16 mars 2023

« Luisa Miller » à Angers Nantes Opéra : Rencontre avec le metteur en scène Guy Montavon

Le metteur en scène de cet opéra rarement représenté de Verdi a accordé un entretien à fragil avant le début des répétitions : un spectacle à voir au Théâtre Graslin à partir du 7 avril.

« Luisa Miller » à Angers Nantes Opéra : Rencontre avec le metteur en scène Guy Montavon

16 Mar 2023

Le metteur en scène de cet opéra rarement représenté de Verdi a accordé un entretien à fragil avant le début des répétitions : un spectacle à voir au Théâtre Graslin à partir du 7 avril.

Luisa Miller (1849) s’inspire d’une pièce de Friedrich von Schiller, Intrigue et Amour (Kabale und Liebe, 1784), qui a notamment été jouée en 1995 à la Comédie-Française dans un spectacle très intense de Marcel Bluwal. L’ouvrage explore la tyrannie des pères jusqu’au tragique, annonçant d’autres opéras du compositeur dont Rigoletto (1851), Traviata (1853) ou Don Carlo, également d’après Schiller,(1867). Directeur de l’Opéra d’Erfurt en Allemagne depuis 2002, Guy Montavon a monté en 2016 une Médée de Luigi Cherubini particulièrement marquante à l’Opéra de Nice et, la saison dernière, une passionnante Manon Lescaut de Puccini à l’Opéra de Monte-Carlo. Sa vision de Luisa Miller que l’on va découvrir à Nantes a été créée le 22 mai 2022 au Théâtre d’Erfurt avant d’être représentée à Angers le 10 mars dernier et à l’Opéra de Rennes entre le 19 et le 25 mars 2023.

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'Luisa Miller' de Verdi, mis en scène par Guy Montavon, à Angers Nantes Opéra

©Delphine Perrin pour Angers Nantes Opera

« C’est une œuvre où le poids des conventions détruit la jeunesse, comme dans Roméo et Juliette. »

Fragil : Que représente pour vous Luisa Miller et qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans cet opéra ?

Guy Montavon : Je suis avant tout sensible au conflit des générations. Cet opéra trouve sa source dans une pièce de Schiller, un écrivain révolutionnaire dans une société en pleine décomposition. Les deux pères, qu’il s’agisse de Miller ou du Comte Walter, sont stupides et complètement dépassés par la situation d’un jeune couple qui ne demande qu’à créer un avenir commun sans y parvenir. C’est une œuvre où le poids des conventions détruit la jeunesse, comme dans Roméo et Juliette, avec un message politique très fort dénonçant la classe dirigeante. Les costumes d’Eric Chevalier, également signataire de la scénographie, illustrent cette symbolique sociale, bleu glacial pour Walter et dans des teintes plus chaudes pour Miller. D’un point de vue musical, les duos entre ces deux basses sont cependant d’une force incroyable, avec d’extraordinaires instants de mise en garde. L’opéra s’achève sur une explosion géniale de transcendance vers l’infini.

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'Luisa Miller' de Verdi, mis en scène par Guy Montavon, à Angers Nantes Opéra

©Delphine Perrin pour Angers Nantes Opera

« La maturation musicale de Verdi commence avec Luisa Miller. »

Fragil : En quoi cet opéra résonne-t-il avec d’autres ouvrages de Verdi ?

Guy Montavon : Il s’agit d’une œuvre de jeunesse, précédant de très près sa célèbre trilogie constituée de Rigoletto, Le trouvère et La Traviata, où le compositeur met en place une structure musicale qui s’imposera ensuite. Il s’éloigne ainsi du bel canto* pour entrer dans un discours plus personnel avec notamment l’utilisation d’instruments solo. La maturation musicale de Verdi commence avec Luisa Miller, qui montre déjà tout son génie et le paysage musical qu’il est en train d’inventer.

* le beau chant

Fragil : Comment présenteriez-vous votre mise en scène et la scénographie du spectacle ?

Guy Montavon : Nous avons construit avec Eric Chevalier un plateau théâtral en bois, avec des panneaux mobiles de cour à jardin montrant les changements d’espaces et les variations d’atmosphères. À l’avant-scène, nous plaçons deux fauteuils où les pères seront assis, regardant le spectacle…

Fragil : De quelle manière envisagez-vous le travail avec Pietro Mianiti, le chef d’orchestre ?

