23 mars 2020

Sandrine Abello fait chanter tous les publics à Tours

Sandrine Abello est chef de Chœur à l'Opéra de Tours depuis 2018, après avoir exercé ces fonctions à Angers Nantes Opéra et à l'Opéra National du Rhin. Elle raconte avec passion son métier, ses coups de cœur et des temps forts de son parcours.

Sandrine Abello fait chanter tous les publics à Tours

23 Mar 2020

Sandrine Abello est chef de Chœur à l'Opéra de Tours depuis 2018, après avoir exercé ces fonctions à Angers Nantes Opéra et à l'Opéra National du Rhin. Elle raconte avec passion son métier, ses coups de cœur et des temps forts de son parcours.

Fragil : Vous avez pris vos fonctions de chef de chœur à l’Opéra de Tours en octobre 2018. Comment travaillez-vous sur un ouvrage avec le chœur ?

Sandrine Abello : Lorsque nous abordons un opéra, nous commençons d’abord par dire le texte, en le lisant en rythme et en mesure . On le traduit s’il a été conçu dans une autre langue, afin de bien savoir ce que nous racontons ; on met en place les respirations et les césures, qui vont avec le discours, pour qu’elles aient du sens avec le texte et avec la musique. Ce n’est qu’ensuite que nous travaillons par pupitres, lors de leçons partagées avec le pianiste chef de chant, pour apprendre les notes. Enfin, nous faisons des ensembles généraux en regroupant ces pupitres. A Tours, comme dans la plupart des opéras en France, il s’agit d’un chœur professionnel, qui travaille cinq jours par semaines, le matin et l’après-midi lorsqu’il y a des leçons, l’après-midi et le soir lorsqu’il y a mise en scène. Avant chaque spectacle, on se retrouve deux heures avant le début de la représentation pour chanter certaines parties et faire des raccords, avant que les choristes n’enchaînent sur le maquillage.

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Sandrine Abello

« J’aime cette mission d’ouverture de l’opéra vers tous les publics, en changeant le regard de ceux qui croient que ce n’est pas pour eux et en désacralisant le lieu. »

Fragil : Quelles sont vos missions et qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans votre métier ?

Sandrine Abello : Je suis chef de chœur et coordinatrice artistique de la médiation. C’est à ce titre que je rencontre les équipes pédagogiques lorsque nous menons des actions auprès des écoles, ou l’art-thérapeute quand nous intervenons auprès de maisons de retraite. C’est un principe d’échanges sur le répertoire lyrique d’opéra et d’opérette. Des élèves assistent à une répétition du chœur, chantent avec les choristes ce qu’ils ont appris, visitent le théâtre et découvrent un répertoire en rapport avec la saison. Dans les maisons de retraite, nous créons de petits événements en rapprochant les familles autour du chant. Nous sommes également allés deux fois à l’hôpital Bretonneau, chez des gens mentalement fragiles, nous animons des séances pour la petite enfance, en nous déplaçant dans des crèches ou en faisant des concerts pour des bébés de 0 à 3 ans. Je fais chanter tous les quinze jours dans les locaux de l’Opéra des femmes en difficultés qui vivent dans des foyers, grâce à l’association cultures du cœur. On aimerait mettre en place un atelier de chant participatif, avec par exemple une orientation vers les familles pour réunir toutes les générations. Nous cherchons toujours des lieux nouveaux. Ainsi, nous organisons des répétitions publiques dans divers lieux de la ville, comme la bibliothèque, le hall d’entrée de l’hôtel de ville, ou le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré, où nous allons présenter le 12 juin la création pour violoncelle et chœur d’un musicien de jazz en résidence à Tours, Baptiste Trotignon, qui compose pour nous. Notre directeur Benjamin Pionnier sait bouger les lignes et j’aime cette mission d’ouverture de l’opéra vers tous les publics, en changeant le regard de ceux qui croient que ce n’est pas pour eux et en désacralisant le lieu. Il y a beaucoup d’humain dans mon métier; la musique est un vecteur de rapprochement et de lien.

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L'Italienne à Alger

Sandra Daveau

« Je voulais que le chœur soit brillant, et j’ai obtenu une grande satisfaction. »

Fragil : Quel spectacle vous a particulièrement ému depuis votre arrivée à l’Opéra de Tours ?

