27 janvier 2017

Musique au cinéma : l’accord est presque parfait

À l’occasion de la diffusion du court-métrage « Melomaniac » de Mikael Schutz le 12 janvier 2017, le réalisateur a réuni autour d'une table ronde à Trempolino des personnalités spécialistes du cinéma et de la composition musicale pour discuter de la place de la bande originale dans le film, du dialogue entre musique et image, et plus particulièrement de la relation complexe entre leurs créateurs. Lorsque la musique sert l’image, comment réalisateur et compositeur accordent-ils leurs violons ?

Musique au cinéma : l’accord est presque parfait

27 Jan 2017

À l’occasion de la diffusion du court-métrage « Melomaniac » de Mikael Schutz le 12 janvier 2017, le réalisateur a réuni autour d'une table ronde à Trempolino des personnalités spécialistes du cinéma et de la composition musicale pour discuter de la place de la bande originale dans le film, du dialogue entre musique et image, et plus particulièrement de la relation complexe entre leurs créateurs. Lorsque la musique sert l’image, comment réalisateur et compositeur accordent-ils leurs violons ?

Marc Caro, réalisateur et directeur artistique notamment pour Jan Kounen et Gaspard Noé (Enter the Void), n’imagine pas créer un film sans y intégrer la musique dès le départ : « La musique, je l’imagine dès que j’imagine le film », affirme-t-il sur la scène de Trempolino, à l’issue de la projection de Melomaniac. Ce court-métrage, réalisé par Mikael Schutz et présenté à La Fabrique, raconte l’histoire d’un DJ convoqué par la BIM (Brigade d’Intervention Musicale), qui l’accuse, preuves à l’appui, de massacrer la musique électronique et ses grands pontes, et tentent de le convertir à la véritable création électronique. La bande originale, signée Laurent Garnier, Vitalic et Arnaud Rebotini, fait véritablement partie des personnages du court-métrage et rythme son scénario. Une belle occasion pour aborder le rôle de la musique dans les films, et surtout la relation qui se dessine entre le réalisateur et le compositeur, chacun ayant ses propres modes de création et ses propres inclinaisons artistiques, mais ne pouvant créer l’un sans l’autre.

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De gauche à droite : Tahiti Boy, Mikael Schutz, Marc Caro
De gauche à droite : Tahiti Boy, Mikael Schutz, Marc Caro

Mathilde Colas

« Ce que j’appelle musique de film », explique Marc Caro, « c’est une complicité entre un réalisateur et son compositeur. Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Sergio Leone et Ennio Morricone ou encore David Lynch et Angelo Badalamenti, sont des duos qui sont restés liés tout au long de leur carrière. Il est donc difficile de calquer le style d’un compositeur seul sur un film, en demandant une musique « à la Morricone » par exemple, car cette musique est composée pour ce film en particulier, elle lui appartient. »

 

Composer sur une partition déjà écrite


« Dans un film, la bande-son arrive souvent en bout de course, lorsqu’il reste en général peu de budget » précise Tahiti Boy. « Il faut donc faire beaucoup avec peu de moyens. En plus, le compositeur vient transformer l’ambiance du film à laquelle le réalisateur s’est habituée. »
Musicien, compositeur, producteur et leader du groupe Tahiti Boy & The Palmtree Family, Tahiti Boy a notamment travaillé avec Quentin Dupieux et composé la bande originale de son film Wrong, sorti en 2012. La relation entre les deux artistes a permis d’accorder parfaitement musique et image, selon le musicien.

Si le compositeur de musique de film doit dans la majorité des cas créer son œuvre sur une partition déjà écrite, certaines collaborations entre réalisateur et compositeur sont si fortes qu’elles en deviennent indissociables. La musique devient alors une véritable toile de fond de l’œuvre cinématographique. La réalisatrice Céline Sciamma (Naissance des Pieuvres, Bande de filles, Tomboy) fait ainsi appel au DJ et compositeur Para One pour réaliser la musique de ses films. Le DJ berce d’une bande-son discrète et presque aquatique les scènes fragiles de l’enfance et de l’adolescence filmées par la cinéaste. Tous deux sont d’ailleurs en préparation d’un premier long métrage ensemble. Un exemple de collaboration qui démontre la relation parfois fusionnelle entre les deux genres.

La musique, un personnage du film

Pour les invités, les bandes originales font partie intégrante du film pour lequel elles ont été créées. La musique d’Ennio Morricone nous apporte une foule d’images puisées dans les westerns de Sergio Leone, et il paraît difficile de la transposer dans d’autres paysages. Les thèmes de John Williams, par exemple, sont tellement imbriqués dans les films culte pour lesquels ils ont été composés qu’il nous est difficile de chasser l’image d’un vélo traversant la Lune en écoutant la musique du film E.T., souriant béatement en repensant à notre enfance. Difficile également de ne pas s’attendre à voir apparaître Dark Vador à l’écran lorsque retentissent les cordes nerveuses de la Marche impériale (Essayez d’imaginer la même mélodie avant l’entrée de Voldemort à Poudlard…Quelque chose cloche, non ?).

