15 mars 2018

Bertrand Cuiller dirige « Rinaldo » de Haendel : « L’envie de libertés musicales »

Angers Nantes Opéra a poursuivi son exploration du répertoire baroque en programmant cette saison « Rinaldo » de Haendel (1711), dans la mise en scène très inventive de Claire Dancoisne. Le spectacle a été créé au Théâtre de Cornouaille de Quimper en janvier et sera repris jusqu’en août en tournée dans les villes co-productrices. Bertrand Cuiller y dirige son ensemble Le Caravansérail avec une belle énergie. Il a accordé un entretien à Fragil.

Bertrand Cuiller dirige « Rinaldo » de Haendel : « L’envie de libertés musicales »

15 Mar 2018

Angers Nantes Opéra a poursuivi son exploration du répertoire baroque en programmant cette saison « Rinaldo » de Haendel (1711), dans la mise en scène très inventive de Claire Dancoisne. Le spectacle a été créé au Théâtre de Cornouaille de Quimper en janvier et sera repris jusqu’en août en tournée dans les villes co-productrices. Bertrand Cuiller y dirige son ensemble Le Caravansérail avec une belle énergie. Il a accordé un entretien à Fragil.

Fragil : Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans « Rinaldo » ?
Bertrand Cuiller : J’aime beaucoup cette musique assez simple, qui donne des émotions brutes et directes. Il y a un premier degré dans chaque mélodie, sans rien d’intellectuel. On retrouve cette immédiateté dans tous les opéras de Haendel, et ça me plaît beaucoup, parce que ça touche le public.

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La mise en scène très inventive de Claire Dancoisne

Jef Rabillon

 » Il y a beaucoup d’instrumentistes qui ont des idées à apporter. Chacun d’eux est unique, et si on le remplace, l’interprétation ne sera pas la même. »

Fragil : Quelles sont les difficultés de cet ouvrage ?
Bertrand Cuiller : L’une des difficultés découle de cette simplicité : l’enjeu est de donner de la profondeur à la partition, pour qu’elle ne soit jamais banale, en variant les couleurs et les tempi. Sinon, ce qui fait la force de cet opéra pourrait s’avérer sa faiblesse. L’un des conseils que j’ai donné aux musiciens est de veiller à rester toujours en mouvement jusqu’à la dernière note, sans appuis, afin de mettre du relief pour que la musique avance et coule. Il est important que la verticalité ne prenne pas trop de place. Pendant les raccords de la tournée, je leur rappelle que c’est une œuvre qui demande beaucoup d’investissement et d’énergie, et que l’on doit toujours se remettre à 200 % en jeu et en danger !

Fragil : Vous avez créé en 2014 Le Caravansérail, que vous dirigez dans « Rinaldo ». Quels sont les objectifs de cet ensemble de musique baroque ?
Bertrand Cuiller : L’objectif, pour moi, est de pouvoir faire de la musique d’une manière qui me convienne, et d’entretenir des rapports que je n’ai pas trouvés avec d’autres ensembles. Chaque musicien peut proposer des choses, tout en suivant une direction commune. C’est une sorte de terrain d’expérimentations, alors que le plus souvent, c’est le chef qui décide tout ; ce qui est forcément limitant. Il y a beaucoup d’instrumentistes qui ont des idées à apporter. Chacun d’eux est unique, et si on le remplace, l’interprétation ne sera pas la même. Le recrutement, dans cette perspective, est essentiel ; on demande en effet une certaine ouverture et l’envie de libertés musicales. Ce n’est pas une question de répertoire, mais un état d’esprit. Il se trouve que ce que je connais, c’est le baroque, mais je n’exclus pas d’ouvrir l’ensemble à d’autres univers…

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Jef Rabillon

Fragil : Comment avez-vous travaillé avec Claire Dancoisne, qui signe la mise en scène et la scénographie du spectacle ?
Bertrand Cuiller : Nous nous sommes rencontrés avant l’été 2017 pour travailler sur les coupures et l’intrigue. On nous demandait en effet de réduire « Rinaldo » à deux parties et deux heures de musique (au lieu des trois actes et trois heures de musique dans l’œuvre originale). Nous avons mis l’histoire de cette version en place. Claire a conçu ensuite son spectacle en écoutant une autre version de l’opéra, et nous nous sommes retrouvés en septembre avec les chanteurs pour les répétitions à Dunkerque, mais les décors n’étaient encore que des ébauches et les constructions imaginées par la scénographe restaient à expérimenter. Nous avons poursuivi en octobre à Royaumont, pour approfondir les détails musicaux, comme l’écriture des da capo*. C’est là que les solistes sont entrés physiquement dans l’univers et le mode de jeu de la mise en scène. Le continuo** est arrivé à Quimper pour accompagner les récitatifs***. C’est à Quimper également que le décor et les costumes ont été fabriqués.

