24 novembre 2021

« Folle… », la santé mentale sur le devant de la scène

"N’ayons plus peur des maux !" Voilà en quelques mots ce que nous retenons de la pièce de théâtre « Folle... » qui a été jouée pour la première fois à la Maison de Quartier de Doulon à Nantes le 10 octobre dernier dans le cadre de la 32ème Semaine d’Information sur la Santé Mentale (SISM).

« Folle… », la santé mentale sur le devant de la scène

24 Nov 2021

"N’ayons plus peur des maux !" Voilà en quelques mots ce que nous retenons de la pièce de théâtre « Folle... » qui a été jouée pour la première fois à la Maison de Quartier de Doulon à Nantes le 10 octobre dernier dans le cadre de la 32ème Semaine d’Information sur la Santé Mentale (SISM).

A travers plusieurs évènements organisés tous les ans et dans toute la France, les SISM sont une occasion privilégiée de sensibiliser aux troubles liés à la santé mentale et de favoriser l’accès aux soins de toutes et de tous. Souvent associés à des représentations négatives, ces troubles s’expriment à travers différentes formes de mal-être, plus ou moins connues et reconnues. Pourtant, ils touchent bon nombre de personnes de tous âges et milieux. L’enjeu est donc réel d’en parler, plus et mieux.

Affiche de la pièce de théâtre « Folle… ». (crédit photo : Nirav Patel)

« Ce ne sont pas des enfants comme les autres »

La pièce de théâtre « Folle… » nous raconte l’expérience de Suzanne, une jeune enseignante qui débarque dans un institut accueillant des enfants présentant des troubles psychiques ; ces enfants communément appelés « différents, mongols, boloss, bizarres, anormaux, cinglés, fous ». Il y a Adam qui ne parle pas et qui n’a pour seul compagnon que son ballon de baudruche, Tony qui ne sait pas s’exprimer autrement qu’en criant sa colère sur les autres. Et il y a Marie. Sa salopette en guise d’armure contre le monde qui l’entoure, elle parle toute seule. Elle répète et répète les mêmes mots pour se protéger de ses voix envahissantes et dévastatrices. Elle ne quitte pas son « cahier des fautes graves » mais n’arrive pas à écrire, elle n’a « pas de manière » pour ça. Pourtant, elle en sait des choses sur les iris, elle qui les dessine si joliment. « Ce ne sont pas des enfants comme les autres » réplique Suzanne, tout comme chaque enfant n’est pas comme un autre. Amenés à reconnaitre l’altérité, on fait connaissance avec eux au rythme de l’enseignante et au fur et à mesure de sa rencontre avec Marie.

Rencontre de Suzanne (à droite), interprétée par Catherine Guilbaud, et Marie interprétée par Emma Binon, autour de l’iris. (Sli-K)

« Vous devez me prendre pour une folle »

La mise en scène « brillante » de Laurence Hamery, comme le souligne une spectatrice, sert ce propos. On y entend des voix-off, les dialogues de Suzanne avec ses élèves, ceux de Suzanne avec sa propre petite voix et ceux qu’elle affronte avec son institution. En deux temps trois mouvements, on y voit une salle de classe, un salon, un tramway. On se retrouve chez la thérapeute ou encore dans le bureau de « celle qui sait » et qui demande à l’enseignante « juste de leur enseigner ». Seulement, Suzanne continue de s’interroger « ne devrait-on pas avec nos élèves savoir ne pas savoir? ». Elle exprime ses propres angoisses, au regard de la norme « vous devez me prendre pour une folle » et sa propre folie, celle du doute, à commencer de soi-même.

« La petite voix » de Suzanne, interprétée par l’époustouflante Servane Daniel, a un regard sur tout. (Sli-K)

« Un boulot de dingue »

Ce propos recueilli d’une spectatrice témoigne du travail réalisé par les trois comédiennes, Emma Binon, Servane Daniel et Catherine Guilbaud pour s’approprier les rôles. Cela s’en ressent « le jeu des actrices est fabuleux » comme l’affirme une autre spectatrice.

Et pour cause, cette maîtresse, aussi vrai que nature, sur scène n’est autre que Catherine Guilbaud, auteure de la pièce et enseignante spécialisée « depuis longtemps », d’abord en Institut Médico-Educatif (IME) puis en Centre Médico-Psychologique (CMP). Lors d’un entretien, elle nous a confié, avec sincérité, les doutes qui l’ont traversés « du début à la fin de la création ».

Partie de son vécu professionnel, son envie de faire du théâtre l’amène à « creuser la bulle dans sa tête ». Que faire de cette expérience dans l’enseignement spécialisé ? Depuis toujours attirée et exercée à l’écriture, elle se lance dans celle d’une pièce de théâtre. Face aux pages blanches, c’est en décrivant la vie de ses personnages, empreints de sa propre expérience « mais pas seulement » comme elle le souligne « et d’innombrables rencontres », qu’elle y parviendra finalement. Forme de catharsis, pour l’auteure, cette pièce lui a permis de « mettre des mots à ma manière sur ce qui me paraît juste dans la rencontre avec la folie ».