Mais si les réalisateurs peuvent parfois se reconnaître rien qu’à la musique de leurs films, et si certains films culte ont des thèmes bien identifiables, la musique de certains blockbusters peut aussi très vite basculer vers la facilité, sans que l’on discerne un véritable dialogue entre le compositeur et le réalisateur, expliquent les invités. « Je suis un peu frustré de la manière dont est envisagée la bande-son dans les blockbusters actuels », poursuit à ce sujet Marc Caro. « On place des violons pour faire pleurer, on accélère les percussions pour accroître le suspense… À l’inverse de cette tendance, on peut citer 2001 : L’Odyssée de l’Espace, dans lequel Stanley Kubrick a été capable de placer une valse de Strauss en plein dans l’espace, détournant les codes de la musique de film. » Tous s’accordent d’ailleurs à placer Kubrick comme l’un des meilleurs utilisateurs de la bande-son dans ses films, détournant des titres et pièces classiques déjà existants de leur contexte et de l’image première qu’elles évoquent. Ces travers se retrouvent en parallèle dans l’univers musical, précise Tahiti Boy : « Je n’aime pas entendre de la part de la critique que certains disques sont « cinématographiques » ». C’est parce qu’il y a des images à mettre sur une musique qu’elle devient bande-son de cinéma, pas parce qu’il y a de belles descentes de cordes ou que la musique est lente ou les morceaux longs. »

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Irina Dakeva à Trempolino
Irina Dakeva à Trempolino

Mathilde Colas

Accorder ses violons

Le rapport de la musique à l’image s’inverse dans les clips, où la seconde sert au contraire la première. Irina Dakeva, réalisatrice de films publicitaires et de clips, notamment pour Air et Breakbot, évoque alors « le réalisateur Mickaël Hers, [qui] a parfois fait créer des bandes-son pour inspirer son film. Mais cela reste rare qu’un réalisateur parte d’une musique pour créer un film » précise-t-elle toutefois, « alors que dans les clips, le son a plus d’importance que l’image. » Comme dans les films, le budget peut avoir son importance et permet de développer « des projets intéressants lorsque le budget est important, ce qui permet de respecter les codes du cinéma à l’ancienne », admet la réalisatrice. Mais le budget n’est pas la condition première de la cohésion entre les images et la partition. « Au niveau de la créativité, on peut aujourd’hui réaliser un long métrage avec un iPhone, même en huit-clos avec seulement deux comédiens. » Il en va de même lors de la création d’une bande originale. Pas besoin en effet d’un orchestre à 200 musiciens pour créer une ambiance sonore en adéquation avec le film, et 80 violons ne peuvent pas toujours sauver ce dernier, même si tous les codes de la composition sont présents. « Dans un long-métrage, si le montage de l’une des scènes est mauvais, ce n’est pas la bande-son qui viendra la sauver. Alors que si une scène est réussie, il faut faire attention à ce que la musique n’écrase pas la beauté de l’image » précise Tahiti Boy. « Dans le processus de composition d’une musique de film, je ne suis pas le patron mais je réponds aux attentes et exigences de quelqu’un, de celui qui a fait le film. »

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Tahiti boy
Tahiti Boy

Mathilde Colas

Vers un story-board sonore ?

Est-ce qu’un jour la bande originale d’un film cessera d’être envisagée en fin de tournage ? Verra-t-on plus souvent un compositeur travailler dès les prémices d’un film avec son réalisateur, au même titre que le directeur de photographie ? « Plus le réalisateur est mélomane, plus une grande liberté est laissée au compositeur », répond Tahiti Boy. « Ennio Morricone et Sergio Leone étaient arrivés à un tel point d’entente, que la musique finissait par être composée pour être diffusée dès le tournage, pendant que les mouvements de caméra étaient dictés par le rythme. Mais ces pratiques et cette connivence restent très rares. Cela implique en tout cas une confiance absolue de la part du réalisateur », conclut-il.

Difficile à l’issue de cette entrevue d’imaginer un réalisateur qui ne s’intéresse pas à la musique. La place de la musique dans la création cinématographique semble encore être du fait du réalisateur aujourd’hui. Mais si l’on se tourne du côté de la musique live, la passerelle avec le cinéma semble déjà franchie. Les ciné-concerts se multiplient, durant lesquels un groupe ou un DJ recréent l’ambiance sonore d’un film (comme dans le bel hommage au cinéma Gutterdämmerung de Björn Tagemose, projeté au Hellfest en 2016, ou lors de la projection du documentaire Les Yeux dans Les Bleus de Stéphane Meunier, revisité en live par plusieurs groupes de la scène indé bretonne) et les DJ utilisent quant à eux de plus en plus l’écran pour porter leur musique, créant leur propre scénario, dans lequel les personnages ne sont autres que les accords et les rythmes travaillés en live. Les pièces cinématographiques se composeront peut-être aussi à quatre mains à l’avenir…


En savoir plus sur Melomaniac, de Mikael Schutz.
En savoir plus sur la musique au cinéma : Accords parfaits,  coordonné par Nguyen Trong Binh, José Moure, Frédéric Sojcher (Éditions Nouvelles, 2015)

Rangez ce zizi que je ne saurais voir

Un Nid branché

Quand elle n’écrit pas, elle passe sa vie dans les concerts, du metal aux musiques électroniques, en passant par le blues et la musique classique. Traduire des atmosphères, des personnalités atypiques ou l’esprit d’un lieu, c’est ce que Mathilde recherche à travers l’écriture. Parmi ses grandes passions, on trouve aussi la photographie et un amour inconditionnel pour Berlin et sa folie créatrice.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017