1 février 2022

Musiciennes et musiciens amateurs : un monde méconnu

Pour en savoir plus, Fragil est allée à la rencontre d’une musicienne amatrice nantaise Alice Ha pour connaître son parcours, ce qui l’anime au regard de l’ensemble du monde des musiciens amateurs.

Musiciennes et musiciens amateurs : un monde méconnu

01 Fév 2022

Pour en savoir plus, Fragil est allée à la rencontre d’une musicienne amatrice nantaise Alice Ha pour connaître son parcours, ce qui l’anime au regard de l’ensemble du monde des musiciens amateurs.

Vous avez souvent croisé des musicien.ne.s amateur.ice.s lors de différents évènements, mais au-delà de leur prestation musicale vous vous êtes peut être demandé qui sont-ils vraiment.

Pour avoir une photographie un peu générale de ce que sont les artistes amateurs aujourd’hui, un éclairage nous est apporté à la fois par le témoignage d’un jeune musicienne guitariste Alice HA jouant de la guitare et de la basse autour de différents styles (punk, folk) mais aussi compositrice. En parallèle une étude a été publiée en 2020« Les pratiques collectives en amateur dans les musiques populaires » commandé par la FEDELIMA (Fédération des lieux de musiques actuelles).
Les réalisateurs de cette étude ont interrogé 1300 musiciens en ligne et une centaine lors de rencontres collectives. Ce travail n’est bien sûr pas représentatif de tous les musiciens, mais il apporte une vision significative où d’autres musiciens pourront se reconnaître également.

Au préalable qu’appelle-t-on musiciennes et musiciens amateurs ?

Ce sont des personnes qui ne tirent pas leurs principaux moyens de subsistance de la pratique musicale. Le champ de l’étude est celui des musiques actuelles (jazz, chant, musiques du monde, électro…)

Alice Ha, premiers pas seule en scène

Fragil : Alice, peux-tu nous dire quel a été ton parcours musical ?

Alice : « Disons qu’au départ mon milieu familial a été favorisant. Mes parents aiment la musique, mon grand frère était déjà à l’école de musique, je voulais faire comme lui.
J’ai donc débuté à 5 ans au jardin musical dans ma commune à Laval où j’ai fait 2 ans de solfège et un an de guitare classique ; mais j’ai trouvé cela très scolaire, bien qu’aimant beaucoup le solfège. Puis à 7 ans j’ai intégré une chorale jusqu’à 14 ans.
A ce moment là j’ai repris la pratique d’un instrument et j’ai choisi la basse en prenant des cours à l’école de musique. Très rapidement après 2 mois de pratique mon professeur nous a orientés vers la pratique en groupe pour se produire en concert.

Parallèlement mes parents ont aménagé un studio dans notre garage pour mon frère et ainsi j’ai pu aussi en profiter pour répéter. À 15 ans accompagnée par ces derniers ce qui était sécurisant pour moi, j’ai organisé mes premiers concerts dans des bars. Puis au lycée j’ai monté un groupe de filles élèves avec moi à l’école de musique avec un style plutôt « punk grunge » et un deuxième groupe « punk rock ».
Ensuite je suis partie faire mes études de régisseuse-lumière et j’ai arrêté les concerts mais je jouais de la guitare pour moi. J’ai participé également à un groupe de comédie musicale pendant plusieurs années où je chantais. Depuis 2017, j’ai 2 groupes plutôt style punk, un sur Nantes et un avec des copains d’une autre ville avec qui nous avons fait des tournées à l’étranger, particulièrement dans les pays de l’Est. En 2020 j’ai commencé mon projet solo plutôt folk avec des compostions en anglais et quelques reprises. Pour moi la musique est avant tout un loisir jusqu’à maintenant je n’ai jamais pensé à devenir professionnelle ».

Des points commun avec l’étude en référence au parcours d’apprentissage

Les parcours individuels en musique

La grande majorité fait remonter les origines de leur pratique musicale à l’enfance avant 15 ans. 24 % se déclarent autodidactes. Cependant l’entrée à l’âge adulte est souvent évoqué comme une période charnière ; en effet un musicien sur cinq abandonne à cet âge et une discontinuité musicale se produit à partir de l’entrée dans les études. La vie familiale et professionnelle stoppe cet investissement dans la musique.

Le profil

L’âge moyen des musiciens(ciennes) interrogé(e)s est de 36 ans. Seules 2 sur 10 sont des femmes. Au vu des résultats, les catégories socio-professionnelles les plus représentées sont les cadres, professions intellectuelles et catégories intermédiaires
Les styles de musique les plus pratiqués pour les personnes interrogées sont  le rock la pop folk, suivis du métal.

La pratique collective

Les scènes ouvertes aux amateurs sont désignées comme déclencheurs. Les groupes se constituent souvent à l’adolescence avec les copains chez les garçons et au sein des écoles pour les filles. Les réseaux sociaux sont aussi un facteur important pour intégrer un groupe. Les musiciens s’y inscrivent lorsqu’ils pensent avoir atteint une légitimité et une autonomie musicale.

Fragil : A quel moment t’es tu sentie légitime pour jouer en groupe et faire des concerts ?

