20 juin 2018

Fellag, écrivain, conteur poétique et politique, passeur d’espoirs

En mai, il est revenu nous enchanter au Grand T à Nantes avec son spectacle Bled runner, un florilège des spectacles qu’il a créé depuis 30 ans. Histoire de nous rappeler ce qui nous lie, entre France et Algérie d’hier et d’aujourd’hui. Comme un cri de réconciliation, avec le rire comme remède aux replis, aux peurs qui nous traversent.

Fellag, écrivain, conteur poétique et politique, passeur d’espoirs

20 Juin 2018

En mai, il est revenu nous enchanter au Grand T à Nantes avec son spectacle Bled runner, un florilège des spectacles qu’il a créé depuis 30 ans. Histoire de nous rappeler ce qui nous lie, entre France et Algérie d’hier et d’aujourd’hui. Comme un cri de réconciliation, avec le rire comme remède aux replis, aux peurs qui nous traversent.

Fragil l’a rencontré et il s’est livré en simplicité et en élégance sur son parcours de théâtre, sa relation à l’art et ses espoirs. Il a accepté d’échanger avec un de ceux qui assurent la relève de l’humour : Omar Meftah.

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Denis Rouvre

La rencontre avec le théâtre

Il nous avoue qu’il va mentir, comme tout comédien qui se respecte. Mais ce qu’il nous livre est emprunt de véracité. Un ensemble de désirs, de faits, d’accidents l’ont mené là où il est aujourd’hui.

Il a commencé à raconter les films aux copains dans la cité, en imitant les voix des comédiens, avec les bruitages.

A l’âge de 12 ans, il découvre le cinéma en noir et blanc dans les salles obscures de Tizi Ouzou. Sous l’Algérie coloniale, le théâtre algérien n’était pas très présent, le reste était réservé à une petite minorité, en français. Le cinéma était là en revanche, avec son côté spectaculaire, les films en noir et blanc, les courts métrages en première partie. Le cinéma muet a remué son imaginaire. Il a commencé à raconter les films aux copains dans la cité, en imitant les voix des comédiens, avec les bruitages. A 18 ans, il répond à l’annonce d’une école d’art dramatique et se retrouve embarqué dans l’aventure théâtrale.

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Christophe Vootz

La relation à la création

Il a commencé à écrire en français, langue de l’école de l’époque coloniale. Il parlait le kabyle à la maison, l’arabe avec les copains dans la rue. L’envie d’écrire lui est venue avant l’envie d’être acteur. Il se voyait écrivain, porté par un romantisme adolescent qui imaginait tout auteur écrire en liberté, sans contrainte, écrivant pour lui-même. L’écriture était l’introspection contrairement au cinéma épique, flamboyant. Il a découvert les biographies des auteurs par le cinéma. Très vite, ses talents d’écrivain ont été reconnus par des premiers prix en rédaction. Pourtant, il n’avait pas envie de ce rôle de premier de la classe, pas envie d’apparaitre comme bon élève. Il voulait être bon élève discrètement. Tout aussi discret qu’aujourd’hui.
Les écrivains français du 19ème et du 20ème l’ont accompagné. Ceux qui portaient du sens, de la force dramatique, ceux qui étaient à la marge en fantaisie, en modernité d’écriture : Raymond Queneau, Boris Vian, les poètes comme Verlaine, Rimbaud, Apollinaire qui avaient en eux une folie, une réinvention de la langue, un amusement.

Il continue de s’émerveiller en littérature par les mots des autres : la réédition des nouvelles de Salinger l’enchante, le bouleverse par leur drôlerie, leur inventivité.

Pour son dernier spectacle, « Bled runner », il a choisi des morceaux qu’il a aimé partager et qui ont touché le public par leur tonalité, et ceux dont il sait qu’ils parlent encore au public aujourd’hui. Car il souhaite les faire découvrir aux plus jeunes.
Il tourne trois ans, s’arrête un an pour écrire, ou faire du cinéma. Le cinéma va de soi pour lui, être dirigé par un autre il l’a vécu en tant que comédien de troupe au Théâtre national d’Alger. Il est venu au One man show plus tard. Il aime la liberté d’être seul, inestimable, qui lui permet de transmettre en liberté ses textes depuis 30 ans. Aux nouveaux venus dans le métier il conseille de travailler, de lire, d’aller au cinéma pour entendre le monde d’aujourd’hui, de s’imprégner et d’aimer le travail des autres pour exorciser le narcissisme et rester humble et en perpétuel apprentissage. Le trac, il dit ne pas le connaitre et pourtant il explique être comme un chiffon mouillé avant chaque représentation, comme si c’était à chaque fois la première. C’est sans nul doute ce qui explique qu’il garde cette fraicheur, cette forme.

Il aime la liberté d’être seul, inestimable, qui lui permet de transmettre en liberté ses textes depuis 30 ans.

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IMG_9988-2HD©Charlotte-Spillemæcker

Charlotte Spillemæcker

L’Algérie, le rire pour affronter la violence

L’Algérie, c’est encore douloureux, l’épine plantée dans le cœur de son âme. Un arrachement lorsqu’il s’est vu contraint de quitter son pays qu’il aime, forcé à l’exil, dans l’incapacité de travailler, de produire, de s’exprimer. Il aime la rue dans son pays, où tout est théâtralisé. Avant les événements, il se souvient de la joie, de l’inventivité croisée à chaque coin de rue, qui alimentait sa créativité. Il le compare à l’Italie des années 1950. Il réfute toute idée de nostalgie, qu’il considère comme mièvre, mais insiste sur l’arrachement que ce départ contraint a provoqué. Il se sent bien en France. Il reconnait être éloigné des réalités de la société algérienne d’aujourd’hui, même s’il y retourne régulièrement. Il continue pourtant à raconter l’âme de son peuple. Son théâtre est celui des actualités perpétuelles, basées sur des valeurs humaines, universelles qui existent depuis toujours.

