16 novembre 2022

Enquête sur l’Arbre aux hérons : son abandon continue de susciter des débats !

L’abandon de l’Arbre aux hérons annoncé le jeudi 15 septembre par la maire de Nantes, apparaît aux yeux de beaucoup comme un arrêt brutal. Pourtant, les arguments avancés pour justifier son arrêt sont énoncés depuis plusieurs années déjà par ses opposant·es et sont contestés par les initiateurs du projet. Retour sur un projet qui, dès le départ, a suscité controverses et débats.

Enquête sur l’Arbre aux hérons : son abandon continue de susciter des débats !

16 Nov 2022

L’abandon de l’Arbre aux hérons annoncé le jeudi 15 septembre par la maire de Nantes, apparaît aux yeux de beaucoup comme un arrêt brutal. Pourtant, les arguments avancés pour justifier son arrêt sont énoncés depuis plusieurs années déjà par ses opposant·es et sont contestés par les initiateurs du projet. Retour sur un projet qui, dès le départ, a suscité controverses et débats.

Lancé en 2002 et porté par la compagnie La Machine, l’Arbre aux hérons est le projet le plus ambitieux, après le Grand éléphant et la Galerie des machines en 2007 et le Carrousel des mondes marins en 2012, conçu par le duo François Delarozière et Pierre Oréfice. Cette structure en acier géante (35m de haut et 50m de diamètre) de plus de 1 000 tonnes se compose de 17 branches métalliques végétalisées accueillant des jardins suspendus et un bestiaire mécanique de 28 espèces, surmontée à son sommet de 2 hérons géants pouvant embarquer des visiteur·euses pour un vol circulaire à plus de 40 m de haut. Cette structure-manège devait s’installer sur le site du Jardin extraordinaire dans la carrière Misery en bord de Loire, dans le quartier du Bas-Chantenay.

Agrandir

presentation-heron-scaled
Présentation de quelques éléments de l’Arbre aux hérons dans la Galerie des machines

Afin de donner vie à ce monde imaginaire, une branche prototype de l’Arbre aux hérons est exposée au public dès 2018 ainsi que des maquettes d’un héron de 8m, mais aussi de 2 colibris, d’une araignée, d’une fourmi, d’un paresseux et d’une chenille qui sont venus à leur tour peuplés la Galerie des Machines. De quoi donner un premier aperçu de ce que sera l’Arbre aux Hérons et en faire réver plus d’un ! La construction de cette œuvre devait commencer en 2022 pour s’achever 5 ans plus tard avec une ouverture au public à l’horizon 2027.

Le coût de l’Arbre aux hérons, argument central pour justifier l’abandon du projet

Pourtant, l’arrêt du projet a été annoncé lors d’une conférence de presse par Johanna Rolland, le jeudi 15 septembre 2022, justifié par « le contexte d’urgence sociale et écologique que nous connaissons ». Au cœur du problème, le coût du projet qui s’est envolé : initialement estimée à 35 millions d’euros puis réévaluée à 52,4 millions d’euros en 2021, la réalisation de l’Arbre aux hérons atteindrait désormais 80 millions selon la maire de Nantes, montant qu’elle qualifie de « déraisonnable » et « qui n’est pas compatible avec ce qui peut être compris ». La faute à l’inflation, notamment l’augmentation du coût des matières premières (bois et acier) due à la situation internationale qui représenterait 15 millions d’euros supplémentaires, mais aussi à un montage financier plus complexe que prévu, entrainant une nouvelle hausse du budget de 13 millions d’euros. En effet, fin août dernier, la préfecture de Loire-Atlantique a conclu à l’obligation pour la Métropole de réaliser plusieurs marchés publics, là où cette dernière prévoyait d’octroyer un marché unique à la compagnie au titre de la création d’une œuvre d’art comme le prévoient les conditions définies par l’article R2122-3 du code de la commande publique.

Agrandir

croquis-heron-scaled
Croquis préparatoire du Grand héron

Mais pour que l’Arbre aux hérons puisse être réalisé sans passer par des appels d’offres et une mise en concurrence des marchés, il fallait lui reconnaitre le statut d’œuvre d’art à 100 %, ce qu’a rejeté la préfecture. Cette décision préfectorale fait suite aux alertes
lancées en janvier 2022 puis de nouveau fin avril par Anticor 44, une association anticorruption, sur les conditions de financement de l’Arbre aux hérons et notamment de mise en concurrence des marchés publics, et le manque de transparence dans l’attribution de certains marchés. Anticor 44 demandait que « les lots pour la construction soient attribués après une mise en concurrence afin de retenir les entreprises les mieux-disantes [dont la réponse à un appel d’offre présente le meilleur rapport entre la qualité et le prix –N.D.L.R), d’autant que certains lots (gros-œuvre, gardiennage, bureau d’études techniques, contrôle SPS etc..) ne demandent pas de compétences “artistiques”
particulières ».

