4 mai 2020

Fiorenza Cedolins crée le premier concours de chant lyrique sur le web

L'illustre cantatrice Fiorenza Cedolins est à l'origine du premier concours de chant lyrique sur internet : une autre façon de faire découvrir de nouveaux talents, en élargissant le public d'opéra.

Fiorenza Cedolins crée le premier concours de chant lyrique sur le web

04 Mai 2020

L'illustre cantatrice Fiorenza Cedolins est à l'origine du premier concours de chant lyrique sur internet : une autre façon de faire découvrir de nouveaux talents, en élargissant le public d'opéra.

Les concours de chant lyrique permettent de reconnaître et de récompenser de jeunes artistes, et de les insérer professionnellement dans des productions d’opéras. En France, des concours internationaux apportent une plus grande visibilité à des chanteurs venant de différents horizons, notamment à Toulouse, Marmande, Clermont-Ferrand et Marseille. Il y a eu également un tel concours dans la région des Pays de La Loire, basé à La Plaine-sur-Mer dans les années 80, avant de rejoindre, pour ses deux dernières années 1989 et 1990, le Théâtre Graslin à Nantes, dans le cadre du Festival Atlantique. Cette manifestation estivale, qui a été le lieu de rendez-vous annuel de prestigieux interprètes, a permis de découvrir quelques beaux artistes.

Fiorenza Cedolins est une immense interprète, à qui l’on doit de mémorables incarnations : elle a notamment été Tosca aux côtés de Luciano Pavarotti en 1996 à Philadelphie, un rôle qu’elle a marqué de son tempérament hors du commun, et qu’elle a également chanté en France, à Nice en 1999, à Toulouse en 2002, et à l’Opéra Bastille, dans la mise en scène du cinéaste Werner Schroeter, en 2003. Parmi les temps forts de sa carrière, on lui doit également une saisissante Manon Lescaut de Puccini en 2002 au Teatro Communale de Bologne, dans le bouleversant spectacle de Robert Carsen. En 2008, elle était Elisabeth de Valois dans Don Carlo de Verdi, dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig pour le spectacle d’ouverture de saison de la Scala de Milan.

Durant la période particulière que nous traversons tous, de confinement généralisé et de fermeture des théâtres, Fiorenza Cedolins vient de mettre en place, en avril 2020, le premier concours de chant lyrique sur internet, une généreuse initiative pour que l’opéra continue à vivre malgré tout. Dans un entretien qu’elle a accordé à Fragil, cette artiste nous présente avec enthousiasme cette compétition singulière. Même si l’émotion en direct dans une salle de spectacle reste essentielle, de belles propositions émergent en ce moment pour continuer à vibrer sur des spectacles et partager l’opéra avec le plus grand nombre grâce au numérique, et notamment celle de l’Opéra de Monte-Carlo, où Fiorenza Cedolins a interprété une mémorable Amélia de Simon Boccanegra de Verdi en 1997…

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2020/05/image6.jpeg » credit= »DR » align= »center » lightbox= »on » caption= »Fiorenza Cedolins était Elizabeth de Valois dans "Don Carlo" de Verdi, dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig, en décembre 2008 pour la soirée d’ouverture de la Scala de Milan. » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

« l’Opéra chez tous ! »

Fragil : Comment présenteriez-vous ce premier concours virtuel de chant lyrique, que vous venez de créer?

Fiorenza Cedolins : C’est une nouveauté absolue car il n’y avait aucun concours de chant lyrique sur l’ensemble du réseau Facebook. Il s’agissait avant tout, pendant le confinement, de donner aux chanteurs immobilisés chez eux la possibilité de continuer leur entraînement vocal dans une période particulièrement difficile, sans public ni école de chant. Ce concours a aussi permis aux internautes de découvrir de nouveaux talents sur le web. Mais je crois qu’il y a aussi une réalité plus profonde, qui est de s’adapter à une nouvelle forme de spectacle : « l’Opéra chez tous ! ». Je suis en effet persuadée qu’il sera, dans le futur, toujours plus important  que les artistes soient capables de chanter, de jouer et de communiquer avec les moyens technologiques modernes, et plus seulement dans les salles de spectacles. L’opéra doit entrer davantage dans le monde virtuel, parce qu’il correspond au monde réel d’une grande partie du public.  Cela me semble vraiment nécessaire et plus démocratique, car trop peu de gens peuvent finalement accéder aux salles, et l’élargissement des possibilités numériques permet de toucher tout le monde. L’un des intérêts de ce concours est enfin d’augmenter les ressources en vidéos d’artistes,  pour produire ensuite des spectacles. C’est en effet une chance pour les chanteurs, et un moyen à la fois plus pratique et plus économique pour se faire connaître et avoir des engagements.

