16 février 2023

« Via Injabulo » : un spectacle de danse qui met à l’honneur la pantsula

Dans le cadre du festival de danse “Trajectoires”, le Théâtre Onyx à Saint-Herblain a présenté, le 21 et le 22 janvier dernier, le spectacle « Via Injabulo », une création de la compagnie sud-africaine Via Katlehong Dance chorégraphiée par deux talents européens de la danse.

« Via Injabulo » : un spectacle de danse qui met à l’honneur la pantsula

16 Fév 2023

Dans le cadre du festival de danse “Trajectoires”, le Théâtre Onyx à Saint-Herblain a présenté, le 21 et le 22 janvier dernier, le spectacle « Via Injabulo », une création de la compagnie sud-africaine Via Katlehong Dance chorégraphiée par deux talents européens de la danse.

Du 11 au 22 janvier dernier, s’est tenu la 6e édition « ébouriffée et joyeuse » du festival de danse Trajectoires. Pour cette édition 2023, la riche programmation du festival s’est très largement ouverte sur le monde et les genres, comme l’atteste la programmation les samedi 21 et dimanche 22 janvier au Théâtre Onyx à Saint-Herblain de « Via Injabulo », la nouvelle création de la compagnie sud-africaine Via Katlehong Dance. Cette compagnie, créée en 1992 et aujourd’hui dirigée par Buru Mohlabane et Steven Faleni, tire son nom du township éponyme où est née la pantsula, danse sociale et contestataire qui constitue le matériau dansé à partir, sur et autour duquel la compagnie travaille depuis des années.

« Via Injabulo », le dernier spectacle de la compagnie créé en 2022 à l’occasion du festival d’Avignon, ne déroge pas à la règle et poursuit cette entreprise en mettant à l’honneur (entre autre) cette danse populaire sud-africaine. Via Katlehong a souhaité confier cette nouvelle création pour huit danseur·ses à deux chorégraphes européens : Marco da Silva Ferreira, chorégraphe portugais dont le parcours professionnel s’articule autour des danses urbaines et Amala Dianor, chorégraphe franco-sénégalais qui a commencé par la danse hip-hop avant de se former et de s’intéresser à la danse contemporaine. Le spectacle s’organise donc en deux parties, respectivement intitulées ‘Forms informs’ et ‘Emaphakathini’ (« entre deux » en zoulou). Inspirées de l’énergie frénétique de la danse pantsula, les deux pièces du spectacle célèbrent chacune à leur manière sa virtuosité et sa technicité qui exige une grande dextérité dans la coordination des pas, la rapidité des mouvements des danseur·ses et leur force d’ensemble mais aussi le caractère festif de cette danse. Cette dimension récréative ne doit cependant pas faire oublier que la pantsula, danse originaire des townships noirs de Johannesburg, est aussi une danse sociale et contestataire à vocation éducative.

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Répétition du spectacle Form Informs

John Hogg

La pantsula, une danse sociale et contestataire des townships de Johannesburg

La pantsula est née dans les années 60-70, sous le régime de l’apartheid en Afrique du sud et plus particulièrement dans les townships de Johannesburg (notamment ceux d’Alexandra et de Sophiatown, un quartier central de Johannesburg rasé par le régime raciste d’apartheid pour faire la place aux Blancs), à un moment où les populations rurales noires étaient déplacées vers les grandes villes et regroupées dans des ghettos. C’est donc dans ces ghettos où règnent chômage et criminalité, que naît la culture pantsula comme un moyen de réagir aux déplacements forcés et à laquelle va s’identifier toute la jeunesse des townships. Au départ, la pantsula était pratiquée par des troupes composées d’hommes d’un certain âge qui se livraient à des formes de compétitions informelles de danse, dans la rue puis progressivement, elle s’impose et se répand dans toute l’Afrique du sud. Vers la fin des années 1970, la pantsula, jusque-là pratiquée uniquement par les hommes, va toucher les Sud-Africains noirs de tous âges et des deux sexes. Pour la jeune génération, la pantsula est plus qu’une danse, c’est une célébration de la liberté retrouvée depuis la fin de l’apartheid, un mode de vie, une façon d’être et d’agir. Cette forme d’expression très stylisée est devenue une culture urbaine, pratiquée dans la rue par des groupes de danseur·ses ou des collectifs qui s’entrainent ensemble et qui ensuite vont se challenger de façon plus ou moins formelle. La pantsula est donc dansée par tout le monde, dans différents contextes, des fêtes, des concours ou dans des moments plus quotidiens.

