La soirée « Nuit blanche des chercheurs » s’est ouverte sur une première table ronde dont le thème était l’utilisation des données massives en médecine, c’est-à-dire comment le traitement de nos données socio-démographiques et biomédicales peut constituer un atout considérable pour les médecins et les chercheurs dans le cadre de leurs recherches sur un symptôme ou une maladie.
[aesop_image imgwidth= »50% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/03/DSC0046.jpg » credit= »Alice Poirier, Emily Cruz » align= »center » lightbox= »on » caption= »La Nuit des chercheurs avait lieu à Stereolux, à Nantes » captionposition= »left » revealfx= »off »]
C’est Pierre-Antoine Gourraud, enseignant chercheur en médecine à l’Université de Nantes et de San Francisco, qui ouvre le débat en nous présentant sur écran géant une application digitale permettant de croiser informatiquement des milliers de données recueillies auprès de patients atteints de la même maladie – ici la sclérose en plaques. Couramment utilisée dans le milieu médical, cette application permet de croiser un nombre important de critères et de données personnelles dans le but de pouvoir mieux identifier l’évolution de l’état des patients et des symptômes et anticiper les effets et l’efficacité ou non des différents traitements que l’on va pouvoir mettre en place.
L’utilisation du big data en médecine via la comparaison massive et informatisée de données provenant d’autres patients représente selon lui une aide non-négligeable pour le praticien : établir un diagnostic plus rapide et plus précis, mieux s’orienter dans le choix des traitements, tout en gardant la possibilité d’observer une pharmacovigilance plus accrue pour chaque patient – c’est-à-dire un suivi médical selon lui plus personnalisé.
[aesop_image imgwidth= »1024px » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/03/DSC0032.jpg » credit= »Alice Poirier, Emily Cruz » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off »]
Si cette démonstration est convaincante, Stéphane Tirard, enseignant-chercheur en épistémologie des sciences de la vie et de la médecine, nous a rappelés aussi qu’au cœur des sciences médicales se posent aujourd’hui des questions relatives à l’Homme et à la philosophie de l’éthique médicale : l’informatisation à grande échelle de nos données personnelles suppose au préalable un consentement des patients dans le recueil de ces informations, et suppose également que les sciences de l’ingénieur et de l’informatique se portent garantes des conditions de protection et de sécurisation de toutes les données recueillies.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »De grands groupes (…) s’allient à de grandes entreprises pharmacologiques dans le but de créer de véritables consortiums économiques dans le domaine de la santé » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Sur cette question plus précisément, Sonia Desmoulin-Canselier, docteur en droit et chercheuse au CNRS, pointe du doigt l’absence de lois déontologiques relatives au traitement et à la protection de nos données médicales. Selon elle, il faudrait d’abord pouvoir légiférer sur le plan national, établir ensuite un droit européen, et même un droit international puisque l’on voit aujourd’hui de grands groupes comme Google, IBM ou Microsoft s’allier à de grandes entreprises pharmacologiques dans le but de créer de véritables consortiums économiques dans le domaine de la santé. Enfin, il faudrait également légiférer sur un vrai droit au consentement pour les patients qui souhaitent que leurs données soient utilisées dans le cadre de la recherche, en garantissant un accès, une protection et une utilisation de leurs informations personnelles dans un but exclusivement médical.
[aesop_image imgwidth= »50% » img= »https://www.fragil.org/wp-content/uploads/2017/03/DSC0041.jpg » credit= »Alice Poirier, Emily Cruz » align= »center » lightbox= »on » captionposition= »left » revealfx= »off »]
La parole a enfin été laissée à Aurore Armand, médecin-urgentiste au CHU d’Angers, qui attire notre attention sur l’utilisation informatisée des données massives dans le cadre de sa profession. Certes, l’informatique est un gain de temps et aide le praticien à avoir une meilleure représentation d’un symptôme ou d’un risque dans des situations où l’urgence est telle qu’on ne peut pas prendre une mauvaise décision. Mais il ne faut pas trop faire confiance à l’outil informatique et ne jamais oublier de revenir aux fondamentaux du métier : c’est le toucher clinique qui amène au diagnostic, la différenciation des symptômes et la parole du patient. En d’autres termes, ne jamais perdre le dialogue entre le médecin et le patient et conserver l’esprit de mémorisation acquis de l’expérience à l’université et en pratique réelle. Son conseil pour les étudiants en médecine et futurs praticiens : « l’application informatique doit prolonger l’intuition du médecin, et non l’inverse ».
