Estelle Meyer, comédienne, chanteuse et autrice, ouvre la soirée du lundi avec son spectacle « Niquer la fatalité ». Elle y parle de la femme, des femmes, dont Gisèle Hallimi. Estelle, c’est un mélange d’une force incroyable, entre douceur et puissance, une interprète à suivre de très près.
La lutte féministe étant intersectionnelle, il était important de débattre des problématiques écologiques. Pour cela, Carmen Demestre et Cindy Haddad étaient présentes. Il y a 12 ans, elles ont créé ensemble un collectif féminin pour dénoncer la pollution omniprésente dans les aires d’accueil. La leur jouxte un champs pourri aux pesticides, une cimenterie et une usine de concassage. « Les asthmes sévères et les bronchites pulmonaires touchent les enfants, parents et personnes âgées, personne n’est épargné. ».
Lena Lazare, étudiante en agro-écologie était invitée pour les Soulèvements de la Terre. Elle nous rappelle le rôle majeur qu’ont tenu les femmes dans les années 1970/1980 dans la lutte contre le nucléaire. Plusieurs groupes se sont formés dans le monde entier derrière le slogan “sorcière, vénère, anti-nucléaire”. Pour la plupart pacifiques, certains mouvements, dont a fait partie l’écrivaine Françoise d’Eaubonne, posent des bombes pour tenter de stopper la construction de centrale.
Anna Kiejna, polonaise et membre de « Elles sans frontières », prendra la parole pour parler de la montée de l’extrême droite. Pour elle « tout ce que ce mouvement raciste préconisait dans les années 1980, le gouvernement actuel, financé par l’Eglise, l’applique ». Plus inquiétant, l’entraînement de jeunes hommes dans des camps quasi militaires renforce le patriarcat déjà bien implanté. Aujourd’hui la possibilité d’avorter n’est possible que si la vie de la mère est en danger.
Pour ramener un peu de gaieté et ne pas oublier les combats déjà gagnés, la chanteuse Tzigane Marcela et ses guitaristes clôturaient la soirée. On dit d’elle qu’« elle chante l’exil, raconte son déracinement et fait danser les malheurs de sa voix puissante. »
De ces deux jours de débats, que faut-il retenir ?
Que pour que les choses changent, il faut des activistes féministes au sein des institutions pour faire bouger les lignes de l’intérieur. Une réflexion est à mener au sein des réseaux militants autour d’une formation politique.
Qu’il est important que les membres du conseil européen s’accorde sur une définition commune du viol. Admettre la nécessité d’un consentement positif mettrait fin à la déresponsabilisation de l’agresseur face à l’absence de résistance. Instaurer une obligation de « oui » plutôt qu’une incompréhension de « non ».
Que l’Europe puisse s’inspirer de l’Espagne sur l’éducation des médias et la formation de tous les professionnels concernés dans le domaine de la police, de la justice, de la santé et du social aux problématiques féministes. Tout comme il est primordial que se mette en place une éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle dès le plus jeune âge, comme c’est le cas en Estonie. « Cela pourrait éviter que BFM traite le cas du sénateur qui drogue sa collègue à son insu comme un fait divers et non comme un fait systémique et systématique » rappelle Alice Coffin, journaliste et militante féministe. Elle était invité sur le plateau de BFMTV pour débattre.
Que l’Europe pourrait aussi s’inspirer de la Slovénie qui a inscrit dans sa constitution, et dans sa charte des droits fondamentaux, le choix de donner ou non la vie. Cette inscription garantit, entre autres, une contraception et un accès à l’avortement libres et gratuit·es ainsi que la PMA pour les couples de femmes, les femmes seules et les personnes transgenres.
Qu’un congé parental d’égale durée minimale obligatoire pour les deux parents mettrait fin à une mise à disposition prématurée des corps pour les employeurs, toujours plus précautionneux pour leur productivité que pour les personnes. Il aiderait aussi à un équilibre des charges mentales lors d’une naissance. La Suède est alors un exemple à suivre, tandis que le Danemark offre les meilleures prestations pour les structures de gardes, qui permettent aux parents de reprendre le travail plus paisiblement.