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La pantsula : une danse rythmique et énergique

John Hogg

Le mot ‘pantsula’, d’origine zoulou, signifie ‘se dandiner comme un canard’. Aux différentes danses d’origine africaine, notamment les danses bantoues et en particulier tswanas, la pantsula emprunte les tapements de pieds et les mouvements de jambes. Dans la plus pure tradition africaine, elle recourt aussi au mime et à la parodie pour raconter une histoire tout en dansant. Mais on reconnait aussi un grand nombre d’influences extra-africaines qui s’y sont mêlées comme le jazz américain des années 20 avec le charleston, le jazz des années 30 et l’influence très forte des claquettes. A partir des années 80, on voit progressivement apparaitre une acculturation du hip-hop et du break-dance qui vont aussi être associés à cette danse.

Au-delà de l’aspect festif et récréatif de la pantsula, cette danse érigée en culture urbaine a aussi une dimension sociale et contestataire comme moyen de lutter pendant l’apartheid puis après, de sensibiliser les populations des townships sur les grandes questions et les problèmes sociaux contemporains. Parce que la pantsula regroupe les populations, elle est aussi l’occasion de faire passer des messages autour de grands problèmes endémiques, comme dans les années 90 autour du sida. Enfin et surtout, la pantsula a permis à des jeunes de se tenir éloignés de la rue ou de la drogue, dans des townships où la violence, les émeutes et la drogue sont monnaie courante. À l’instar de Buru Mohlabane, un des co-directeurs artistiques de la compagnie Via Katlehong Dance qui affirme que la danse a changé sa vie, en l’arrachant à la rue : « Dans la danse, je n’ai pas seulement appris la danse, mais aussi la discipline, la discipline de la vie, la discipline de la danse. Je suis tombé amoureux de la danse, à cause de la discipline et l’engagement qui y régnaient entre les membres de Via Katlehong. Nous avons pris cela au sérieux et nous nous sommes engagés » . L’idée que la pantsula puisse servir la communauté est même l’une des raisons d’être à l’origine de la création de la compagnie Via Katlehong Dance qui, dès le départ, a eu une vocation sociale et éducative forte.

Des townships à la scène

La compagnie Via Katlehong Dance est créée en 1992 par quatre danseurs de rue, issus du ghetto de Katlehong (dont elle tire son nom) qui connait alors de nombreux soulèvements. Dans tous ses spectacles, la compagnie défend la culture pantsula dont elle est issue. Dès le départ, elle initie un travail de création qui mêle la culture pantsula avec d’autres formes de danses communautaires d’Afrique du sud. La compagnie y intègre par exemple le “gumboot” (danse percussive des mineurs sud-africains pratiquée avec des bottes en caoutchouc). Et surtout, elle contribue à faire sortir ces danses de rue authentiquement sud-africaines du ghetto, à les porter sur scène et à les faire connaître du grand public et des institutions.

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Répétition avec le chorégraphe Marco da Silva Ferreira

John Hogg

Dans cette perspective, la compagnie invite des chorégraphes contemporains à créer à partir des spécificités de la pantsula, comme ce fut le cas en 2017 avec le chorégraphe sud-africain Grégory Makoma qui présente alors « Via Kanana », une création contemporaine qui dénonce la corruption omniprésente en Afrique du sud, en s’appuyant sur les savoir-faire dansés de la compagnie. Pour leur nouvelle création « Via Injabulo », la compagnie a fait appel au chorégraphe portugais Marco da Silva Ferreira et à Amala Dianor, chorégraphe franco-sénégalais qui ont tous deux un parcours professionnel dans la danse de rue. Ils ont été invités en Afrique du sud pour partager l’expérience de vie des danseur·ses dans le township. « Dans tous nos spectacles, nous racontons notre vie. Avec ces deux chorégraphes, nous avons étudié leur travail et nous nous sommes rendu compte que leur travail est très énergique et qu’il y a beaucoup de similitudes entre nous et ces deux chorégraphes. Nous voulions créer un spectacle ouvert, avec beaucoup d’énergie et qui exprime ce que nous ressentons. C’était une bonne idée de faire venir les deux chorégraphes de la France et du Portugal en Afrique du Sud. Ainsi, nous avons pu apprendre aussi leur culture et leur façon de travailler » explique Buru Mohlabane, directeur artistique de la compagnie.