Transhumanisme : de l’Homme réparé à l’Homme augmenté
Le Transhumanisme, par extension d’idées, nous amène à réfléchir sur l’une des plus vieilles questions de l’Homme : l’immortalité. Des pharaons égyptiens aux dieux grecs, la quête de l’immortalité est un vieux rêve humain dont les chercheurs nous assurent qu’il reste aujourd’hui encore au stade fantasmagorique.
[aesop_quote type= »block » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »(…) scientifiques et médecins expérimentent la possibilité d’un greffon de cœur entièrement artificiel » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
C’est Jean-Noël Trochu, professeur de cardiologie et praticien hospitalier qui ouvre le deuxième débat de la soirée avec une présentation des avancées scientifiques en matière de transplantation cardiaque. Opération lourde et non sans risques pour le patient, la greffe du cœur n’intervient aujourd’hui qu’en phase terminale d’une insuffisance cardiaque : quand le cœur n’est plus capable d’effectuer correctement son travail de pompe circulatoire du sang. Avec un taux de 69% de survie au bout de la première année de greffe, la transplantation cardiaque représente un dernier recours, en raison des nombreux risques de rejets constatés. Par ailleurs, scientifiques et médecins expérimentent la possibilité d’un greffon de cœur entièrement artificiel, avec un système de pompes et une assistance circulatoire autonomes, mais les échecs constatés après plusieurs essais cliniques ne font que repousser les chances de voir un jour la réussite d’un greffon de cœur artificiel total.
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Jérôme Guicheux, directeur de recherches à l’Inserm, s’intéresse quant à lui à l’utilisation des biomatériaux et des cellules souches dans le développement de la médecine génératrice du squelette (cartilages, disques et os). L’optimisme est de mise dans ses travaux puisque les avancées en bio-impression (impression en 3D de certaines parties cartilagineuses du corps) et la convergence entre les biotechnologies et l’intelligence artificielle marque de nets progrès dans la réparation du squelette humain. De surcroît, l’avancée significative de la robotique permet la pose de prothèses plus adaptées à chaque patient.
Nous sommes bien ici dans la réparation du corps, et non dans l’augmentation de certaines particularités physiques ou physionomiques. Toutefois, le fonctionnement du cerveau et sa relation aux organes étant si complexes, on ne peut changer – remplacer – un organe sans s’intéresser à la physionomie complète et individuelle de chaque corps humain : c’est ici qu’intervient le travail nécessaire de neuromodulation destiné à faire passer de nouveaux messages dans le cerveau via la sécrétion de nouveaux transmetteurs neuromodulateurs (l’anesthésie assistée que l’on pratique aujourd’hui dans de très bonnes conditions est un bon exemple de processus de neuromodulation que l’on maîtrise bien).
Une dernière question lancée au cœur du débat est celle posée par la position transhumaniste : aurions-nous atteint les limites de notre corps et de l’esprit ? La revue Nature publiait en septembre 2016 un article assez controversé dont les conclusions étaient que l’espérance de vie de l’être humain ne pourrait jamais dépasser la moyenne haute des 115 ans, et que cet âge constituait selon les scientifiques l’âge limite moyen de nos cellules humaines. Sur cette question, Maël Lemoine, philosophe des sciences médicales à l’Université de Tours, tient à nous signaler que l’important n’est pas de vouloir repousser constamment l’âge moyen de l’espérance de vie chez l’être humain, mais plutôt d’améliorer notre qualité de vie en bonne santé et les conditions de la vieillesse.
[aesop_quote type= »pull » background= »#282828″ text= »#FFFFFF » align= »left » size= »1″ quote= »(…) faire triompher la Vie, son lot de chances et de hasard, et son grand final auquel on ne peut échapper – et qui finalement lui confère tout son sens » parallax= »off » direction= »left » revealfx= »off »]
Face au transhumanisme s’oppose donc une position dite de bioconservatisme qui refuse de croire en une amélioration scientifique ou technologique des capacités futures de l’être humain. Les premiers invoquent la marche du temps, du progrès, et le déterminisme de l’Homme à s’adapter toujours à un nouvel environnement et à en tirer le maximum, tandis que les seconds sont déterminés à faire triompher la Vie, son lot de chances et de hasard, et son grand final auquel on ne peut échapper – et qui finalement lui confère tout son sens.