• Traviata St Céré 2016
16 septembre 2016

Rencontre : Burcu Uyar et Julien Dran jouent « Traviata » à Saint-Céré

L’un des temps forts de l’édition 2016 du festival de Saint-Céré a été la mise en scène de « La Traviata » de Verdi par Olivier Desbordes. Dans une vision intime, Violetta revoit passer toute sa vie, juste avant de mourir. Nous avons rencontré Burcu Uyar et Julien Dran, bouleversants d’intensité en Violetta et Alfredo.

Rencontre : Burcu Uyar et Julien Dran jouent « Traviata » à Saint-Céré

16 Sep 2016

L’un des temps forts de l’édition 2016 du festival de Saint-Céré a été la mise en scène de « La Traviata » de Verdi par Olivier Desbordes. Dans une vision intime, Violetta revoit passer toute sa vie, juste avant de mourir. Nous avons rencontré Burcu Uyar et Julien Dran, bouleversants d’intensité en Violetta et Alfredo.

Lors du festival de Saint-Céré 2016, Fragil recevait dans le traditionnel canapé de l’hôtel de France Burcu Uyar et Julien Dran, interprètes de « La Traviata » de Verdi dans la vision d’Olivier Desbordes.

Fragil : Que représente pour vous La Traviata ?

Burcu Uyar : C’est un opéra mythique, et j’ai beaucoup de chance de chanter et de jouer ce rôle magnifique. Mais c’est très important d’en offrir sa propre vision, nourrie de tout ce que l’on ressent, tout en respectant ce que le compositeur a écrit.

Julien Dran : C’est la première fois que je chante le rôle d’Alfredo. De grands artistes ont interprété cette œuvre avant nous, mais nous devons offrir une autre version, en étant crédibles. C’est effectivement important de s’approprier les œuvres en fonction de sa technique et de sa sensibilité, mais aussi de son âge et de la génération à laquelle on appartient. C’est beaucoup de travail et de responsabilité.

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Il y a deux Violetta, l’une est muette et joue, la seconde chante.
Il y a deux Violetta, l’une est muette et joue, la seconde chante.

Nelly Blaya

Le cauchemar de Violetta

Fragil : Comment présenteriez-vous le spectacle conçu par Olivier Desbordes ?

Burcu Uyar : C’est un rêve, ou plutôt un cauchemar. Violetta regarde sa vie, mais ne peut rien en changer. Elle est impuissante. La fête chez Flora se déroule sous son regard malade. Je suis dans un lit pendant tout le spectacle, et reste seule dans mon coin. C’est très sportif de chanter allongée. Alfredo arrive à la fin et on se retrouve un moment. Dans cette vision de l’opéra, nous ne sommes réunis physiquement que pendant dix minutes ! L’orchestre me semble loin et je n’ai pas de contact avec le chef puisque je suis filmée en permanence. Je regarde la caméra en restant très en avant sur le lit.

Dans cette vision de l’opéra, nous ne sommes réunis physiquement que pendant dix minutes ! Burcu Uyar

Julien Dran : Il y a deux Violetta, l’une est muette et joue, la seconde chante. Certains moments fonctionnent vraiment bien car l’autre Traviata, avec qui je partage plusieurs scènes, est une danseuse.

Fragil : Julien, vous étiez Gastone dans La Traviata présentée à l’Opéra National de Paris en juin dernier. Quels étaient les grands axes de la mise en scène du cinéaste Benoît Jacquot ?

Julien Dran : C’était une reprise. Benoît Jacquot voulait un spectacle assez proche d’un film, avec des intentions très précises dans les gestes et les expressions du visage, pour des effets de gros plan qui ont touché les spectateurs. Le parti pris est assez statique et le chœur représente une foule. Il y a un beau travail de lumière. La vision est simple mais très efficace.

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La Traviata vue par Olivier Desbordes.
La Traviata vue par Olivier Desbordes.

Nelly Blaya

Fragil : Burcu, vous explorez des registres très aigus, en chantant notamment le rôle de la reine de la nuit et la perturbante scène de folie dans Lucia di Lamermoor. Quelles émotions ces notes aériennes vous procurent-elles ?

Burcu Uyar : Je m’efforce de ne pas penser à la technique, pour que mon émotion sur scène me conduise à l’aigu. Si la note est réussie, je suis heureuse, et si le public réagit, c’est énorme ! Ces passages très aigus sont des numéros que tout le monde attend, un peu comme au cirque. J’ai beaucoup chanté le rôle de la reine de la nuit, et notamment dans les trois opéras de Berlin au cours de la même année ! J’ai cependant envie maintenant de rôles plus lyriques, avec un vrai côté théâtral, et d’être sur scène le plus longtemps possible.

Fragil : Julien, vous chantez aussi l’opéra français et, après Nadir des Pêcheurs de perles de Bizet à l’opéra de Massy, vous serez notamment cette saison Antinoüs dans la trop rare Pénélope de Gabriel Fauré à Bruxelles et Gérald dans Lakmé de Léo Delibes aux opéras de Tours et de Marseille. Comment définiriez-vous ce répertoire ?

Julien Dran : C’est pour moi assez naturel puisque c’est ma langue maternelle et ma culture. J’ai chanté des cantates de Charpentier, de Gounod et de Massenet. J’aime énormément le bel canto italien, qui me convient le mieux, mais j’ai beaucoup d’affection pour ces œuvres peu représentées que sont Lakmé ou Les pêcheurs de perles. La musique est splendide, mais c’est un répertoire qui devient vite très large pour la voix.