Via Injabulo, un « voyage vers la joie » enchanteur

La pantsula est une danse très syncopée, les pas sont très rapides, et les mouvements très techniques. Ces séries de mouvements de pieds et de jambes, appelés des footworks, constituent la base à partir de laquelle les danseur.ses proposent ensuite des déclinaisons. C’est à travers ces jeux de jambes et de mouvements de pieds que se créent ensuite les pas et surtout le rythme de la chorégraphie. Le groupe, la dimension collective est également très importante dans la pratique de cette danse qui y puise toute la force de son expression. La musique est évidemment un élément central de la pantsula qui se danse le plus souvent sur fond de house music et surtout de kwaito, un genre musical ayant émergé à Johannesburg, en Afrique du Sud, pendant les années 1990, qui mêle différentes sonorités issues de musiques africaines.

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Amala Dianor et les danseur.ses de la compagnie Via Katlehong Dance

John Hogg

Dans ce nouveau spectacle dont le titre signifie en zoulou « voyage vers la joie », on est très vite saisi par l’énergie qui se dégage des huit danseuses et danseurs dont on ne peut que saluer la maitrise des mouvements, très techniques, exécutés avec agilité et célérité. Si l’entrée en scène est silencieuse et de ce fait, s’opère sur un rythme plus lent, les chorégraphies s’accompagnent ensuite de musique de plus en plus entrainante comme pour mieux accompagner leurs danses énergiques faites de contorsions, de tournoiements des hanches, de frappes des pieds et de claquements des mains. Élément constitutif de la culture pantsula comme moyen de communication, le sifflement est également pleinement intégré au spectacle et nous amène davantage à nous plonger dans l’ambiance festive des townships. Amala Dianor notamment avec Emaphakathini s’attache particulièrement à dépeindre la vie de la communauté dans les ghettos : danser, écouter de la musique, faire la fête… en transposant sur scène cette manière de se retrouver avec des glacières et des boissons. Les chorégraphies n’occultent pas cependant de mettre en scène les tensions dans les ghettos, inhérentes au pays et à son contexte instable et complexe.

On ne peut qu’être émerveillé·e par la prouesse des huit danseur·ses dont la totale coordination des mouvements et des pas dans les moments collectifs de danse impressionnent, les chorégraphies sont millimétrées et parfaitement maitrisées, exécutées à l’unisson en alternance avec des solos ou des duos ! On se dit alors, après avoir assisté à la représentation, qu’assurément, la compagnie Via Katlehong Dance est parvenue à nous transmettre sa joie à travers ce spectacle, tel un triomphe de la fête, un hommage à la vie et à la jeunesse, mais aussi une ode à la résilience dans un pays qui n’a pas été épargné par les difficultés. Et pour celles et ceux qui regrettent déjà de n’avoir pu assister à un tel spectacle célébrant la fureur de vivre, qu’ils et elles soient rassuré·es, ils et elles vont pouvoir quand même se plonger dans l’ambiance frénétique de Via Injabulo en se rendant sur la plateforme Arte.tv sur laquelle le spectacle est disponible en intégralité et ce jusqu’au 1er décembre 2023 !

Les pépites de la Folle Journée de Nantes

Les "mini-critiques" analysent des films en avant-première avec Fragil

Prof d'histoire-géo et plutôt curieuse de tout, j'ai très envie de partager avec vous mes découvertes sur tous les sujets en contribuant à Fragil !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017