Coté financement, l’Arbre devait être subventionné pour un tiers par Nantes Métropole, un autre tiers par le Conseil départemental, le Conseil régional et l’Etat, le dernier tiers par des mécènes. Un fonds de dotation a même été créé en novembre 2017
pour la collecte des dons des entreprises privées et des particuliers, et une campagne de financement participatif avait été lancée en 2018, qualifiée de « véritable succès » par ses organisateurs (la dernière mise à jour du 26 septembre 2022 fait état de 5 511 contributeur·rices pour 373 525 euros récoltés). A ce jour, la collectivité métropolitaine avait déjà financé 6 millions d’euros. Pour les partenaires publics, un peu plus de 10 millions d’euros avaient été trouvés grâce à la participation de la région, du département et l’État et du côté des financeurs privés enfin, le site internet de l’Arbre aux hérons annonçait pouvoir déjà compter sur la somme de 6 millions d’euros, via un fonds de dotation rejoint par une quarantaine d’entreprises du territoire.

Un arrêt brutal pas si surprenant

« Trahison », « sous le choc de cette nouvelle soudaine », « stupéfaction et déception », « un choc », telles sont quelques-unes des réactions de la part des concepteurs du projet, du Fonds de dotation pour l’Arbre représentant les mécènes engagés dans le projet ou encore de Yann Trichard, directeur de la Chambre de Commerce et de l’Industrie Nantes Saint-Nazaire (CCI), au lendemain de l’annonce de l’abandon de
l’Arbre aux hérons par Johanna Rolland. Selon Carine Chesneau, présidente du Fonds de dotation, la décision a été prise unilatéralement « sans aucune discussion, concertation préalable ou recherche de solutions autour des nouveaux sujets de réglementation, économiques et budgétaires ». Si les maires de la Métropole, majoritairement opposé·es au projet, se sont plutôt réjouis de cette décision, ils ne semblent pas non plus avoir été informés préalablement de cette décision puisque l’information a été donnée aux élu·e·s convoqué·es à ce propos le matin même seulement de l’annonce. Ces élu·es de tous bords travaillaient pourtant depuis de longs mois sur le dossier au sein d’un groupe trans-partisan.

L’annonce de l’abandon du projet en a donc déconcerté plus d’un. Les principaux arguments avancés par Mme Rolland lors de la conférence de presse du 15 septembre étaient cependant déjà énoncés depuis plusieurs années par les opposant·e·s au projet (parmi lesquels la plateforme Stop Arbre aux hérons) et de ce point de vue, ne peuvent donc pas apparaître comme totalement imprévisibles et inattendus. On se souvient de l’intervention du 4 octobre 2019, au conseil municipal de Nantes Métropole, de Julie Laernoes, députée de Loire-Atlantique et co-présidente du groupe d’élu·es écologistes et citoyen·nes de Nantes Métropole, qui s’interrogeait déjà sur la pertinence du projet compte-tenu de l’urgence climatique et évoquait les réserves des écologistes nantais·es concernant les incertitudes sur les coûts et le financement du projet (les estimations résultant des premières études menées n’ayant pas été portées à leur connaissance semble-t-il). Dans un communiqué daté du 9 avril 2021, les élu·es d’EELV de Nantes réitéraient les mêmes arguments s’inquiétant du manque de visibilité sur le coût global : « Dans le contexte actuel d’urgence sociale, écologique et économique, continuer de faire avancer un projet comme celui de l’Arbre aux Hérons, doit nous interroger car sa viabilité technique et financière reste encore aujourd’hui incertaine8».

Début juillet 2021, les porteur·euses du projet et les dirigeant·es du Fonds de dotation présentaient les conclusions des études techniques et financières menées par la compagnie La Machine et annonçaient une augmentation de 40 % du coût de l’Arbre aux hérons (passant de 35 millions à 52,4 millions), hausse totalement consentie à ce moment-là par Nantes Métropole et sa présidente qui déclarait quelques jours plus tard : « la période actuelle nous invite encore davantage à faire des choix. Ce n’est pas le moment de se replier, mais de continuer à lever la tête, à inventer, à rayonner, à faire rêver ». Cela n’avait pas suffi à apaiser les craintes des élu·es s’opposant au projet puisque l’écologiste
Mahel Coppey estimait que les explications de l’origine de ces surcoûts étaient discutables. Dans un souci de transparence, la création d’un « groupe de travail transpartisan » à la rentrée 2021 avait été annoncée fin juin, chargé d’étudier le dossier et d’examiner chacune des positions. La décision et la délibération du projet devait ensuite faire l’objet d’un vote en conseil métropolitain à la fin de la même année. Or force est de constater que début 2022, aucune décision n’avait encore été prise… Le signe d’un mauvais présage ?

