18 mai 2020

Syndicalisme à Broadway

Angers Nantes Opéra a programmé en février 2020 « The Pajama Game », une réjouissante comédie musicale créée en 1954 à Broadway, où l'on chante et l'on danse sur un conflit social. Une légèreté qui fait du bien, dans une actualité particulièrement pesante !

Syndicalisme à Broadway

18 Mai 2020

Angers Nantes Opéra a programmé en février 2020 « The Pajama Game », une réjouissante comédie musicale créée en 1954 à Broadway, où l'on chante et l'on danse sur un conflit social. Une légèreté qui fait du bien, dans une actualité particulièrement pesante !

Les années 1950 ont constitué une période faste pour la Comédie Musicale américaine, et les créations d’œuvres illustres se sont enchaînées à Broadway, telles My Fair Lady  (1956), West Side Story  (1957) ou la bouleversante Mélodie du bonheur (The Sound of Music, en 1959). C’est l’immense chorégraphe Jerome Robbins ( trois ans avant de monter au théâtre West Side Story, dont il sera ensuite l’un des réalisateurs du film mythique) qui a mis en scène en 1954 la création de The Pajama Game  au St James Theatre de Broadway, où  Hello Dolly! sera joué pour la première fois dix ans plus tard, en 1964.

Ce tourbillonnant Pajama Game a vu le jour en plein maccarthysme, cette période de peur du communisme et de chasse aux sorcières qui secoua les États-Unis entre 1950 et 1954, au début de la guerre froide. La pièce d’Arthur Miller, Les sorcières de Salem (The Crucible), qui reflète cette sombre époque, a été représentée pour la première fois en 1953, également à Broadway.  Cette proximité de dates et de théâtres est un troublant paradoxe, dans des genres et des thématiques  aux antipodes !

Agrandir

1_The_Pajama_Game_©M.-Cavalca

©M. Cavalca

Un hymne à la joie étourdissant !

The Pajama Game , a été présenté par Angers Nantes Opéra dans une mise en scène de Jean Lacornerie et du chorégraphe Raphaël Cottin. Jean Lacornerie dirige le Théâtre de la Croix Rousse à Lyon depuis 2010. Ce metteur en scène, qui explore le théâtre musical dans toute sa diversité, a collaboré à ses débuts avec Jacques Lassalle, notamment au début des années 1990, pour une très belle Bérénice de Racine, où Jean-François Sivadier était particulièrement émouvant en Titus. Il a signé en 1994 la mise en scène de La glycine, un texte étonnant de Serge Revzani (auteur des paroles du tourbillon d’la vie  chanté par Jeanne Moreau), au Théâtre du Vieux Colombier , un spectacle de la Comédie Française où l’on voyait  Martine Chevallier, Jeanne Balibar et Eric Ruf.

En 2016, Jean Lacornerie et Raphaël Cottin ont monté L’opéra de quat’sous  de Kurt Weill et Bertolt Brecht au Théâtre de la Croix Rousse à Lyon. Ils se retrouveront la saison prochaine pour une  chauve-souris de Johann Strauss, à l’Opéra de Rennes et à l’Opéra d’Avignon. Leur Pajama Game est un hymne à la joie, complètement étourdissant !

Un monde du travail qui chante et qui danse

L’action s’inspire d’un roman de Richard Bissel  (qui a aussi collaboré au livret), 7½ Cents,  publié en 1953. Elle a pour cadre une usine de confection de pyjamas, où les employés se battent pour une augmentation de salaire de 7,5 cents. On entend en voix off le patron qui énonce de façon autoritaire ses objectifs, tandis que le spectacle décline tout un lexique du monde du travail, qui résonne avec le quotidien de travailleurs d’aujourd’hui : la pression, les cadences, la pénibilité et la répétition des mêmes gestes. Mais ces détails prosaïques volent en éclats dans les chansons aux mélodies touchantes,  pleines de rythme et d’humour, de Richard Adler et Jerry Ross, suggérant que la vraie vie est ailleurs. Cette impression est accentuée par le cocktail de couleurs acidulées du spectacle, dans les costumes poétiques de Marion Menagès, d’où se détache l’éclat du rose fushia, mais aussi du jaune et du bleu intense, ainsi que de beaux dégradés de vert. Il y a dans cette usine un côté festif, par delà les frustrations et l’ennui du quotidien, et la chorégraphie pleine de rythme de Raphaël Cottin apporte une véritable fièvre à des ensembles qui dynamisent le public.