Sandrine Abello : C’est L’italienne à Alger de Rossini,qui a été présenté en février 2019, dans la mise en scène de David Hermann. C’était mon premier opéra à Tours, et il représentait pour moi un véritable challenge, car il faut toujours faire ses preuves dans ce métier. Je voulais que le chœur soit brillant, et j’ai obtenu une grande satisfaction. De plus, c’est un spectacle que j’avais vu à l’Opéra de Nancy, lorsque j’étais encore chef de chœur à l’Opéra National du Rhin, sans savoir que je travaillerais un jour dessus. C’était  émouvant de le retrouver ainsi.

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L'Italienne à Alger

Sandra Daveau

Fragil : Quelles sont les grandes œuvres pour chœurs affichés cette saison à Tours ?

Sandrine Abello : La plus grande, aussi bien pour sa longueur des pages pour chœurs que pour l’investissement qu’elle demande, c’est Giovanna d’Arco de Verdi, que nous sommes en train de déchiffrer*. On commence à travailler les partitions assez tôt afin de tranquilliser les choristes, en leur laissant du temps pour que cela mûrisse. Nous répétons en même temps d’autres ouvrages, deux ou trois en même temps. Ce qui est très sympa cette saison, c’est le Don Quichotte de Jules Massenet, qui contient de beaux ensembles pour chœurs même s’ils sont moins nombreux. C’est un opéra qui n’est pas souvent représenté et pourtant, la musique est superbe. Les deux temps forts de cette saison sont aussi le concert de musique américaine prévu le 5 avril dans le foyer du Grand Théâtre **, et la création de Baptiste Trotignon en juin.

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Sandra Daveau

« Nous avons du plaisir à le faire, et c’est un spectacle qui vaudra le détour. »

Fragil : Giovanna d’Arco de Verdi, qui est programmé en mai, est également un opéra qui n’est pas souvent représenté. Que pouvez-vous nous en dire ?

Sandrine Abello : En l’écoutant, on pense à d’autres ouvrages du compositeur, comme Don Carlo et  Macbeth. On retrouve bien l’empreinte de Verdi, avec également les airs brillants du ténor ou de la soprano. Le personnage de Jeanne d’Arc (Giovanna d’Arco) est très touchant. C’est étonnant que ce ne soit pas plus souvent joué car c’est très beau, et merveilleusement bien écrit pour le chœur. Nous avons du plaisir à le faire, et c’est un spectacle qui vaudra le détour.

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Andrea Chénier

Sandra Daveau

« C’est quand on sait que l’on va perdre quelque chose qu’on en mesure la valeur. »

Fragil :  Vous avez également été chef de chœur d’Angers Nantes Opéra entre 2010 et 2013. Quel souvenir en gardez-vous ?

Sandrine Abello : C’est un très bon souvenir. J’y avais travaillé pendant plus de dix ans en qualité de chef de chant. Je connaissais donc la maison et j’avais l’impression de retrouver des copains, même si ce sont des gens très sérieux, avec lesquels on a fait du bon travail. L’Opéra de Nantes est ma maison de cœur, et j’ai ressenti beaucoup d’émotion durant les saluts de mon dernier spectacle, la fameuse Traviata de mai 2013, car je ne savais pas quand j’allais reprendre mon métier. De plus, j’ai été très marquée par la  belle production d’Emmanuelle Bastet, et par la direction d’un chef que j’adore, Roberto Rizzi Brignoli. J’étais nostalgique mais pas triste, car je voulais profiter de l’instant le plus longtemps possible. C’est quand on sait que l’on va perdre quelque chose qu’on en mesure la valeur.

« J’avais peur d’aborder pour la première fois un tel monument, et j’ai énormément travaillé. »

Fragil : Lorsque vous étiez chef de chant à l’Opéra de Nantes, vous avez collaboré au début des années 90 sur la Tétralogie de Richard Wagner, dans la mise en scène de Philippe Godefroid, en accompagnant au piano les répétitions de La Walkyrie et du Crépuscule des Dieux. Comment s’approprie-t-on de tels ouvrages ?

