13 décembre 2023

Ana Pich : « la justice est une institution obscure mais qui intéresse » 

Plus d’un mois après la sortie de sa bande dessinée « Chroniques de l’injustice ordinaire », Ana Pich raconte son désir d'ouvrir au plus grand nombre les portes d'une institution inaccessible, les retours les plus surprenants des lecteur·ices, et sa volonté de continuer d'utiliser le dessin comme une arme pour faire évoluer la justice.

Ana Pich : « la justice est une institution obscure mais qui intéresse » 

13 Déc 2023

Plus d’un mois après la sortie de sa bande dessinée « Chroniques de l’injustice ordinaire », Ana Pich raconte son désir d'ouvrir au plus grand nombre les portes d'une institution inaccessible, les retours les plus surprenants des lecteur·ices, et sa volonté de continuer d'utiliser le dessin comme une arme pour faire évoluer la justice.

Page de couverture « Chronique de l’injustice ordinaire », publié aux édition Massot

« À l’origine je n’avais pas l’ambition d’écrire un livre  », c’est ce que nous dévoile Ana Pich qui a surtout la volonté de questionner notre société et l’utilisation de l’argent public « on met 4000 euros par détenu alors qu’on pourrait le mettre pour permettre aux gens d’avoir un accès au soin ».

Depuis la fin 2021, Ana Pich fréquente régulièrement les tribunaux, en particulier le tribunal judiciaire de Nantes où elle dessine les audiences ouvertes au public. À l’origine, elle s’y rend pour son mémoire qu’elle réalise durant ses études de droit, puis se met à collectionner ses dessins de procès, qui vont faire naître ce livre illustré de plus de 200 pages en octobre 2023. En publiant cette BD, Ana Pich a voulu se démarquer de ses homologues journalistes de presse plus « mainstream » et avare de faits-divers en montrant la banalité quotidienne de la violence judiciaire.

Publier pour partager au plus grand nombre

En publiant ce livre « sans grand espoir », Ana exprime tout de même avoir voulu « faire naître des questionnements, et créer de l’intérêt chez des gens qui n’auraient peut-être jamais entendu parler de l’institution judiciaire » mais également « chez les professionnel·les de justice », ce qu’elle juge avec humour comme « ambitieux ». Le droit étant une filière et un milieu « inaccessible » selon Ana Pich, il touche pourtant l’ensemble de la population. La dessinatrice décrit d’ailleurs la justice comme « une institution obscure mais qui intéresse ».
Ce livre qu’elle a voulu à un prix abordable, car  « ça n’aurait aucun sens de le mettre à 40 euros », est donc l’occasion d’ouvrir les portes de la justice et du tribunal à un plus grand nombre de personnes.

Malgré des retours encourageants, une résonance encore légère dans le milieu de la justice

« C’est cool d’avoir des retours, de partager des points de vue, que ce soit avec des prévenu·es, des parents de prévenu·es ou des juges »

Depuis la sortie du livre, au cours de séances de dédicaces, Ana Pich a pu rencontrer des lecteurs et lectrices nantais·es. Un retour a été particulièrement surprenant selon l’autrice, d’une juge qu’on retrouve d’ailleurs dans son livre, « au début, j’avais de l’appréhension en la voyant, puis au final elle m’a dit qu’elle avait aimé le livre et souhaitait une dédicace, et qu’elle appréciait mon honnêteté intellectuelle », nous explique-t-elle. Une peur qu’elle confie et lie à parfois à un mauvais accueil au tribunal comme lorsqu’elle s’était faite insulter par un procureur. Cependant, «  j’ai l’impression que le dessin est un outil protecteur […] tout le monde sait que si l’on m’insulte, je dessine » affirme-t-elle. Elle se dit tout de même « assez déçue de ne pas avoir plus de retours du milieu judiciaire », mais qu’elle espère que les avocat·es, magistrat·es, juges, évoquées dans son livre, puissent prendre conscience et prendre du recul « sur les discours inacceptables, racistes, sexistes et méprisants qu’on entend dans des salles d’audiences publiques prononcés par des fonctionnaires de l’État ».

Ana Pich devant le tribunal judiciaire de Nantes, 19 quai François Mitterand

Ana Pich fut tout de même agréablement surprise à la librairie Coiffard, en dédicace, de retrouver des étudiant·es de la faculté de droit de Nantes. Son livre est d’ailleurs également disponible à la Bibliothèque Universitaire de droit, ce qui est selon Ana Pich « intéressant car il [le livre] donne un point de vue alternatif  » en comparaison avec le milieu social aisé et privilégié dominant à l’université de droit « avec des idées non progressistes, et non critique de la justice et du système carcéral, punitif  ». Cette BD est aussi considérée comme un outil d’éducation au droit, comme pour un enseignant de droit de l’environnement, qui utilise ces dessins de procès, notamment des bassines, à la Rochelle, ou à Niort, pour illustrer ses cours.

Au niveau du milieu militant nantais, selon Ana Pich, il y a forcément une résonance : « on se croise souvent, au tribunal car il y a pas mal de procès du mouvement social, donc il peut y avoir des conversations là dessus ».  »J’ai l’impression qu’il y a un bon retour mais aussi parce que j’ai toujours tenu à garder les informations personnelles de chacun·e et mon regard militant fait que je vais appuyer sur certains points et enlever certaines choses » nous confie-t-elle.

La lutte contre l’injustice ordinaire au delà du livre

« Dessiner c’est ma façon de militer »

Lorsqu’on demande à Ana Pich si un tome 2 verra le jour, elle nous répond avec amusement « je n’ai pas de vision à long terme, je ne sais pas ce que je ferai le mois prochain ». En fait, dessiner c’est son quotidien, «  je dessine tout, et ce qui m’indigne »nous précise-t-elle, « donc ma copine qui se fait arrêter à la fin d’une manifestation féministe sous prétexte qu’elle ait une affiche mettant Darmanin à charge, j’appelle un maximum les gens à se mobiliser sur mon compte Instagram ».

Post Instagram @Anapich du 26 novembre « Appel à soutien devant le commissariat Waldeck rousseau à Nantes pour une camarade interpellée à la suite de la manif féministe hier aux alentours de 17h30. »

« Le dessin permet de retranscrire des choses tout en préservant un certain anonymat, c’est plus doux que la photo »

« Je ne sais que dessiner » nous confie l’autrice à la fin de notre entretien. Que ce soit « au bar avec les amis, la vie quotidienne, le militantisme j’aime bien écouter les gens parler et c’est un moyen de garder des souvenirs ».

Elle repart tout de même de ce bar, pour aller assister à un procès de manifestation, avec son carnet dans le sac !

Pour en savoir plus sur Ana Pich, vous pouvez retrouver une partie de ses dessins de procès sur son compte Instagram @anapich.

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Le court-métrage Home projeté lors du festival Migrant’Scène

23 ans, originaire de Laval, future journaliste ? je suis très attentive et curieuse du monde qui m'entoure ! j'adore faire des playlists à rallonge et écouter les gens parler.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017