12 août 2016

Médias sans médaille

« Sexisme », « colonialisme » et « xénophobie »… On ne peut pas dire que les médias français brillent par leur compétence en ce début de Jeux olympiques à Rio de Janeiro. Retour sur des dérapages incontrôlés notamment du côté du service public.

Médias sans médaille

12 Août 2016

« Sexisme », « colonialisme » et « xénophobie »… On ne peut pas dire que les médias français brillent par leur compétence en ce début de Jeux olympiques à Rio de Janeiro. Retour sur des dérapages incontrôlés notamment du côté du service public.

Quand on enlève l’eau de la piscine avant le plongeon forcément, on s’écrase. Alors quand les athlètes ne sont pas à la hauteur des espérances, comme ce fut le cas pour la France au tout début des JO 2016, certains médias se permettent des choses plutôt déplacées. Comme cette interview forcée de l’escrimeuse Lauren Rembi sur France 3, après une défaite cinglante, au pied du podium, face à la Chinoise Sun Yiwen. Séquence aussi inutile que gênante, humiliante, qui a suscité un tollé notamment chez les internautes.

On y voit l’escrimeuse en larmes, incapable de parler face au journaliste André Garcia qui la retient par le bras en zone presse alors que l’athlète n’a aucune obligation de réponde à ses questions. Mais un coup d’œil dans le rétro et on constate que le confrère de France 3 n’en est pas à son premier essai

Il faut l’admettre : le travail de journaliste sportif est un travail de funambule. Il s’agit d’opérer un savant dosage entre analyse et émotion, parce qu’après tout le sport, c’est de l’émotion brute (et beaucoup de business). Il s’agit aussi de soutenir des équipes nationales sans pour autant tomber dans le chauvinisme. Pas simple. Reste qu’avec les Jeux olympiques, comme le titrait récemment Télérama, la rengaine est toujours la même : « Plus vite, plus fort, plus politique ». Les médias n’échappent pas à cette règle et se permettent des propos qui auraient été impensables s’il n’avait pas s’agit de sport.


A lire sur Télérama : Aux JO de Rio, les journalistes de France Télévisions sabotent nos “chances de médailles”


« Les petits Pikachu »

Imaginons deux minutes que l’on parle d’économie ou de politique et qu’un commentateur se mette à comparer des Japonnais à « des petits Pikachu », des « petits personnages contents » sorti d’un « manga » ou d’un « dessin animé ». Crise diplomatique assurée. C’est pourtant le dérapage effectué par Thomas Bouhail sur France 2 dimanche 7 août à propos de gymnastes japonaises.

Peut-être conditionné par la vague Pokemon Go, le vice-champion olympique du saut de cheval aux Jeux de Pékin 2008, vivement critiqué sur les réseaux sociaux, a du présenter ses excuses en direct. Mais il est loin d’être le seul à avoir commis une boulette sur France Télévision.

Le 6 août, le Cran (Conseil représentatif des associations noires) saisit le le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). En cause : les propos jugés « colonialistes » de Daniel Bilalian et Alexandre Boyon sur France 2 lors de la cérémonie d’ouverture des JO 2016. Il faut dire que les journalistes ont réussi à accumuler maladresses et erreurs historiques devant près de 1,6 millions de téléspectateurs. Notamment lorsque le sujet de l’esclavage est abordé que que le présentateur parle du « trafic d’esclaves [qui] a été nécessaire ici pour le développement industriel »[…] ou encore de l’utilisation des « services de ces esclaves africains ».


A lire dans 20 minutes  : « JO2016: Le naufrage des commentaires de France TV »


« Belles et mignonnes »

Il ne manquait plus qu’une bonne dose de sexisme pour couronner le tout. Et force est de constater que celle-ci est largement généralisée, comme l’indique Libération dans son article : Les  si « belles » et  si « mignonnes » sportives des Jeux olympiques. La journaliste Perrine Signoret énumère les énormités entendues ou lues ça et là dans les médias français : « Ah, ça pleure chez les gonzesses » sur Canal +, « drama queens » utilisé sur France Télévision pour qualifier Alizé Cornet et Serena Williams, etc.

La médaille d’or en la matière revient certainement au portait de la judoka Automne Pavia dans l’Équipe : « Automne Pavia est une belle jeune femme. Une athlète élancée (1,71 m) que l’on pourrait voir ailleurs que sur des tapis de combat. » Dans ce même papier, la sportive est décrite comme « mignonne et atypique car très féminine pour une judoka » par la responsable des relations publiques à la Fédération française. A Sotchi en 2014, Nelson Monfort et Philippe Candeloro avaient brillé en commentant le tour de poitrine de la patineuse artistique italienne Valentina Marchei. A l’époque la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, avait saisi le CSA…


A lire sur le site de l’Université de Cambridge : « Cambridge University Press research shows gender divides in the language of sport »


Derrière les JO, le Brésil implose

Plus vite, plus haut, plus fort

Un temps journaliste, roule aujourd'hui pour l'Information Jeunesse... Enseigne à droite, à gauche. Membre du CA de Fragil. #Medias #EMI #hiphop #jazz et plein d'autres #

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017