Dans son village, il se souvient avoir entendu une conversation entre deux vieux de 85 ans qui, en évoquant la torture qu’ils avaient subie, se sont mis à éclater de rire. Parce que rester joyeux leur a permis de rester en vie.

La France post-attentat lui a aussi donné l’envie de continuer et de reprendre certains de ces sketchs pour les donner à voir à l’aune de ces transformations.
Au début de ses spectacles, les réseaux sociaux n’existaient pas. Il racontait le drame vécu en Algérie avec ses 200 000 morts, sans compter les blessés, les traumatisés : tragédie terrifiante, pas une guerre franche, mais des groupes qui s’entretuaient, des règlements de compte. En France, c’était lointain. Il l’a mis en scène avec le rire, la tendresse, rire qui permet de continuer malgré tout. Dans son village, il se souvient avoir entendu une conversation entre deux vieux de 85 ans qui, en évoquant la torture qu’ils avaient subie, se sont mis à éclater de rire. Parce que rester joyeux leur a permis de rester en vie.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux font qu’à partir d’informations succinctes n’importe où dans le monde les peurs sont amplifiées. Son spectacle qui témoigne de cette période douloureuse permet aux spectateurs d’entendre ces histoires avec une autre oreille. Car ces spectateurs savent ce que représente la violence et en possèdent les références émotionnelles, intellectuelles, réservées auparavant aux pays qui la subissaient alors.

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MRB_0573©Christophe-Vootz

Christophe Vootz

La relève

Il est heureux de voir émerger depuis une dizaine d’années une nouvelle génération de comédiens humoristes de toutes origines qui ont une énergie et un imaginaire forts. Ils les considèrent indispensables pour désamorcer la catastrophe : les peurs, la méconnaissance de l’autre. Indispensables pour s’humaniser, retrouver des valeurs communes, un socle commun, car nous avançons sur le même rail : la peur, la soif, la tristesse, l’amour, nous les avons tous connus. Ce qui différencie les humoristes, c’est qu’ils se dévoilent de façon franche en faisant croire que c’est déguisé. Pour pouvoir peut être commencer à se dire qu’il est possible d’aimer l’autre. Que c’est l’histoire des pays, des régimes qui fabriquent des enfermements, des peurs collectives.

Ce qui différencie les humoristes, c’est qu’ils se dévoilent de façon franche en faisant croire que c’est déguisé.

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Denis Rouvre

Rencontre avec Omar Meftah

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Omar Meftah

Omar M. : « Je me souviens que vous faisiez partie de la famille. Je me souviens, tout gamin, je devais avoir 8 ans, avoir vu un de votre spectacle et n’avoir rien compris. Mais je me suis dit, en vous voyant jouer, que c’était ça que je voulais faire. J’ai su alors que je voulais être comédien. »

Fellag : « Cela m’intéresse, cette influence. Cela m’est aussi arrivé. Quand j’étais jeune, j’ai vu un film de Godard, Alphaville, auquel je n’ai rien compris. Tout le monde avait quitté la salle et moi je suis resté, fasciné par l’ambiance du film, même si je n’y comprenais pas grand-chose. Nous devions être cinq dans la salle à la fin. J’étais aussi fasciné par le jeu d’Eddie Constantine à contre emploi. 30 ans plus tard j’ai été capable de parler du film, j’ai fini par le comprendre. Comme lorsqu’on lit Platon à 15 ans et qu’on le redécouvre à l’âge adulte. Je suis très touché par votre réaction. »

Omar M : « Qu’est-ce qui vous a le plus touché  dans le film de Godard ? La réaction provoquée dans la salle ou le film en lui-même ? »
Fellag : « C’est la magie du cinéma, l’atmosphère, les lumières. J’ai été happé par cette magie, pas simplement comme dans un western ou une comédie. J’adore aujourd’hui l’intelligence de Jean Luc Godard, autant pour sa parole libre que pour ses films.
Quand je suis arrivé en France j’allais jouer dans des petits théâtres où je rencontrai des jeunes qui me disaient : on ne comprend pas, mais on comprend »

« Moi j’arrive avec des histoires de tous les jours, d’amour, de guerre, de rires. Et les gamins ont l’impression d’écouter les histoires d’un tonton qu’ils n’ont pas eu. »

Omar M : « Exactement, c’est ce que j’ai ressenti. On ne comprend pas, mais on comprend. »

Fellag : « J’étais un peu l’oncle d’Algérie qui vient raconter des histoires d’un monde qu’ils ignorent, avec des parents souvent analphabètes, ouvriers, mineurs qui n’avaient pas une vision générale de leur pays d’origine. Leurs enfants ont des images de cousins, de villages, mais ne connaissent pas l‘histoire du pays de leurs parents. Moi j’arrive avec des histoires de tous les jours, d’amour, de guerre, de rires. Et les gamins ont l’impression d’écouter les histoires d’un tonton qu’ils n’ont pas eu. »

Omar M. : « Tu nous parles d’odeurs, gamin, on n’entend pas forcément tes paroles, on sent l’odeur des histoires que tu nous racontes. »

Critiques de cinéma et questions politiques, religieuses et sociales se rencontrent et s'entremêlent dans les papiers de Nathalie. Élue au Conseil d'administration de Fragil, Nathalie sème également des "Poussières d'images" sur JetFM.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017