Ces passages très aigus sont des numéros que tout le monde attend, un peu comme au cirque Burcu Uyar

Fragil : Vous aussi Burcu, vous chantez l’opéra français et vous avez incarné Manon de Jules Massenet en 2009 à Angers Nantes Opéra. Quel souvenir en gardez-vous ?

Burcu Uyar : C’est un souvenir magnifique ! J’ai adoré jouer ce rôle où je me croyais dans un film. Je ne l’ai malheureusement pas repris depuis et j’aimerais beaucoup le refaire. Il y a dans cet opéra une diversité musicale et scénique incroyable et chaque acte possède un esprit particulier. Il se passe plein de choses sur le plan théâtral, car Manon évolue de l’innocence à la femme accomplie, avant d’être rejetée. J’aime énormément chanter en français et explorer ce répertoire, qui est idéal pour ma voix. J’espère le défendre beaucoup plus en France à l’avenir. J’ai aussi interprété Juliette de Roméo et Juliette de Gounod en 2010 en Italie, et ai en projet le rôle de Marguerite dans son Faust en Allemagne.

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Je suis filmée en permanence. Je regarde la caméra en restant très en avant sur le lit.
Je suis filmée en permanence. Je regarde la caméra en restant très en avant sur le lit.

Nelly Blaya

Fragil : Vous êtes, Julien, le fils du ténor Thierry Dran, et petit-fils de la soprano Monique de Pondeau et du ténor André Dran. En quoi cette généalogie nourrit-elle votre carrière ?

Julien Dran : Au début, c’était enthousiasmant. J’ai commencé le chant à l’âge de 21 ans et j’ai mesuré la chance que j’avais d’être issu de cette famille. Ça a toujours été quelque chose de positif mais aujourd’hui, ça me pèse parfois un peu. Nous autres, enfants d’artistes, sommes certainement programmés un peu différemment. Ma grand-mère est toujours une référence à l’opéra de Marseille, ce qui amène une pression lorsque je m’y produis. J’ai toutefois longtemps regretté de l’avoir perdue lorsqu’elle avait 64 ans. J’aurais eu des choses à échanger avec elle, mais il faut se faire un nom…

Burcu Uyar : Lorsque je vois Julien sur scène, je vois qu’il est heureux, et c’est l’essentiel.

Une porte vers la comédie musicale

Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?

Burcu Uyar : Je vais chanter Carlotta dans la production du Fantôme de l’Opéra qui va être présentée cet automne au théâtre Mogador à Paris. C’est une porte sympathique qui s’ouvre sur la comédie musicale. Je serai une diva capricieuse et un peu méchante, ce qui va être très drôle à jouer. Il y a deux doublures pour ce rôle, je vais donc pouvoir faire la tournée de Traviata. J’ai également des projets de Faust, La Bohème et Lucia di Lamermoor en Allemagne et en Italie, et d’une Anna Bolena de Donizetti, en Turquie. Mon nom de scène va changer et sera désormais Serenad B.Uyar.

Julien Dran : Je vais faire plusieurs seconds rôles à l’Opéra de Paris et me réjouis de chanter Gerald de Lakmé  avec Sabine Devieilhe à Marseille, où je vais également participer à une production des Capuleti e i Montecchi de Bellini. J’aimerais aborder Des Grieux dans Manon. J’ai hésité à faire de la comédie musicale, mais ça me plairait.

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Burcu Uyar et Julien Dran,  bouleversants d’intensité en Violetta et Alfredo.
Burcu Uyar et Julien Dran, bouleversants d’intensité en Violetta et Alfredo.

Nelly Blaya

Fragil : Pourriez-vous citer un souvenir particulièrement intense dans votre itinéraire d’artiste ?

Burcu Uyar : Il y en a plusieurs. Je garde un souvenir très fort d’une Lucia di Lamermoor au Deutsche Oper de Berlin. L’émotion était telle qu’à la fin de la scène de folie, je me trouvais où il ne fallait pas. Une planche métallique allait tomber à cet endroit-là. On a essayé pendant un moment de me faire bouger, mais j’étais ailleurs, dans mon rôle. Dans la mise en scène d’Olivier Desbordes, l’idée que Lucia se noie était très émouvante, et me touchait à chaque fois.

Julien Dran : Il y a parfois des moments énormes, qui me surprennent moins maintenant qu’en début de carrière. Je me souviens d’un Barbier de Séville à Bordeaux, où je devais monter sur une guitare géante pendant un air et tremblais de partout. C’est durant cette période que je me suis absenté trois jours pour un concert à Modène en hommage posthume aux cinquante ans de carrière de Luciano Pavarotti.

On finit par prendre goût aux montées d’adrénaline. J’avais deux heures pour apprendre un air des Puritains de Bellini pour un concert en hommage à Luciano Pavarotti. Je suis rentré à Bordeaux épuisé et j’ai dormi pendant deux jours ! Julien Dran

Les représentations du Barbier de Séville se sont bien passées ensuite.

Burcu Uyar : On m’a aussi proposé dans l’urgence une Traviata au Deutsche Oper de Berlin. C’était un 31 décembre et j’ai été prévenue à 11h pour un spectacle débutant à 15h. Je ne l’avais pas chanté depuis plusieurs mois. Dans de telles situations, on se sent vraiment vivant. Ce métier permet d’apprendre des choses sur soi.

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Burcu Uyar et Julien Dran sur le canapé de l'Hôtel de France.
Burcu Uyar et Julien Dran sur le canapé de l'Hôtel de France.

Alexandre Calleau

Avec nos remerciements à Monsieur et Madame Berry, propriétaires de l’hôtel de France de Saint-Céré.

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017