 

Fragil : Quelles qualités sont attendues des candidats?

Fiorenza Cedolins : Chaque candidat doit jouer le rôle ; il n’est donc pas  évalué seulement sur le chant. Le jury mesure la qualité technique des voix dans chaque vidéo, mais l’aspect scénique a également beaucoup d’importance. On doit imaginer une réelle mise en scène de l’air choisi pour se présenter au concours, et nous avons vu de véritables courts-métrages,  parfois très émouvants et aussi très sympathiques.

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Plus de 35.000 votes et 300.000 vues…

Fragil : Sur quels critères avez-vous réuni les membres du jury? Pouvez-vous en citer quelques-uns? 

Fiorenza Cedolins : La jury a été choisi selon une large variété de points de vue et un très haut niveau professionnel. Il ne s’agit donc, là aussi, pas seulement de techniciens de la voix comme Anna Pirozzi,  Bruno De Simone ou Ismael Jordi, mais aussi de journalistes et de critiques musicaux tels Fernando Sans Rivière d’ Ópera Actual ou Roberto Mori du Connessi all’Opera, de directeurs de théâtres comme Cristina Ferrari (Opéra de Piacenza) ou Francesco Micheli (directeur du Festival Donizetti de Bergamo), de metteurs en scène tels Emilio Sagi ou Renato Bonajuto et de chefs d’orchestres comme Antonino Fogliani . Nous avons également sollicité  des agents internationaux tels Christian Starinieri représentant  DM Artist, (l’agence qui a créé en 1990 le concert historique des trois ténors , Pavarotti-Carreras-Domingo, aux Thermes de Caracalla à Rome)  Susanna Caetani d’ Only Stage et Jordi Pujal d’ Impresario… sans oublier le public de facebook qui, avec plus de 35.000 votes et 300.000 vues a décrété le succès du concours dès cette première édition.

 

Fragil : Quelles prestations vous ont particulièrement touchée?

Fiorenza Cedolins : J’ai été très émue par Manuel Epis, qui pendant le tournage de sa vidéo combattait le virus dans son petit village,  entouré de souffrances et de morts,  mais aussi par Francesco La Gattuta, un  éleveur professionnel de vaches, confiné dans son refuge de montagne, avec sa sœur et ses amies à quatre pattes, et qui a joué avec humour et simplicité sa vie réelle. J’aimerais également citer la soprano Rosy Bottalico qui, avec un poivron et une courgette, nous a expliqué comment elle communiquait avec les enfants autistes. Nous avons eu  aussi des ténors remarquables et très jeunes tels Angelo Caprara (19 ans), Valerio Borgioni (22 ans), Antonino Giacobbe et Fiore Lorenzo Papasodero,  aux voix très intéressantes

 

Fragil : De quoi êtes-vous particulièrement fière dans cette nouvelle manifestation?

Fiorenza Cedolins : Je suis heureuse d’être parvenue à réunir le public  et le jury dans un projet à la fois ambitieux et populaire, donnant un peu de joie, d’espérance et d’enthousiasme à tous. Et je tiens à remercier infiniment ceux qui m’ont aidée pour cette première édition, à la fois les médias et tous ceux qui ont donné des prix spéciaux, comme la Fondation Victoria de Los Angeles à Barcelone et Andrea Merli, alias L’Impiccione viaggiatore.

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« Nous allons ouvrir le concours à l’opérette, à la zarzuela, à la comédie musicale mais aussi aux  Lieder »

Fragil : Ce concours va être reconduit pour mai 2021. Comment souhaitez-vous le faire évoluer?

