21 mai 2018

Festival « Visages et parcours de la migration »

L’association SOS MEDITÉRRANÉE avec le soutien de la Fondation de l’Abbé Pierre, a mis en place un cycle de films, de témoignages et de débats autour des parcours de migration, à destination de trois villes : Paris, Bordeaux et Nantes. Le cycle nantais s’est déroulé le week-end du 28 et 29 avril au Cinéma de La Bonne Garde. Un moment d’échange extraordinaire accompagné d’images d’une justesse inégalable, représentant des vies peu médiatisées.

Festival « Visages et parcours de la migration »

21 Mai 2018

L’association SOS MEDITÉRRANÉE avec le soutien de la Fondation de l’Abbé Pierre, a mis en place un cycle de films, de témoignages et de débats autour des parcours de migration, à destination de trois villes : Paris, Bordeaux et Nantes. Le cycle nantais s’est déroulé le week-end du 28 et 29 avril au Cinéma de La Bonne Garde. Un moment d’échange extraordinaire accompagné d’images d’une justesse inégalable, représentant des vies peu médiatisées.

Je ne pensais pas que j’écrirais ces mots et pourtant, je me devais de vous partager ces paroles, ces témoignages, ces instants que l’on pourrait croire irréels alors qu’ils se passent à quelques kilomètres. 40 000 morts, c’est un chiffre lourd, peu rependu dans les médias, qui témoigne de l’urgence de la situation. C’est un constat sans appel. Nous mettons rarement un nom, un visage sur ces personnes qui risquent leur vie à chaque instant. Nous nous retrouvons parfois confrontés à un déni d’humanité face à des atrocités perpétuées sous nos yeux. A l’heure où nous valorisons les échanges universitaires entre les différents pays, nous interdisons à une partie de l’humanité de se déplacer malgré les situations de crises majeures. Nous fermons nos frontières à un peuple en détresse, nous fermons les yeux sur le monde de demain. La Méditerranée est devenue au fil des années un cimetière géant où les politiques publiques ont décidé de décliner toute responsabilité. Des citoyens et des associations ont donc décidé de hausser la voix et de faire entendre la parole de ceux qui parcourent ces migrations.

SOS MEDITERRANEE est une association indépendante qui a pour vocation de porter assistance à toute personne se trouvant en danger en mer, dans son périmètre d’action. Depuis 2 ans, l’association a réussi à affréter l’Aquarius en méditerranée. C’est un bateau qui a été financé grâce à des dons privés et qui permet de sauver de nombreux réfugiés chaque jours grâce à une équipe de sauveteurs.

