24 février 2021

Conseil lecture : quatre livres pour questionner l’impact de la technologie sur les médias et la démocratie

Dans le cadre de sa mission d'éducation aux médias, Fragil vous propose une sélection de quatre livres parus en 2020 qui vous permettra de réfléchir aux limites des nouvelles technologies dans le débat démocratique.

Conseil lecture : quatre livres pour questionner l’impact de la technologie sur les médias et la démocratie

24 Fév 2021

Dans le cadre de sa mission d'éducation aux médias, Fragil vous propose une sélection de quatre livres parus en 2020 qui vous permettra de réfléchir aux limites des nouvelles technologies dans le débat démocratique.

Affaire Cambridge Analytica : faire plier la démocratie sous le microciblage publicitaireMindfuck

En 2018, The Guardian et The New York Times révèlent le scandale Cambridge Analytica. L’entreprise anglaise avait récolté, de manière frauduleuse, les données de plus de 87 millions de compte Facebook afin de les utiliser dans des opérations de manipulation d’opinion sur des populations indécises à travers des campagnes publicitaires microciblées sur Facebook.

Dans ce livre, Christopher Wylie, le lanceur d’alerte de l’affaire et ancien directeur de recherche de Cambridge Analytica, détaille l’articulation des logiques commerciales, technologiques et idéologiques, et les dérives associées qui ont mené, entre autres détournements démocratiques, à faire voter le Brexit et élire Donald Trump.

Au delà de l’explication de l’affaire, le livre de Christopher Wylie permet aussi de mieux comprendre les mécanismes qui l’ont amené à s’intéresser à l’utilisation des données personnelles et à tisser des liens avec des idéologues conservateurs, tels que Steve Bannon ou le milliardaire Robert Mercer, en contradiction avec ses propres valeurs progressistes.

Références :

Mindfuck, Le complot Cambridge Analytica pour s’emparer de nos cerveaux

Christopher Wylie

Grasset, 2020 – 490 pages

Entre prédation et asservissement : les géants du numériques, nouveaux seigneurs Techno-féodalisme

Économiste à l’université Sorbonne Paris-Nord spécialiste de la mondialisation, la financiarisation et des mutations du capitalisme contemporain, Cédric Durand propose ici une lecture économique critique du développement des géants du numérique.

L’hypothèse avancée dans ce texte est celle du dépassement du capitalisme par les acteurs du BigData. En effet, au delà de posséder les moyens de production, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) et autres NATU (Netflix, Air BNB, Tesla, Uber) se dirigent désormais vers une utilisation féodale de leur pouvoir : à l’instar des seigneurs du Moyen-Âge, ces entreprises ne produisent pas mais fonctionnent par logique de prédation. Les objets de conquêtes ne sont plus des territoires mais des sources de données, les sujets sont les utilisateurs et utilisatrices en situation de dépendance à ces plateformes et qui produisent de la donnée gratuitement en échange de la sécurité promise par leurs structures techniques.

Un livre extrêmement dense qui permet de questionner par le prisme économico-politique le pouvoir des plateformes numériques. Pour celles et ceux qui seraient effrayés par l’idée de se plonger dans un tel ouvrage, un aperçu des concepts défendus par l’auteur est accessible dans un entretien de Cédric Durand à France Culture.

Références :

Techno-féodalisme – Critique de l’économie numérique

Cédric Durand

Zones – La Découverte, 2020 – 250 pages

Critiquer la marche du progrès pour que la technologie soit au service de la démocratie

Technologie partout, démocratie nulle partRespectivement fondateur du blog technocritique maisouvaleweb.fr et consultante en sociologie, l’auteur et l’autrice de cet ouvrage sont aussi à l’origine de l’association le Mouton Numérique qui vise à mettre en lumière les enjeux sociaux, politiques et environnementaux des nouvelles technologies. Dans cet ouvrage, Irénée Régnauld et Yaël Benayoun nous proposent donc un état des lieux des problématiques liées à la notion de progrès technologique et aux idéologies qui s’y attachent. Proposant tout d’abord à la critique des idées reçues sur la technologies telles que « on n’arrête pas le progrès » ou encore « la technologie est neutre », le livre nous offre un panorama mondial des différentes initiatives citoyennes s’attaquant aux dérives technologiques et aux systèmes qui les nourrissent. A travers des cas concrets tels que la lutte du collectif Block Sidewalk contre le projet de smartcity porté par Google à Toronto ou encore « [l’accompagnement des] populations dans une sorte de reconquête lente du pouvoir de transformer eux-mêmes la ville et de tendre vers la ville de demain » du projet Hub City à Lomé au Togo, ce texte nous permet de questionner les rapports citoyens face au pouvoir de la technologie et d’envisager la lutte contre le sentiment d’impuissance qu’il provoque.

Références :

Technologies partout, démocratie nulle part –  Plaidoyer pour que les choix technologiques deviennent l’affaire de tous

Yaël Benayoun et Irénée Régnauld

FYP, 2020 – 230 pages

Chasser les idées reçues en étudiant l’histoire des médias Fake news et viralité avant internet

Roy Pinker est le nom d’un journaliste fictif créé dans la première moitié du XXème siècle pour le journal Détective. C’est sous ce pseudonyme évoquant une mystification journalistique qu’un collectif de chercheurs et chercheuses ont décidé de réfléchir aux rapports entre presse et littérature. Pour cet ouvrage, ce sont donc Pierre-Carl Langlais, Julien Schuh et Marie-Eve Thérenty, trois universitaires spécialistes des médias, qui ont adopté le nom de Roy Pinker.

Tout au long des quinze chapitres du livre, les auteurs et l’autrice illustrent de manière plutôt amusante et largement sourcée comment des phénomènes médiatiques que l’on a tendance à lier au numérique existaient déjà à la fin du XIXème siècle. Ainsi, on apprend que les mèmes, buzz, fake-news et autres copier-coller étaient déjà des pratiques répandues bien avant l’émergence du numérique. Un texte permettant de prendre du recul sur les accusations de création de la désinformation portées sur les nouvelles technologies, même si ces dernières ont leur part de responsabilité dans l’accélération de sa diffusion.

Références :

Fake news & viralité avant Internet – Les lapins du Père-Lachaise et autres légendes médiatiques

Roy Pinker

CNRS Edition, 2020 – 220 pages

Exposition Golden Age - l'abondance du street art

Décrypter les réseaux sociaux pour mieux guider les mineurs non accompagnés

Chargé de projets numériques et médiatiques chez Fragil depuis 2017, musicien, auteur, monteur... FX est un heureux touche-à-tout nantais. Il s'intéresse aux musiques saturées, à l'éducation aux médias, aux cultures alternatives et aux dystopies technologiques.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017