Fiorenza Cedolins :  Nous avons déjà plus de 5000 euros venant des sponsors, qui s’ajoutent au budget que l’Ecole de l’Opéra Italien à Milan (la SOI) mettra à disposition pour les prix de la prochaine édition. De plus,  nous avons signé des accords, avec une importante chaîne de télévision culturelle pour une collaboration artistique à partir de l’automne prochain,  mais aussi avec un prestigieux théâtre en Espagne! Je passe presque toutes mes journées au téléphone avec des professionnels  enthousiastes qui aimeraient collaborer à cette deuxième édition.

Nous allons ouvrir le concours à l’opérette, à la zarzuela, à la comédie musicale mais aussi aux  Lieder, en imposant toujours le chant lyrique. Les inscriptions seront ouvertes à partir d’ octobre  2020 jusqu’à février 2021. Ainsi,  les concurrents  auront quatre mois pour préparer et envoyer deux vidéos,  et à partir du 18 mars il y aura les sélections. La finale récompensera trois premiers prix d’opéra, et quatre prix spéciaux pour chacune des autres catégories.

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2020/05/image2.jpeg » credit= »DR » align= »center » lightbox= »on » caption= »Avec Andréa Bocelli » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Préserver le grand Art Lyrique

Fragil : Vous dirigez à Milan l’Ecole de l’Opéra Italien ( SOI Scuola dell’opera italiana Fiorenza Cedolins) que vous avez évoquée. Quels en sont les objectifs?

Fiorenza Cedolins : C’est de préserver le grand Art Lyrique et de transmettre tout ce que j’ai appris aux nouvelles générations de chanteurs.  Mais c’est aussi faire comprendre que le chant est  beaucoup plus que la voix : il s’agit d’un acte d’amour, d’une recherche,  d’une créativité qui mêle souffrance et joie, et c’est surtout donner sa vie au public .

 

Fragil : Votre carrière vous a conduit sur les scènes les plus prestigieuses du monde entier. Quels sont vos souvenirs les plus précieux?

Fiorenza Cedolins : Je repense avec beaucoup d’émotion à cette pluie de centaines de billets colorés,  jetés des balcons du théâtre du Liceu à Barcelone, lors de mes débuts dans le rôle de Madame Butterfly, sur lesquels était écrit « Ce soir est né un grand amour, Fiorenza reviens! »… mais surtout à un monsieur âgé qui m’attendait à l’extérieur des Arènes de Vérone, après une autre représentation de cet opéra de Puccini,  avec une femme d’environ quarante ans, petite et très mince.  Ils m’ont regardée d’une façon que je ne peux pas exprimer, nous nous sommes embrassés et il m’a dit dans un souffle « je vous remercie tellement vous avez donné de la joie à ma fille qui a une grave maladie, et qui a été heureuse ce soir… » et ils sont partis . Je ne pourrai jamais oublier ces regards ..

[aesop_image imgwidth= »60% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2020/05/La-Bohème-©2020-Alain-Hanel-OMC-26.jpg » credit= »©Alain Hanel – OMC » align= »center » lightbox= »on » caption= »"La Bohème", mise en scène par Jean-Louis Grinda, est diffusée en épisodes à partir du lundi 4 mai, sur les réseaux sociaux et la chaîne YouTube de l’Opéra de Monte-Carlo. » captionposition= »center » revealfx= »off » overlay_revealfx= »off »]

Depuis le début du confinement, d’autres initiatives permettent de faire vivre l’opéra autrement grâce au numérique. L’Opéra de Monte-Carlo offre de beaux moments d’émotions en mettant en ligne chaque semaine sur ses réseaux sociaux Facebook, Instagram et Linkedin, et sur sa chaîne Youtube des productions marquantes qui y ont été présentées. Jean-Louis Grinda, directeur du théâtre, propose ces spectacles en épisodes deux fois par semaines. C’est ainsi que les internautes ont pu voir Falstaff de Verdi, en six épisodes, dans le spectacle de Janvier 2019 et Lucia Di Lammermoor de Donizetti , en trois épisodes, dans la captation de novembre 2019. A partir du début de ce mois de mai, on pourra vibrer sur La Bohème de Puccini, filmé en janvier 2020, avec Irina Lungu, bouleversante Mimi, et le superbe Nicolas Courjal, d’une poignante intensité dans le rôle de Colline. Une belle manière d’affirmer inlassablement que l’art est essentiel !

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017