritable réflexion sur la différence. Comment est-elle vécue au quotidien ? Quel regard porte les « gens normaux » sur le handicap ? Le sentiment de dépendance et de solitude affective est retransmis avec une extrême justesse, car le metteur en scène équilibre la balance de l’émotion avec l’humour. Son personnage principal a envie de croquer la vie à pleines dents, il ne veut pas se contenter de survivre là « où tous les jours se ressemblent ». Épicurien, Antonio est farouchement drôle et aime à déstabiliser ses détracteurs en jouant du second degré « On m’a déjà traité de monstre, de sale handicapé, d’infirme ; à côté de ça, mac c’est rien ! » Pour lui, une existence pleinement accomplie passe naturellement par le corps et le désir. « Si on ne fait rien à ce sujet, c’est comme si les gens n’existaient pas », estime-t-il.

Le duo que forme Antonio et Pepe est insolite et c’est ce qui le rend touchant.

A ses côtés on retrouve Pepe, un sexagénaire cabossé par la vie. Son histoire est floue, tout comme les séquences qui le suivent où réel se confond avec imaginaire. Pepe a du mal à se faire sa place dans ce monde. Il se réfugie chez lui pour oublier, le temps d’un repas avec son fils, dont on ignore s’il a jamais existé, une solitude des plus pesantes. Ces scènes qui sont empreintes d’une mélancolie magnifiée par la musique flamenco de Nino de Elche sont bouleversantes.
Le duo que forme Antonio et Pepe est insolite et c’est ce qui le rend touchant. « Nous sommes face à deux hommes qui cherchent à conquérir leur existence dans une lutte contemporaine et politique» explique le metteur en scène.

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débat-Jo-Sol
Image du débat qui a suivi l'avant-première du film

Jean-Gabriel Aubert /Katorza

L’assistance sexuelle, qu’en dit la loi ?

La perception de la personne « handicapée » comme sujet — de droit, de parole, d’actes, mais aussi sujet de désir — est très récente. L’objectif de l’assistant sexuel étant d’éveiller la sensualité et de satisfaire aux besoins de la personne handicapée, ses missions peuvent aller du simple corps à corps à la pénétration, en passant par la masturbation.

En France on est face au même débat que pour la prostitution.

En France on est face au même débat que pour la prostitution. L’acte d’accompagnement sexuel en tant que tel n’est pas interdit. C’est le fait d’y avoir recours ou de l’organiser, par exemple pour une association, qui est interdit. Cela s’appelle du proxénétisme.
« En Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas où le travail sexuel est légal, le statut d’assistant sexuel a été facilement créé. Au Japon ce statut est bénévole et les prestations sont gratuites. En Espagne, l’assistance sexuelle est reconnue mais pas encadrée», nous explique Jo Sol.
Sans aller jusqu’à « la branlette remboursée par l’État » le message du film a porté ses fruits car Antonio a aujourd’hui pu créer un modèle d’autogestion entre assistants sexuels et clients sur internet, un service qui rencontre un franc succès, bien mérité !

Pour que vive Marianne…

Une expo de dessins à voir à Saint Herblain

Alsacienne d'origine, exilée dans le sud après un périple de quelques mois autour du monde, Christelle vient de poser ses valises dans la charmante ville de Nantes. Ciné, musique, expo, elle vous invitera à la suivre dans l'exploration de son nouveau terrain de jeu !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017