« 5 ans après #Metoo, comment peut-on encore être un homme aujourd’hui ? » Pas facile de répondre à cette question que le Grand T nous pose tant elle est complexe. Et pourtant il ose nous la poser à sa façon avec des pièces de théâtre, des défilés de mode, des marionnettes mais aussi des conférences et des débats.
Le festival Être un homme, c’est une réflexion en profondeur sur des siècles de domination masculine, ce que les féministes dénoncent aujourd’hui : le patriarcat.
Le rôle des mouvements féministes
Pour Sergio Coto-Rivel, le commissaire scientifique du festival, ce sont les féministes qui sont à l’origine de la question et elles ont commencé par s’interroger sur : c’est quoi être une femme ?
« Est-ce qu’être une femme, c’est forcément se soumettre aux hommes, s’occuper des enfants, devenir infirmière ou travailleuse sociale, accepter d’être moins bien payées que les hommes ? Non » considère M. Coto-Rivel. « Il n’y a pas de déterminisme »
Pour ce spécialiste des masculinités par ailleurs professeur de littérature à l’Université de Nantes, c’est de cette pensée féministe que sont nées les luttes sociales pour obtenir le droit de vote et le droit d’avorter, pour revendiquer une égalité salariale et un accès aux postes à responsabilité.
Le rôle des mouvements LGBT
« Après les féministes, les mouvements LGBT ont dénoncé les discriminations qu’ils subissaient à cause de leurs préférences sexuelles. Et aujourd’hui se pose la question des masculinités et des pressions que le patriarcat impose aux hommes ».
L’homme fort et viril a-t-il toujours sa place dans notre société contemporaine ? L’homme a-t-il encore pour mission de protéger sa famille et d’assurer les besoins des siens ? A-t-il le droit de pleurer ? Doit-il être un modèle ? C’est à toutes ces questions que le festival va tenter de répondre.
Le genre masculin : une notion qui évolue
Et s’il est si difficile de définir cet homme idéal, c’est que cette notion de masculinité n’est pas immuable. Elle a changé selon les époques, les classes sociales, les régimes politiques. C’est en tout cas le point de vue défendu par M. Coto-Rivel.
« Au 18ème siècle, les nobles se poudraient et portaient des talons hauts » fait remarquer le professeur de civilisations latino-américaine. « Avec nos yeux d’aujourd’hui, on les rangeraient dans le genre féminin et pourtant ils ne partageaient pas le pouvoir avec les femmes. À cette époque, l’homme parfait devait être sensible, cultivé ».
Selon lui, toutes les études sur les théories du genre sont là pour ouvrir la réflexion, identifier les différences, établir des catégories avec des critères pertinents. Et aussi pour remettre en cause cette croyance que le patriarcat est vieux comme le monde.
Partager le pouvoir pour plus de justice
Pour Maud Raffray, une des co-présidentes des Fameuses, très engagée dans l’égalité femmes-hommes au point de se considérer comme une activatrice, la situation n’évoluera pas tant que les hommes ne se saisiront pas de la question. Mais en ont-ils vraiment envie ? Pas certain selon elle.
« Ils n’ont pas intérêt à casser le système car ils devraient partager leur place et tous les avantages qui vont avec : un meilleur salaire et davantage de considération ».
La limite des quotas de femmes
Cela passe sans doute par l’imposition de quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises, notamment celles du CAC 40. Mais pour Maud Raffray qui consacre son temps à relayer la parole militante auprès des institutions culturelles et politiques, ce n’est pas suffisant.
« Même lorsqu’elles accèdent aux plus hautes responsabilités » constate-t-elle, « elles sont reléguées dans des postes décisionnaires subalternes comme par exemple la communication. Le rapport d’équilibre entre les hommes et les femmes sera vraiment atteint le jour où les hommes prendront les espaces réservées aux femmes, par exemple les crèches ou les métiers d’infirmiers ».
Revaloriser les compétences féminines
Et pour inverser les rôles, il faut, selon elle, commencer par revaloriser les salaires et les compétences féminines : sens de l’écoute et du dialogue, attention aux autres, soins aux enfants et aux parents âgés.
« Pourquoi n’aurait-on pas des leaderships doux, respectueux, emprunts d’humanité ? Pourquoi un homme ne pourrait-il pas investir de façon aussi acceptée la sphère de l’affectif ? Et pourquoi une femme ne se mettrait-elle pas en colère sans qu’on ne la prenne pour une hystérique ? »
Et de poursuivre ce raisonnement jusqu’au bout : « Aujourd’hui, un homme doux sera considéré comme une mauviette, comme quelqu’un qui n’a pas de leadership. S’il se met en colère, ce sera non seulement toléré mais ça renforcera son autorité professionnelle ».
Une volonté de changer les mentalités
Maud Raffray va même encore plus loin. Elle estime qu’il faut dégenrer les compétences et diversifier les modèles. Pour elle, il y a autant de différences entre certains hommes et entre certaines femmes qu’il n’y a de différence entre un homme et une femme. Et pour y arriver, il faut la même volonté politique que lorsqu’on s’est attaqué à la question de la sécurité routière, ou les méfaits de l’alcoolisme et du tabac.
« Pour changer en profondeur les mentalité, il faut des campagnes de communication massives et des actions pédagogiques auprès des jeunes et des parents », insiste-t-elle. « Dans les écoles, on fait passer le brevet de sécurité routière aux collégiens et l’on n’arrive pas à mettre en place les 3 séances obligatoires d’éducation à la vie sexuelle et affective, faute de moyens ».
Le coût de la violence faite aux femmes
Résultat : le sexisme s’aggrave en France. Le Haut conseil pour l’égalité femmes hommes juge même la situation « alarmante ». Le baromètre qu’il vient de publier en 2023 fait ressortir des chiffres effrayants : 80% des femmes ont la sensation d’avoir déjà été victimes de sexisme. Quatre jeunes femmes sur cinq considèrent qu’il est difficile d’être une femme dans la société actuelle. Plus d’un tiers des femmes ont vécu une « situation de non-consentement ». 15% des femmes ont déjà subi des coups portés par leur partenaire ou ex-partenaire. Seul 1 Français sur 5 estime que le monde professionnel est égalitaire.
« La violence faite aux femmes en France a un coût estimé à 95 milliards d’euros par an », ajoute Maud Raffray. « Et dans la cour des écoles, les garçons occupent 80% de l’espace ».
Se mettre en mouvement
Autant dire que l’homme idéal, sensible à la cause féminine, prêt à rendre justice aux femmes et à leur donner plus de place n’est pas majoritaire. D’où l’intérêt de ce festival organisé dans des lieux aussi différents que l’école d’architecture, l’école des Beaux Arts, le Théâtre Universitaire, le Katorza ou Stereolux.
Pour Maud Raffray, il s’agit « d’ouvrir une fenêtre ». La réponse à la question : « c’est quoi être un homme ? » ne se décrète pas. « Il n’y a pas de baguette magique ni de feuille de route », admet Maud Raffray. Juste un peu de curiosité à avoir et accepter une remise en cause de ses comportements.