S’en suit alors un véritable parcours du combattant pour que cette première création professionnelle arrive jusque sur les planches d’un théâtre. Elle peut alors s’appuyer sur le soutien indéfectible de ses deux partenaires Emma Binon et Servane Daniel, et s’entoure d’un petit collectif pour créer la compagnie « Les Innées Fables ».

La mise en scène et le jeu des comédiennes sont empreints de poésie. (Sli-K)

« De tous les diagnostics, la normalité est le plus grave parce-qu’il est sans espoir ».

C’est sur cette phrase de Jacques Lacan, psychanalyste, écrite à la craie blanche sur le tableau de la classe, que s’éteignent les lumières du Théâtre du Cyclope à Nantes. Pour Catherine Guilbaud qui interprète Suzanne, c’est la « question de la création » qu’elle révèle ici, « être en décalage par rapport à la normalité, c’est ouvrir au processus créatif donc à quelque chose de vivant ».

Côté fauteuils rouges, le message est passé, « ça parle des clichés tout en les évitant », « pas un mot de trop, pas tout étiqueter ». Et ça soulève des questionnements « où se place la folie ? ». Il s’agit principalement là d’un public averti, du côté sanitaire et médico-social ou de l’enseignement mais pas seulement comme le précise Catherine Guilbaud. Beaucoup s’identifient aux personnages, celui de Suzanne mais aussi celui de cette femme dans le tramway qui ne sait pas réagir face au rire inopiné d’une passante. Ils se reconnaissent dans leurs ressentis abordé avec « justesse » et se retrouvent dans ce propos « compliqué » mais « vrai ». Comme l’explique une spectatrice, « c’est une pièce tout public qui pousse à la réflexion, à voir et à revoir » et c’est bien là aussi, la volonté de l’auteure.

Qu’est-ce que la folie ?

C’est la question à laquelle nous invite à réfléchir cette pièce. Chacun ne s’est-il pas déjà demandé s’il était hors cadre, que celui-ci soit moral, social, institutionnel, juridique, médical ? Pour Catherine Guilbaud, « ce n’est pas rien comme mot », chargé de poésie, elle y tient et l’utilise avec tendresse et respect. Pour elle, cette pièce vient dire que « la folie est à la fois universelle et singulière » et qu’il est important de mettre en miroir « la folie de ceux qu’on diagnostique comme tels, la folie qu’on est tout un chacun à confronter, et la folie institutionnelle ». A son échelle, elle amène le spectateur à se questionner et à porter un regard moins apeuré sur la folie.

« On est dans une société où on veut à tout prix rassurer en apportant une réponse, donc il faut forcément un diagnostic, un protocole » analyse Catherine Guilbaud. Pourtant selon elle, « la question qui doit nous guider, c’est : comment faire rencontre avec l’autre ? », convaincue que la richesse se trouve dans la reconnaissance de la différence de l’autre et de sa propre différence.

Les mots de Marie (à droite), interprétée si justement par Emma Binon, sur ce qu’elle vit au travers de sa maladie. (Sli-K)

« Équilibre »

« On espère avoir d’autres dates parce-qu’on a dû refuser du monde » commente Catherine Guilbaud. Pour ceux qui n’ont pas encore vu cette pièce, deux nouvelles représentations sont d’ores et déjà prévues au Théâtre du Cyclope le vendredi 28 et le samedi 29 janvier 2022. Et l’auteure travaille également à l’adaptation de la pièce pour pouvoir la diffuser dans des lieux non-équipés comme les syndicats d’enseignants, les écoles de travailleurs sociaux, les associations. Sans oublier son métier d’enseignante spécialisée car comme elle conclut « écrire cette pièce m’a redonné goût à mon métier, c’est un équilibre qui me va bien ».

Extrait du dictionnaire, ce mot « Équilibre » est un des contraires à la définition de la « folie » que Suzanne trouvera. Aussi déséquilibrée soit la vie, c’est bien un fil tiré sur l’inattendu, celui d’une rencontre singulière avec l’inconnu, avec l’imprévu que nous tendent ces comédiennes funambules. On en ressort dérangé, un peu. Rassuré, beaucoup. Touché, passionnément. Vivant, à la folie.

Pour aller plus loin :

https://metropole.nantes.fr/sism

Le cyberharcèlement avec les 5èmes du collège Supervielle de Bressuire

Réflexion autour des écrans à La Plaine-sur-Mer

Esprit voyageur. Sans idéaux, juste quelques idées hautes. Tendance pied de l’être et conjugaison à l’imparfaite. En partance pour découvrir dans l’ombre et mettre, ici, en lumière et en mots…

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017