21 décembre 2025

Une exposition «chaleureuse» sur la perte de la langue maternelle à Cosmopolis

L'exposition « Ma langue maternelle sur le bout de la langue » accueille le public jusqu'au 18 janvier à l'espace Cosmopolis. Inspirée par sa propre histoire, l'artiste plasticienne Marie Auger y traite de la perte de la langue maternelle au travers de divers supports artistiques.

Une exposition «chaleureuse» sur la perte de la langue maternelle à Cosmopolis

21 Déc 2025

L'exposition « Ma langue maternelle sur le bout de la langue » accueille le public jusqu'au 18 janvier à l'espace Cosmopolis. Inspirée par sa propre histoire, l'artiste plasticienne Marie Auger y traite de la perte de la langue maternelle au travers de divers supports artistiques.

Jusqu’au 18 janvier 2026, l’espace Cosmopolis accueille l’exposition Ma langue maternelle sur le bout de la langue de la Nantaise Marie Auger. L’artiste y aborde le thème de la perte de la langue maternelle. Une programmation pluridisciplinaire accompagne cette exposition.

La maison d’enfance, symbole de la langue maternelle

« Le mot chaleureux revient beaucoup dans les retours des personnes qui visitent l’exposition » résume Léann, l’une des deux médiatrices de l’exposition Ma langue maternelle sur le bout de la langue. Marie Auger, artiste plasticienne, a en effet installé ses œuvres selon le plan d’une « maison d’enfance symbolique pour que chacun se sente chez soi, retrouve sa propre histoire » explique-t-elle.

« En parlant de la langue maternelle, on parle aussi de la maison, de là où on a grandi, du territoire où on a grandi » détaille Léonie, l’autre médiatrice. Marie Auger nous invite ainsi à parcourir la salle à manger, le couloir, la salle de jeu, la chambre d’enfant et enfin à sortir de la maison pour se confronter au monde extérieur. Cette maison représente à ses yeux « la chaleur du foyer premier. La langue maternelle est comme un corps qui contient le territoire premier, le logis premier, les comptines, les comptes, tout ce qui nous forge. »

L’espace représentant la salle de jeux. Photo : Florence Calvez 19/12/2025

De l’universel à l’intime

L’artiste née à Nantes est aujourd’hui installée dans le vignoble, où elle organise des événements culturels via l’association Le Préau qu’elle a créée. La transmission est au cœur de son œuvre depuis près de 30 ans. L’exposition conçue sur mesure pour l’espace Cosmopolis est l’aboutissement de 3 années de travail « sur le lien qu’on développe à notre langue maternelle quand on est en situation de ne pas pouvoir la parler pour plein de raisons. Quel rapport on garde à la langue maternelle quand on en est éloigné territorialement, quand on est franco-quelque chose ? Comment on gère la double culture ? »

Comme pour tous ses travaux artistiques, Marie Auger a commencé par collecter des témoignages. Au fil de ses rencontres, elle a retracé « 25 trajectoires langagières, qui couvrent les continents ». On peut écouter une version condensée de ces histoires dans le couloir de Cosmopolis. Les enregistrements sont complétés par un cahier dédié à chaque personne ayant participé. L’artiste a réalisé pour chaque trajectoire un doudou « dont le corps fait écho au pays dont le témoignage parle ».

Les doudous et les cahiers réalisés par Marie Auger pour compléter les témoignages audio. Photo : Florence Calvez 19/12/2025

Dans un deuxième temps, celle qui revendique ses racines bretonnes s’est laissé « coloniser par les histoires et c’est ressorti en tableaux, en tissages, en films, en broderies, en sculptures aussi. » Sa propre histoire a nourri son travail : « Mes grands-parents parlaient breton, ils ont reçu les mêmes coups que tous les autres à l’école, les mêmes brimades, les mêmes humiliations. La honte de ce qu’on est. Quand on entend dire que sa langue maternelle ne vaut rien, on finit par intégrer qu’on ne vaut rien.» Elle regrette cet effacement du breton au profit du français : « Mon père comprenait encore le breton mais ne le parlait pas et puis arrivé à nous, il n’y a plus rien. »

Bécassine en figure internationale

L’une des figures centrales de l’exposition n’est autre que Bécassine, cette petite Bretonne montée à Paris « qui a l’air bête mais qui l’est beaucoup moins qu’elle n’en a l’air » sourit Marie Auger. « Elle a baigné toute mon enfance puisque j’ai appris à colorier dans des albums de Bécassine. » Au travers des œuvres, on constate une évolution de traitement. La première génération de Bécassines, reconnaissables à leur robe verte et à leur coiffe pointue, ressent de « l’accablement ». Puis la seconde se dit « ça va bien, c’est quoi cette histoire ? Il y a une colère de cette transmission non actée, d’avoir perdu quelque chose du fait d’une volonté géopolitique. » L’artiste a même doté cette nouvelle Bécassine de la bouche dont elle était à l’origine dépourvue pour revendiquer l’usage de la langue maternelle.

Marie Auger devant les Bécassines de première génération. Photo : Florence Calvez 19/12/2025

Ce personnage créé en 1905 témoignait à l’époque du mépris des Parisiens pour les Bretons. « Elle représente les Bretons, mais pas que » précise Léonie. « Elle symbolise toutes les langues qu’on a empêché de parler pour imposer le français. Beaucoup de personnes qui visitent l’exposition évoquent leurs parents qui parlaient occitan. C’est aussi le cas dans les pays colonisés par la France. »

La programmation accompagnant l’exposition reflète également ce désir d’internationalité. Divers événements donnent à voir les défis que pose le fait de vivre entre deux langues : un voyage musical entre Brest et Brest Litovsk, une conférence sur le déclin du breton comparé à celui de langues africaines, un film sur la langue des signes israélienne, un « cœur » de lectrices et de lecteurs en langues étrangères.

Pour Marie Auger, l’objectif de l’exposition est de « relayer ces souffrances, ces non-dits. L’art fait relais via la dimension poétique et symbolique. » Tout en se gardant bien de tomber dans un discours pessimiste : « Aujourd’hui, on est dans un monde sombre, donner un peu de lumière pour le présent ça fait du bien. L’idée de l’exposition n’est pas d’accabler, mais de dégager une lumière pour soi. »

INFOS PRATIQUES

L’exposition est à l’espace Cosmopolis jusqu’au dimanche 18 janvier inclus
Du lundi au vendredi  : 13h30 – 18h
Samedi et dimanche : 14h – 18h
Fermé le 25 décembre et le 1er janvier

Marie Auger et les deux médiatrices sont présentes tous les jours pour accueillir le public.

Programmation sur https://cosmopolis.nantes.fr/evenements/ma-langue-maternelle-sur-le-bout-de-la-langue/

À 38 ans, Florence, formatrice en espagnol originaire de Quimper, a rejoint Fragil. Entre envie d’écriture, découvertes culturelles et nouvelles rencontres, elle espère que cette expérience lui permettra de redécouvrir Nantes autrement.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017