Guy Montavon : Je suis moi-même musicien et je n’ai aucun souci pour échanger avec les chefs d’orchestre. Nous nous retirerons certainement avec Pietro Mianiti pour créer ensemble au piano des tempi en accord avec les actions scéniques*. J’aime beaucoup découvrir de nouvelles personnalités à chaque spectacle.

*L’entretien a été effectué le 24 février 2023, avant le début des répétitions.

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'Luisa Miller' de Verdi, mis en scène par Guy Montavon, à Angers Nantes Opéra

©Delphine Perrin pour Angers Nantes Opera

« J’ai choisi de vieillir et d’enlaidir la Comtesse Frederica. »

Fragil : Quelles sont vos priorités de direction d’acteurs?

Guy Montavon : Il s’agit d’un drame empirique où les gestes sont très précis, notamment lors du duo entre Walter et son fils. En dehors de la dimension symbolique des costumes, je m’attacherai à la gestique, au jeu avec les mains, aux attitudes signifiantes et aux regards pour caractériser les personnages. J’ai choisi de vieillir et d’enlaidir la Comtesse Frederica, afin de faire comprendre pourquoi Rodolphe choisit Luisa, alors que l’autre lui était destinée.

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'Luisa Miller' de Verdi, mis en scène par Guy Montavon, à Angers Nantes Opéra

©Delphine Perrin pour Angers Nantes Opera

« …cette fête d’anniversaire des enfants où Médée s’apprêtait à couper un gâteau au chocolat, tenant à la main un couteau de cuisine. »

Fragil : Vous avez monté à Nice Médée de Cherubini avec Nicola Beller-Carbone, mémorable Tosca à Nantes en 2008. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?

Guy Montavon : Cet ouvrage n’est pas assez représenté alors qu’il met des états d’âme en musique de façon bouleversante et parfois futuriste pour l’époque de sa création. La partition me sidère et le drame s’avère passionnant à transposer, car il est universel comme toute tragédie grecque. L’un des moments qui reste pour moi le plus fort est cette fête d’anniversaire des enfants où Médée s’apprêtait à couper un gâteau au chocolat, tenant à la main un couteau de cuisine, la nourrice restant à l’arrière-plan…

Fragil : Quel souvenir gardez-vous de votre vision de Manon Lescaut de Puccini à l’Opéra de Monte-Carlo, avec l’immense Anna Netrebko dans le rôle-titre ?

Guy Montavon : J’avais créé ce spectacle à Erfurt, et l’idée de considérer Géronte comme le personnage principal, en suggérant une sublimation de l’amour par l’œuvre d’art, m’a passionné. J’ai choisi de séparer les deux amants par une vitre de verre au dernier acte. Anna Netrebko s’est tout d’abord montrée sceptique, mais elle a ensuite adoré jouer dans cet espace que nous avions inventé. À l’Opéra de Monte-Carlo, l’émerveillement musical a été total grâce à une distribution exceptionnelle et à la direction inspirée de Pinchas Steinberg.

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'Luisa Miller' de Verdi, mis en scène par Guy Montavon, à Angers Nantes Opéra

©Delphine Perrin pour Angers Nantes Opera

« J’ai réussi à faire entrer la musique moderne dans les salons bourgeois d’Erfurt. »

Fragil : De quoi êtes vous le plus fier à la tête de l’Opéra d’Erfurt ?

Guy Montavon  : J’ai réussi à faire entrer la musique moderne dans les salons bourgeois d’Erfurt. Les spectateurs sont maintenant habitués à voir autre chose, se montrant intéressés par des créations mondiales, comme Eleni de Nestor Taylor en décembre 2022, ou par des ouvrages inhabituels, tel Le siège de Corinthe de Rossini, que nous avons présenté dans sa version française. Le public me suit et cette maison est désormais un lieu de référence en Allemagne.

Fragil : Quel idéal cherchez-vous à atteindre à chaque mise en scène ?

Guy Montavon : J’aime avant tout raconter une histoire en tenant le public en éveil, du début à la fin, tout en le touchant en plein cœur et en lui apportant une respiration nécessaire à son quotidien.

Échanges critiques autour des influenceur·euses au CSC Allée Verte de St Sébastien

Les reporters du château couvrent une nouvelle exposition sur Instagram

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017