Agrandir

9_The_Pajama_Game_©M.-Cavalca

©M. Cavalca

Un salvateur éclat de rire

Avant le début de la représentation, un programme à la couverture rose est distribué à chaque spectateur, à l’intérieur duquel on a glissé un énigmatique morceau de tissu rouge. Deux figures de l’entreprise se détachent, Sid Sorokin, son nouveau directeur exécutif, et Babe Williams, la porte parole du comité économique et social, donnant lieu à quelques réjouissants affrontements. Les revendications atteignent un spectaculaire paroxysme lors d’une scène de manifestation qui s’étend sur toute la salle du théâtre Graslin, plongée dans une lumière rouge. Galvanisés par les discours qui viennent du plateau, les spectateurs brandissent les tissus rouges, en répétant de façon dérisoire des revendications qui trouvent un écho avec les préoccupations du moment, mais qui se brisent dans un salvateur éclat de rire.

Sous les revendications : un cœur qui bat

La vie de l’usine est ponctuée d’événements, telle cette journée où l’on se lâche à l’occasion du pique nique annuel du syndicat. C’est aussi l’occasion d’un joyeux moment du spectacle, avec les musiciens qui sont en fond de scène, portant des bleus de travail. Jean Lacornerie et Raphaël Cottin ont effectué ici un formidable travail de troupe, où les chanteurs sont à la fois acteurs et musiciens. C’est fascinant de voir chaque comédien prendre son instrument pour rejoindre le trio de musiciens à la fin d’une scène ! Ces interprètes ont tous de magnifiques présences et des tempéraments marquants; ils débordent d’une énergie communicative.

Agrandir

4_The_Pajama_Game_©M.-Cavalca

©M. Cavalca

L’amour triomphe !

La représentation est traversée par des coups de théâtre. Ainsi, la représentante syndicale est licenciée pour faute grave, parce qu’elle a saboté une machine. Mais l’événement se confond avec un autre effet de surprise, l’histoire d’amour entre Babe, cette déléguée du personnel , et Sid, le nouveau chef. Le glissement progressif  des revendications vers le sentiment amoureux amène de savoureux quiproquos, mais aussi une atmosphère plus sensuelle dans les numéros musicaux. L’histoire s’achève sur un Happy End. L’augmentation demandée est enfin accordée, suite à la découverte de petits arrangements financiers et de détournements d’argent du côté de la direction de l’entreprise…et l’amour triomphe !

Agrandir

3_The_Pajama_Game_©M.-Cavalca

©M. Cavalca

Un irremplaçable moment de bonheur

Angers Nantes Opéra offert au public un irremplaçable moment de bonheur, avant la fermeture des théâtres et la période de confinement. Il n’y avait pas eu de comédies musicales américaines au Théâtre Graslin depuis les années 1980, avec Hello Dolly ! de Jerry herman  (Mars 1981), La mélodie du bonheur de Rodgers et Hammerstein (Février 1982) et Cabaret de John Kander (Mai 1988, dans la mise en scène de Jérôme Savary). Il s’agit d’ un spectacle total, qui mêle le théâtre, le chant, la musique et la danse, et donc complètement à sa place sur une scène d’opéra.

Agrandir

ANO1920-PAJAMA-DECAUX-1

Angers Nantes Opéra

La troupe du « Pajama Game » :

Avec dix artistes (jeu, chant, instruments)
Dalia Constantin, Marianne Devos, Marie Glorieux, Vincent Heden, Pierre Lecomte, Mathilde Lemmoniet, Amélie Munier, Zacharie Saal, Cloé Horry, Alexis Meriaux

Percussions Gérard Lecointe
Piano Sébastien Jaudon
Contrebasse Daniel Romero

Podcast "Education2.0" : L'histoire du numérique à l'école

Les ateliers confinés : de l'utilité de comprendre certains mécanismes

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017