Premier jour

La journée du samedi a commencé par la diffusion du film, Les migrants ne savent pas nager de Jean-Paul Mari (2016). Le film va suivre le quotidien de l’Aquarius, bateau qui a été mis en mer il y a deux ans grâce à des dons privés, qui permet de sauver des réfugiés qui tentent de traverser la Méditerranée. Le mot d’ordre est le même pour l’ensemble de l’équipage « Comment va-t-on faire ? ». Dès qu’une embarcation va être détectée, il va falloir faire en sorte que tout le monde arrive sain et sauf. Les corps sont très fatigués par la Libye et la gestion des foules peut s’avérer très compliquée due au sentiment de panique qui va envahir les rescapés. Ils vivent des situations traumatisantes où « l’autre » va se comporter parfois comme un animal en les maltraitant et en leur faisant subir toutes sortes de tortures et de violences. Les sauveteurs en mer vont donc devoir faire preuve de patience et de bienveillance pour les mettre en confiance. Selon les embarcations qu’ils rencontrent, les procédures ne sont pas les mêmes. Il est déjà arrivé qu’il y ait 25 embarcations autour du bateau. Parfois, les bateaux font plus de 20 mètres avec 400 à 800 personnes. C’est un sprint permanent puisqu’on sait quand ça commence mais on ne sait jamais quand ça se termine. Les sauveteurs sont unanimes : « Les gens prennent un billet pour la mort ». Les bateaux sont désormais fabriqués en Chine ou en Libye et n’ont pas pour objectif d’atteindre les côtes italiennes. Les relations avec la Libye étant de plus en plus complexes, les sauveteurs se retrouvent parfois à devoir négocier le sauvetage des rescapés avec des armes pointées sur eux. « On a des gilets de sauvetage mais pas des gilets par balles ». Le marathon va durer 50 à 80 heures avant de connaître la ville où ils vont pouvoir déposer les personnes. Il y a un espace qui va être réservé aux femmes et aux enfants afin de leur accorder quelques instants de repos dans une migration où les viols sont quasi systématiques et où le sort des femmes en est très compliqué. Il y a une fusion, un lien inexplicable qui va se créer entre les sauveteurs et les rescapés. Le pincement au cœur est toujours présent car les sauveteurs savent très bien que le parcours est loin d’être terminé. « Pour nous, ce sont des héros ». Cyril, un réfugié du Cameroun nous raconte dans le film son passage en Libye. Il y a deux obstacles majeurs selon lui, le fait d’être chrétien et le fait d’être noir. Avec le début de la guerre en Libye, les parents ont commencé à armer leurs enfants en leur disant de s’entraîner sur les noirs qui passaient. Les pires atrocités y sont perpétuées. « Soit tu payes, soit tu meurs ». Il n’y a plus de notion d’humanité, ni de fraternité. L’homme s’est transformé en animal. « Tout le vocabulaire des camps de la mort qu’on a pu apprendre, on le vit là maintenant ». Il faut redonner un nom à ses hommes et à ses femmes, il faut leur redonner leurs visages et il faut comprendre leur récit, leur parcours de migration. Ils ont le choix entre rester dans leur pays et mourir ou partir et avoir une chance de vivre. L’arrivée sur le bateau est un moment pour eux de naissance, de renaissance. Ils arrivent à oublier pendant quelques instants, toutes les atrocités qu’ils ont pu subir auparavant. Les images sont insoutenables pour la plupart des spectateurs. C’est un monde parallèle.

Nous assistons ensuite à la projection du film Un village de Calabre de Shu Aiello et Catherine Catella (2016) qui nous raconte l’histoire du village de Riace, village utopique par son projet. En effet, le petit village a subi ces dernières années de nombreux exodes de leur population, migrant vers l’Italie du Nord et a souhaité mettre en place un projet d’accueil des migrants en favorisant leur insertion. Les migrants peuvent ainsi prendre place parmi les logements vides tout en apprenant l’italien et les coutumes du village. Ils sont accueillis comme n’importe quel citoyen européen, la différence est la clé de l’entente. « L’exil et l’accueil sont nos racines », chaque personne, peu importe d’où elle vient et où elle souhaite aller, est accueilli parmi la population. Le village s’est adapté aux différentes coutumes en célébrant la messe en 22 de langues par exemple. C’est cette culture de la différence qui va permettre à chacun de s’élever et de construire les choses ensemble. Nous avons l’impression d’être dans une rare parenthèse de solidarité et pourtant ces projets se développent et se diffusent à travers l’Europe. Ils construisent leurs histoires et leurs parcours ensemble, main dans la main, prêts à affronter les attaques de la Mafia du Sud. D’ailleurs, Riace est la première ville à s’être portée partie civile pour porter plainte contre la Mafia et ses pratiques inhumaines vis-à-vis des migrants qui arrivaient sur les côtes et qui étaient enrôlés pour devenir des esclaves modernes. Le projet du Maire a inspiré les villages alentours pour s’inscrire ensemble dans une dynamique d’échange, de partage. Ce message est transmis rien qu’à travers la richesse et la poésie des images.