Que la non prise en charge systématique des enfants comme en Belgique ou en France, après des cas avérés de violences domestiques, entraîne des situations ubuesques. C’est le cas d’une petite fille qui, pendant dix-huit mois, est obligée de rendre visite à son père qu’elle identifie pourtant comme son violeur. Pire, le procès de sa mère, qui refuse de livrer son enfant à ce géniteur incestueux. En Espagne, qui interdit depuis 2021 le recours au SAP (syndrome de l’aliénation parentale, beaucoup utilisé pour décrédibiliser la parole de l’enfant), le fait est établi qu’un mauvais mari est aussi un mauvais père. La justice considère l’enfant témoin comme une victime de la violence conjugale et le protège en conséquence.
Que l’autonomie financière est le socle de l’indépendance, un salaire minimum vitale doit être garantie à toute personne résidant au sein de l’Union Européenne. L’imposition strictement individuelle comme on l’observe en Suède est à développer afin de ne pas pénaliser les salaires des femmes, souvent plus bas que ceux des maris. De plus, on pourra saluer la France dans sa mise en place systématique d’un intermédiaire pour les pensions alimentaires.
Que les femmes ne sont malheureusement pas toujours nos alliées. Les italiennes en ont fait la douloureuse expérience avec l’arrivée au pouvoir de Georgia Melloni qui menace le droit à l’IVG et « retire le statut parental, pourtant établi, des mères lesbiennes » rappelle Silvia Casalino, ingénieure spatiale, réalisatrice et militante féministe lesbienne d’origine italienne. En Hongrie, c’est aussi une femme qui fait passer une loi obligeant les personnes ayant recours à une IVG à écouter le bruit du cœur en construction du fœtus.
Pour répondre à toutes celles qui dénigrent le féminisme, une intervenante estonienne vous conseille de leur rappeler « toute l’ingratitude dont elles font preuve quant aux luttes passées qui leur permettent aujourd’hui de mener la vie dont elles jouissent, et de leur demander de ne pas affaiblir celles qui continuent de lutter pour des droits essentiels/existentielles. »
Que malheureusement aucun pays ne possède de lois assez complètes et solides pour soutenir les femmes issue de la migration et celles qui travaillent dans la prostitution.
Qu’une harmonisation des données à l’échelle européenne est importante afin de pouvoir établir une base de données, indispensable pour parer un négationnisme décomplexé de l’extrême droite.
Que deux jours entourée de personnes bienveillant·es et engagé·es permettent de redonner foi et joie pour la suite des combats.
En moyenne 20% de nos lois, soit 1 sur 5, sont décidés au niveau européen.*
Violaine Lucas, présidente de Choisir la cause des femmes établit avec d’autres un constat alarmant : « l’extrême droite est créditée de 25% des sièges aux prochaines élections européennes ».
Il n’y a plus la possibilité de fermer les yeux sur une élection qui ne nous concernerait pas, qui serait trop loin de nous. Aller voter le 9 juin, après ces deux jours de discussions, semble relever d’une nécessité.
« De l’avenir des femmes peut naître l’avenir de l’Europe »
Les participantes : Sara Schlitz (BE, Maria Miguel Sierra (BE), Rositsa Kratunkova (BG), Nada Peratovic (HR), Derya Beyatli (CY), Eliška Kodysova (CZ), Rahel Kelus (EE), Haniyeh Ozroudi (FI), Alice Coffin (FR), Sophie Pouget (FR), Adama-Sira Leblay (FR), Nardine Meshreky (GR), Anna Ivanuyi (HU), Boglárka Petrás (HU), Eniko Pap (HU), Ailbhe Smythe (IE), Mirella Parachini (IT), Benedetta Comes (IT), Virginija Aleksejune (LT), Egle Puidokaite (LT), Maya Dimitrijevic (MT), Marta Lempart (PL), Anna Kiejna (PL), Polina Bulycheva (PL), Alexandra Alves Luís (PT), Daniela Draghici (RO), Centrul Filia (RO), Zuzana Kriskova (SK), Tonja Jerele (SI), Elena Valenciano (ES), Belen Zurita (ES), Teresa Hernandez (ES), Demet Ergun (SE)
L’équipe de Choisir : Sakshi Arya, Maria Cornaz Bassoli, Manon Kerivel, Ana Cuesta, Violaine Lucas, Lisa Gordet, Noémie Girardot
*https://france.representation.ec.europa.eu/informations/80-des-lois-francaises-sont-imposees-par-leurope-vraiment-2019-03-20_fr