« J’ai éprouvé beaucoup de plaisir d’être à cette place dans la fosse, avec tout ce qui se joue entre les musiciens, pour faire de la musique ensemble. »

Fragil : En 2013, vous avez dirigé, notamment à Angers Nantes Opéra, « Vénus et Adonis » de John Blow, dans une mise en scène de Louise Moaty. Quelles traces ce spectacle vous a-t-il laissées ?
Bertrand Cuiller : C’était la première fois que je dirigeais un orchestre. Cette expérience m’a donné envie de continuer, et de créer mon groupe. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir d’être à cette place dans la fosse, avec tout ce qui se joue entre les musiciens, pour faire de la musique ensemble. Ce spectacle a fait naître mon désir du Caravansérail.

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Jef Rabillon

« Je collaborais depuis longtemps avec mon père. C’est très riche, mais parfois difficile à gérer intérieurement. »

Fragil : Vous étiez, également à Angers Nantes Opéra, chef de chant sur la mémorable résurrection de « Pirame et Thisbé » de Rebel et Francœur, que dirigeait en 2007 votre père Daniel Cuiller à la tête de l’ensemble Stradivaria, dans la mise en scène de Mariame Clément. Quel souvenir en gardez-vous ?
Bertrand Cuiller : C’est une très belle musique. Je faisais travailler le chœur, notamment sur le texte, et j’ai aimé le faire. Il fallait donner aux choristes des clefs pour ce répertoire, où l’harmonie joue un rôle essentiel. C’est dans ce spectacle que j’ai rencontré Thomas Dolié, qui chantait Pirame et que je retrouve sur « Rinaldo ». Je collaborais depuis longtemps avec mon père. C’est très riche, mais parfois difficile à gérer intérieurement.

Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Bertrand Cuiller : J’ai le projet d’un mask anglais**** du XVIIème siècle pour la saison 2020-2021. On est en train de commencer à le mettre en place. C’est un répertoire qui me touche beaucoup, et les musiques d’avant Purcell en Angleterre sont très belles, mais peu de partitions nous restent. C’est un gros projet, avec un orchestre de 40 musiciens, mais le Caravansérail est un ensemble à géométrie variable. J’espère qu’Angers Nantes Opéra nous accompagnera. Je travaille également pour un futur plus proche à l’enregistrement de l’intégrale de l’œuvre pour clavecin de François Couperin, également avec le Caravansérail. Il y aura 6 ou 7 CD, et le premier volume, « Couperin l’alchimiste » paraîtra le 11 mai chez Harmonia Mundi.

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Jef Rabillon

Fragil : Pouvez-vous citer un souvenir particulièrement précieux dans votre itinéraire de musicien ?
Bertrand Cuiller : Il me revient en mémoire un récital, dans une toute petite église difficile à atteindre, perdue au milieu de la montagne en Auvergne. Je jouais du Scarlatti pour 80 personnes installées en rond autour du clavecin. C’était fort, car je jouais seul un répertoire qui n’est pas évident, dans ce lieu inatteignable, mais la communion avec ce public était magique et donnait du sens. C’est un moment mémorable parmi d’autres. Je me souviens aussi de la deuxième représentation de « Rinaldo » à Besançon, qui était merveilleuse : comme un état de grâce.

« C’était fort, car je jouais seul un répertoire qui n’est pas évident, dans ce lieu inatteignable, mais la communion avec ce public était magique et donnait du sens. »

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Bertrand-Cuiller-©Jean-Baptiste-Millot
Bertrand Cuiller

Jean-Baptiste Millot

*da capo : Ce sont des reprises, où l’on revient au début d’un passage de la partition.

** le continuo : En musique baroque, ce sont les instruments qui participent à l’accompagnement. Il s’agit
ici de l’ensemble instrumental.

*** les récitatifs : C’est un chant déclamé, dont la mélodie et le rythme suivent les inflexions de la voix
 parlée. Ils sont généralement placés entre deux airs.

**** le mask : c’est un semi-opéra, caractéristique du XVII ème siècle en Angleterre, où le texte parlé se mêle aux parties chantées

Rinaldo en tournée
en France et en Belgique…
Après Quimper – Théâtre de Cornouaille – scène nationale, Angers et Nantes – Angers Nantes Opéra, Rinaldo de Haendel continue sa tournée en 2018 :
BESANÇON Théâtre Ledoux Les 2 Scènes, Vendredi 9 et samedi 10 février
SAINT-LOUIS Théâtre La Coupole, Mardi 13 février
COMPIÈGNE Théâtre Impérial, Vendredi 16 et samedi 17 février
DUNKERQUE Le Bateau Feu, Scène nationale, Mardi 20 et mercredi 21 février
CHARLEROI (BE) Palais des Beaux-Arts, Jeudi 1er mars
MÂCON Théâtre, Scène nationale, Dimanche 4 mars
LA ROCHELLE La Coursive, Scène nationale, Mardi 13 mars
SABLÉ-SUR-SARTHE, Vendredi 24 août 2018

Les nouveaux clowns du CHU de Nantes

Je venais d’avoir 18 ans, j’étais beau comme un enfant

Christophe Gervot est le spécialiste opéra de Fragil. Du théâtre Graslin à la Scala de Milan, il parcourt les scènes d'Europe pour interviewer celles et ceux qui font l'actualité de l'opéra du XXIe siècle. Et oui l'opéra, c'est vivant ! En témoignent ses live-reports aussi pertinents que percutants.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017