Le dimanche

La journée du dimanche a commencé avec la projection du documentaire J’ai marché jusqu’à vous, récit d’une jeunesse exilée de Rachid Oujdi (2016). Nous sommes dès les premières minutes du film, projetés dans un constat sans appel. Les autorités ferment les yeux sur ces jeunes mineurs qui arrivent épuisés d’un voyage qu’ils n’auraient jamais dû avoir à vivre. L’État français ne leur laisse même pas leur chance en les noyant dans des procédures administratives douloureuses, qui n’en finissent plus. Le fait qu’ils soient étranger passe avant le fait qu’ils soient mineurs. L’âge n’a jamais eu autant d’importance que pour ces jeunes. Il va déterminer la suite de leur parcours ainsi que les conditions dans lesquelles ils vont pouvoir se construire. Dans une logique de suspicion de plus en plus répondue, l’État français a décidé de mettre en place toute une série de tests plus subjectifs les uns que les autres : tests osseux, observation des poils pubiens, développement des seins pour les filles, développement des organes génitaux… Après cette évaluation physique, on va venir accentuer le traumatisme en demandant aux jeunes de raconter dans les moindres détails leurs parcours de migrations. On va venir leur faire revivre des moments douloureux voire insoutenables sans qu’ils aient la garantie de pouvoir rester en France. « Aujourd’hui je suis debout et peut-être que demain je serais mort ». Voici les paroles d’un jeune de 16 ans qui voit chaque jour comme un combat, comme une lutte perpétuelle qui ne possède pas de fin. Le constat est le même pour tout le monde « Comment cela se fait que l’on n’arrive pas à trouver de solutions ? ». On déshumanise ces jeunes, qui ne peuvent même pas vivre leur enfance, leur jeunesse, période où on se construit humainement. « Un étranger ne devrait pas être étranger à l’étranger ».

Le deuxième film de la journée était Les Éclats (2011) de Sylvain Georges, un film poétique, tourné en noir et blanc qui a pour but de dépeindre le quotidien des habitants de la Jungle de Calais. Un quotidien lent et inquiétant, traduisant de l’attente du prochain voyage pour les migrants. Ces derniers ne sont jamais dans une posture de repos car ils ne connaissent rarement la destination finale. Ils ont quitté un pays où leur vie était en danger pour se retrouver confronter aux mêmes situations dans les pays qu’ils parcourent. C’est un éternel recommencement qui ne leur laisse pas le temps de souffler et de vivre la vie comme elle devrait l’être. Ces personnes sont dans un système de survie quotidien où elles vont chercher les ressources nécessaires pour pouvoir vivre demain. C’est un monde de précarité et d’atrocités qui s’offre eux. « Nous sommes des espèces de naufragés du monde ». Ils sont en quête d’identité dans un territoire où on les stigmatise à travers une entité que l’on nomme « migrants ». Il cherche à se construire dans un quotidien de rejet. « Nous sommes des humains, nous voulons être comme les autres mais nous ne pouvons pas ». Le retour en arrière est inenvisageable. Ils vont jusqu’à se bruler les empreintes digitales pour détruire ce qui restait de leur identité. Le chemin de la migration ne s’arrête jamais.

Et maintenant ?

Il y une lueur d’espoir dans un océan de détresse et d’épouvante grâce aux nombreuses actions citoyennes qui sont déployées au sein d’une grande chaîne de solidarité. Elles sont nombreuses et peu médiatisées, pourtant c’est grâce à elles que des rescapés de l’enfer peuvent espérer se reconstruire. Cette lueur reste néanmoins fragilisée par des politiques migratoires de plus en plus hostiles comme le projet de loi « Asile et Immigration » qui vient modifier le droit d’asile des étranges en réduisant le délai où le réfugié peut se soumettre à l’évaluation et en accentuant un système de tri parmi les nombreux réfugiés.
Il est important de garder à l’esprit que le solde migratoire n’a quasiment pas évolué depuis 40 ans et que les réfugiés n’ont pas forcément choisi de migrer vers l’Europe. Ils cherchent juste un pays où la guerre, la torture et la crise économique ne sont pas présentes. Aidons-les à notre échelle en leur apportant le nécessaire pour pouvoir survivre dans un monde hostile.

Comment agir ?

Plusieurs associations agissent à travers différentes actions à Nantes et ses alentours :
Action Jeunesse Scolarisarition
Médecins du Monde
Les Hébergeurs Solidaires de Nantes & Alentours
La Cimade
Vous pouvez directement les contacter pour échanger sur les actions possibles ou sur les projets qui sont mis en place à côté de vous.

Sweatlodge : du son, des paillettes et de la sueur

Conférence-débat “Comment bien vivre avec les écrans ?” : Mon enfant, les écrans et moi

Passionnée par les sujets d’actualité, j’attache de l’importance à informer et à sensibiliser sur des histoires méconnues. J’aime découvrir et appréhender le monde qui m’entoure par des rencontres, des partages et des parcours de vie.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017