Alice: « C’est une bonne question. À sept ans je suis montée sur scène, j’avais un solo de chant, je n’avais pas le choix , même si j’avais peur il fallait que j’y aille. Au début de mon apprentissage de la basse c’était dur car il fallait à la fois intégrer la technique et prendre confiance pour jouer en groupe. J’avais tendance à me comparer aux autres et ne me sentais pas toujours à la hauteur mais il y avait de bons moments avec les copains. Quand on fait du punk, la culture veut que quand tu joues, tu montes sur scène. Pourtant, aujourd’hui encore, je ne me sens toujours pas légitime. Mes questions sont venues quand j’ai repris la pratique d’un instrument. J’ai été confrontée aux tournées, aux regards des autres ; j’ai eu l’impression de revenir à zéro. Donc la légitimité n’est pas facile à acquérir en tant que musicien d’autant plus quand on est une fille. »

Fragil : C ‘est une bonne transition,  je voulais justement te demander ce que tu penses de la place des filles en musique ?

Alice : « Oui j’y suis confrontée ayant collaboré avec pas mal de groupes sous des formats différents que cela soit que de filles, mixtes ou moi seule en tant que fille. Il y a plein de questions sur ce sujet. Déjà nous, en tant que femmes dans la société, on est pas éduquées à se sentir légitime. Je me posais pas la question quand j’étais jeune ; mes modèles ce n’étaient que des hommes et j’ai une mère qui m’a encouragé à y aller, de la même façon que mon frère. Cependant, pour les autres, je restais toujours « la petite sœur ». Arrivée à Nantes et en grandissant, le nombre de fois en tournée où j’étais la seule fille, on m’a dit « ah t’es la copine d’un gars du groupe ». Les gens ne pensent pas qu’en tant que femme tu peux être une musicienne comme les autres. Je ne pensais pas que cela allait être si violent. De même quand j’organisais des concerts on me disait « Oh c’est super ce que tu fais pour une fille si jeune ! ». Ou bien pendant les répétitions je n’arrivais pas à improviser devant les garçons par crainte de leur regard alors que ça ne leur arrive jamais à eux.

« Au sein des groupes filles, il y a plus de bienveillance et de solidarité »

De même après les balances on me parlait de ma tenue. « Est ce que tu vas te changer pour jouer et te mettre en robe ? » D’ailleurs j’ose rarement me mettre en robe, mais maintenant un peu plus en short. Pour moi c’est révélateur d’un problème général, on n’aurait jamais dit cela à un garçon. Cela m’a donné aussi la volonté de me dire : « Ok, je suis une fille mais je vais montrer que je suis là ». Au sein des groupes de filles, il y a plus de bienveillance et de solidarité, c’est pourquoi maintenant je soutiens plus mes copines à s’affirmer en leur montrant que leur avis compte. Ce constat étant partagé par beaucoup, il existe maintenant des stages dédiés aux filles comme à Trempolino structure nantaise de soutien aux musiques actuelles pour les aider a prendre confiance en elles et peut être faire évoluer les postures des garçons. Cela n’aide pas d’être une fille! »

Une résonance avec les données apportées par l’enquête.

La question du genre

Nous avons vu que les femmes sont moins nombreuses à pratiquer la musique en amateur. Le choix de leur apprentissage, contrairement aux hommes, est plus encadré (cours en école ou auprès d’ un particulier ) alors que les hommes sont plus autodidactes. Les femmes s’orientent plus souvent vers le chant, la pop folk, les musiques du monde… Il est encore plus difficile pour les femmes d’accéder à une fonction de direction, de cheffe d’orchestre. De plus elles sont plus éloignées de l’usage des instruments amplifiés.

Crédit photo : Insane Motion – Alice Ha lors d’un concert en groupe

Fragil : Quel est ton projet actuel dans la musique ?

« Le confinement m’a aidée, n’ayant plus de travail j’ai décidé de me lancer dans un projet solo. Je compose mes chansons et je chante avec ma guitare. J’écris en anglais, ne me sentant pas encore à l’aise pour parler de moi en français. Je sens que cela avance doucement vers un projet de professionnel, plus que d’amateur. Mais je veux prendre mon temps,car j’aimerais bien réaliser un album. De plus mon métier de régisseuse me permet de rendre compatibles ces deux aspects de mon activité »

Ce témoignage nous illustre bien les questions évoquées au cours de l’étude autour de points communs comme par exemple la rupture des apprentissages, la place des filles au sein des groupes ou la pratique collective.

Les perspectives

Mieux connaître ce milieu et à quoi sont confrontés les musiciens devraient permettre une prise de conscience des divers acteurs œuvrant autour de la musique. Comment ouvrir l’apprentissage à des pédagogies mieux adaptées a tous, permettre et éduquer les jeunes afin que filles ou garçons, chacun prenne sa place au sein des groupes dans un esprit d’égalité et de solidarité. Toutes ces informations et réflexions, nous font découvrir que musicien amateur n’est pas un long fleuve tranquille!

Mais quand la musique devient une passion tout est possible !

Source : Enquête Fedelima 

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L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017