Des arguments contestés

Depuis l’annonce de l’arrêt de l’Arbre aux hérons, ses initiateurs et contributeur·rices ne manquent pas d’exprimer leur scepticisme quant à la légitimité des arguments avancés par la présidente de Nantes Métropole, multipliant la publication de communiqué de presse sur le site de la compagnie La Machine. Dès le lendemain de l’annonce de l’abandon, le 16 septembre, les créateurs y déplorent que la décision ait été prise sans concertation et recherches d’alternatives. De même, dans celui du 7 octobre, l’augmentation du coût global porté, pour rappel, à 80 millions d’euros selon Johanna Rolland, est jugée « inexpliquée et surtout inexplicable », chiffres et raisonnements détaillés à l’appui. Et quand bien même, la compagnie rappelle que l’inflation occasionnant forcément des coûts supplémentaires va toucher tous les projets en cours dans la Métropole et s’étonne que le projet de la Cité imaginaire qui doit voir le jour dans le même quartier du bas-Chantenay d’ici à 2028, projet estimé à 50 millions d’euros ait été, quant à lui, voté au début de l’été sans problème, pourtant dans le même contexte
économique. Pour Derozière et Oréfice, il ne fait pas de doute, dans ces conditions, que l’abandon du projet relève donc « d’un choix politique, non budgétaire».

Enfin, pour répondre aux accusations de certains détracteur·rices qualifiant l’Arbre aux hérons de projet polluant, un 3eme communiqué de presse a été publié le 22 octobre dans lequel les 2 créateurs estiment que l’Arbre aux hérons est une « œuvre d’art écologique ». Ils en veulent pour preuve l’évaluation du bilan carbone de l’Arbre aux hérons réalisée et présentée en janvier dernier qui met en évidence, selon eux, de nombreux axes d’amélioration et d’optimisation de son empreinte carbone. Pour ces derniers, le coût carbone de l’Arbre aux hérons « est comparable à celui de la construction d’un immeuble de 6 543 m2 soit un immeuble de 6 étages comme il s’en construit plusieurs chaque année à Nantes ».

Mais alors quel devenir pour le projet ?

Forts de leurs arguments, les initiateurs et contributeur·rices du projet se refusent à croire le projet définitivement abandonné et enterré. Très vite, Yann Trichard, directeur de la CCI de Nantes Saint-Nazaire s’est exprimé en faveur de la poursuite du projet au nom du rayonnement national et international que l’Arbre aux hérons contribuerait à donner à la ville (au même titre rappelle-t-il que les machines de l’île ou le Voyage à Nantes). L’assemblée de la CCI a donc décidé à l’unanimité « d’investiguer la possibilité et les conditions d’une réalisation de ce projet par des financements privés ». Des premiers échanges ont déjà eu lieu avec les acteur·rices économiques désireux·ses de poursuivre l’aventure et des réunions de travail rassemblant toutes les parties concernées devraient se tenir très prochainement.

Agrandir

test-heron-style-scaled
Premier test d’un vol embarqué du Grand héron le samedi 22 octobre

Quant à François Derozière et Pierre Oréfice, ils ont invité les Nantais·es le samedi 22 octobre dernier, un peu plus d’un mois après l’annonce de l’abandon, à venir observer le Grand héron en mouvement sur l’esplanade des Riveurs. Ce 1er test de vol embarqué a
rassemblé plusieurs milliers de personnes venus assister à la prouesse technique et témoigner leur soutien à la poursuite du projet. Preuve s’il en est que l’Arbre aux hérons continuent de faire rêver et qu’il n’est peut-être pas totalement inimaginable pour ses 2 créateurs de voir un jour leur « projet fou » se concrétiser !

À Orvault, Fragil a accompagné des ados à créer leur média sur Instagram

La Nuit Fantastique de l'Absurde Séance: une nuit ̶d̶’̶h̶o̶r̶r̶e̶u̶r de bonheur au Katorza

Prof d'histoire-géo et plutôt curieuse de tout, j'ai très envie de partager avec vous mes découvertes sur tous les sujets en contribuant à Fragil !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017