22 juin 2024

Masterclass de Jacques Audiard sur son film Emilia Perez à Nantes

Pour l’ouverture du festival Sofilm Summercamp mercredi 19 juin, le réalisateur Jacques Audiard était invité à donner une masterclass au cinéma Pathé Gaumont de Nantes après la projection en avant-première de son dernier film Emilia Perez. L’occasion pour le cinéaste d’évoquer le sujet de la transidentité, thème majeur de sa comédie musicale primée lors du Festival de Cannes de 2024.

Masterclass de Jacques Audiard sur son film Emilia Perez à Nantes

22 Juin 2024

Pour l’ouverture du festival Sofilm Summercamp mercredi 19 juin, le réalisateur Jacques Audiard était invité à donner une masterclass au cinéma Pathé Gaumont de Nantes après la projection en avant-première de son dernier film Emilia Perez. L’occasion pour le cinéaste d’évoquer le sujet de la transidentité, thème majeur de sa comédie musicale primée lors du Festival de Cannes de 2024.

Dans des allures de dandy, chapeau noir vissé sur la tête, cravate rouge et gilet de costume, le réalisateur du film Emilia Perez descendait les marches de la salle 1 du cinéma Pathé Gaumont de Nantes mercredi soir, applaudi par l’ensemble du public à la fin de la projection de son long-métrage. Une comédie musicale récompensée par deux fois cette année au Festival de Cannes avec le prix d’interprétation féminine donné à l’actrice Karla Sofia Gascon et le prix du jury.

Au départ, l’idée du scénario lui est venue à la lecture d’un roman en 2019, « dedans il y avait un chapitre qui traitait d’un personnage de narco qui voulait devenir une femme explique le réalisateur j’ai tourné des pages, des chapitres, et l’auteur n’en faisait rien. Donc j’ai appelé l’auteur et je lui ai dit : Je crois que je vais prendre, si tu le veux bien, ces idées-là, et je vais les développer à ma façon » raconte-t-il. D’abord pensé sous forme d’opéra dans les premiers mois d’écriture et après un long travail avec les musiciens, « le scénario avait ensuite plus évolué dans le sens cinématographique » explique Jacques Audiard. Le réalisateur décide alors d’en faire un long-métrage sous forme de comédie musicale.

« Représenter quelqu’un c’est une responsabilité »

Emilia Perez développe en grande partie au cours de son intrigue le thème de la transition de genre et de la transidentité. « De manière générale représenter quelqu’un c’est une responsabilité » explique Jacques Audiard, conscient des enjeux actuels autour de la représentation des personnes transgenres dans le cinéma. « Il n’était pas question, pour moi, que le rôle d’Emilia [le personnage principal du film] ne soit pas tenu par une femme transgenre » poursuit-il. Le réalisateur se souvient aussi ne pas être satisfait après avoir fait passer de nombreux castings au Mexique pour trouver l’actrice qui puisse interpréter le rôle principal d’Emilia Perez, le personnage transgenre de son film. « La transition était le geste de leur vie et c’est comme si elles ne pouvaient pas vraiment se décoller de cela, donc ça créait des choses dans leur jeu qui étaient assez aberrantes » explique-t-il.

« Sans Karla, il n’y a pas de film »

Le cinéaste raconte être tombé de façon assez inopinée sur l’actrice espagnole Karla Sofia Gascon. C’est par le biais du producteur musical Pierre-Marie Dru, l’un de ses « collaborateurs […] qui avait entendu parler de Karla Sofia en Espagne », que le réalisateur a découvert l’actrice qui allait ensuite incarner Emilia Perez. « Je ne sais pas si c’est moi qui suis tombé sur elle ou si c’est elle qui m’est tombée dessus mais une fois que j’ai trouvé Karla Sofia, c’était une évidence, c’était limpide » explique Jacques Audiard. Ce qui a marqué le réalisateur lorsqu’il a rencontré l’actrice, c’était sa capacité à complètement se détacher de sa propre transition de genre pour jouer le rôle d’Emilia Perez : « Il y a cette chose chez Karla Sofia, c’est qu’avant de s’appeler Karla, elle s’appelait Carl [Carlo] et quand il était Carl, il était acteur et avait vraiment une carrière […] lorsqu’elle a fait sa transition et qu’elle est devenue Karla, elle a continué en femme sa carrière et donc sa transition n’obtenait aucune place dans son jeu » détaille-t-il. Sa rencontre avec Karla Sofia Gascon lui a permis « d’avoir une interlocutrice extrêmement savante sur le sujet [de la transidentité] et tellement juste que je me fiais à elle » révèle le cinéaste. « Quand je me posais des questions sur ce que c’est la transition, ou même qu’est-ce que je peux filmer, elle me répondait très carrément » poursuit-t-il. « Je le dis très simplement mais sans Karla il n’y a pas de film et je serais encore en train de chercher » conclut le réalisateur.

L'arrivée d'Antoine à Fragil est une suite presque évidente à son parcours, ses rêves et ses passions. Il dégage une sensibilité palpable de par ses mots et ses intonations.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017