Sandrine Abello :  J’avais peur d’aborder pour la première fois un tel monument, et j’ai énormément travaillé. De plus, les trois actes de La Walkyrie sont très différents, mais lorsque je suis arrivée sur Le crépuscule des Dieux deux ans plus tard, j’étais nourrie de cette première expérience. Ce sont des opéras très longs, qui demandent des heures d’investissement chaque jour, on les écoute beaucoup et on les décortique. La partition piano chant est conçue pour sonner le plus possible comme l’orchestre, afin d’amener des repères aux chanteurs. Il va cependant manquer parfois la petite flûte qui aide la soprano à prendre sa note. Le pianiste chef de chant, lorsqu’il est seul avec les solistes, les guide vers ce qu’il veut qu’ils fassent, sur les notes, les intentions, les nuances et les expressions. Il remplace l’orchestre durant les répétitions, où le chanteur doit se sentir dans un écrin qui le rassure. J’ai retrouvé Wagner à plusieurs reprises, en tant que chef de chœur, avec Le vaisseau fantôme à Dijon et à l’Opéra du Rhin, et avec Tristan et Isolde, dans la mise en scène d’Olivier Py à Dijon en 2009.

…la cour du château de Montal est un lieu incroyable et un décor en lui même…

Fragil : En 2006, vous avez dirigé et accompagné au piano L’enlèvement au sérail de Mozart, dans une mise en scène d’Olivier Desbordes présentée au Château de Montal, dans le cadre du Festival de Saint-Céré. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?

Sandrine Abello : J’ai beaucoup aimé. Il s’agissait d’une version pour piano et quatuor à cordes , un ensemble avec lequel nous avions également fait les petites noces de Figaro  en tournée dans une trentaine de villes. Olivier Desbordes est quelqu’un de passionnant, qui a une idée à la seconde ! J’adore le .Festival de Saint-Céré, et la cour du château de Montal est un lieu incroyable et un décor en lui même, suffisamment fermé par les murs pour que les voix et les instruments sonnent bien, surtout la nuit. C’est très impressionnant de voir l’ampleur prise par ce festival depuis ses origines, et la qualité des spectacles présentés.  L’ambiance est extraordinaire, avec un côté qui reste intime : les spectateurs sont là avant tout pour la musique.

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©Maud-Subert
La flute enchantée

Maud Subert

« …la fin me fait toujours pleurer. »

Fragil : Quel est l’opéra qui vous touche le plus ?

Sandrine Abello : J’adore La bohème de Puccini, la fin me fait toujours pleurer. Je me dis toujours que je ne vais pas craquer, mais je n’y arrive jamais.

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La flute enchantée

Sandra Daveau

« Mes coups de cœur sont toujours pour des chefs d’orchestres. »

Fragil : Pouvez-vous citer un souvenir particulièrement fort dans votre itinéraire artistique ?

Sandrine Abello : Je pense à ma rencontre avec le chef d’orchestre Daniele Callegari, sur Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas en 2015 à Strasbourg. Il y avait un double chœur, et je ne disposais pas assez de supplémentaires. Aussi, les choristes passaient d’un chœur à l’autre pour donner l’impression de deux ensembles. Plusieurs mois avant la première répétition, j’ai demandé son avis au chef d’orchestre, qui m’a répondu que je pouvais faire cet arrangement mais que si celui-ci ne lui convenait pas, il demanderait au choeur de reprendre la version originale. Chose qui aurait été impossible considérant le temps restreint dont nous disposions avant les spectacles et surtout l’effectif de chanteurs constituant le choeur. Ce challenge compliqué m’a mis beaucoup de pression. Lorsque Daniele Callegari a découvert le résultat lors de la première répétition musicale, j’ai vu son visage s’ouvrir. Il se disait que ça fonctionnait. Il a validé l’arrangement proposé. J’avais gagné mon challenge ! Plusieurs mois plus tard, nous en avons reparlé, il m’a avoué qu’il était conscient qu’un retour en arrière aurait été impossible… Je n’avais pas le choix, il fallait que « ça sonne » comme écrit dans la partition… J’ai beaucoup appris avec ce grand chef lyrique pour mon métier, notamment dans la manière de faire travailler un groupe. Mes coups de cœur sont toujours pour des chefs d’orchestres.

*L’entretien a été fait le 20 février 2020

**Ce concert est annulé en raison de l’épidémie de Covid-19.

Edito : Confinement désinvolte

Journée de formation sur les métadonnées organisée par Fragil

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017