• Le retour du vinyle
17 juin 2016

Vinyle : un retour en trompe-l’oeil

Le vinyle fait son grand retour sur le marché de la musique ces dernières années, résistant ainsi au numérique ; c’est du moins l’idée qui revient le plus souvent dans les esprits. Idée reçue, utopie ou réalité ? Fragil est allé à la rencontre de quelques spécialistes nantais de la question afin d’en savoir plus sur le fameux retour de la galette.

Vinyle : un retour en trompe-l’oeil

17 Juin 2016

Le vinyle fait son grand retour sur le marché de la musique ces dernières années, résistant ainsi au numérique ; c’est du moins l’idée qui revient le plus souvent dans les esprits. Idée reçue, utopie ou réalité ? Fragil est allé à la rencontre de quelques spécialistes nantais de la question afin d’en savoir plus sur le fameux retour de la galette.

Nantes, 2 quai Turenne. C’est là que se trouve la boutique à la devanture colorée, arborant le dessin d’une platine. Ouvert en 2005, Mélomane se consacre depuis maintenant une dizaine d’années aux vinyles. « Nous faisons encore un peu de ventes de CD neufs et d’occasion, mais nous avons la volonté de consacrer la boutique aux vinyles car c’est devenu très rare », explique Jean-Christophe, gérant de Mélomane. Car qui mieux qu’un disquaire pour analyser l’évolution de la clientèle ? En dix ans, ce passionné de la fameuse et mythique galette a vu sa clientèle changer.

Évolution de la clientèle

À son ouverture en 2005, les clients du disquaire nantais étaient de fidèles passionnés du vinyle depuis plus de vingt ans, constate Jean-Christophe. « C’était principalement des quadragénaires qui avaient connu le vinyle dans leur jeunesse ». Les clients avaient donc un lien particulier et intime avec les vinyles qui avaient bercé leur adolescence. « Ce sont des nostalgiques de la galette ».

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La devanture du disquaire Mélomane à Nantes.
La devanture du disquaire Mélomane à Nantes.

Manon Margérard

 Le gérant de la boutique constate également, depuis l’ouverture en 2005, que Mélomane attire des personnes qui viennent du monde de l’electro et du hip-hop. « Ils ont un lien fort avec ce style de musique et sont attachés à l’objet. Ils continuaient à utiliser les platines vinyles alors qu’on n’en trouvait presque plus », explique Jean-Christophe.

L’autre constat important que fait Jean-Christophe depuis quatre ans est la fréquentation de plus en plus forte des jeunes dans sa boutique. « Ils ont entre 20 et 25 ans. Pour la majorité, ils estiment avoir découvert le vinyle par l’intermédiaire de leurs parents. Maintenant on trouve des coupons MP3 inclus avec les vinyles, donc ça les attire encore plus. C’est plus simple pour eux de les utiliser ».

Une clientèle qui rajeunit plus le vinyle prend de l’âge et surtout, qui se féminise

Une clientèle qui rajeunit plus le vinyle prend de l’âge et surtout, qui se féminise. « À l’ouverture, c’était principalement une clientèle masculine. Les choses évoluent, c’est une bonne nouvelle ». Comme pour la photographie argentique, le vinyle a bel et bien séduit les jeunes malgré la facilité qu’offre le numérique pour l’écoute de la musique.

Un acte d’écoute différent

Avec le numérique, les possibilités d’écoute se sont développées. Le téléchargement et le streaming sont aujourd’hui des pratiques omniprésentes sur le net dans la consommation musicale. Pourtant, les jeunes se tournent de plus en plus vers le vinyle. Pour Jean-Christophe, le retour de la tendance vintage depuis ces dernières années joue beaucoup, mais pas que. « C’est un bel objet en lien avec le vintage qui les attire. Mais ils savent que l’écoute du vinyle est une autre démarche. C’est sûrement cette différence qui les attire. Trop habitués au numérique, ils cherchent autre chose », explique le disquaire.

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Les jeunes se tournent de plus en plus vers le vinyle.

Manon Margérard

Chloé Nataf, en charge du développement des musiques enregistrées à Trempolino, estime également que le retour à l’objet compte beaucoup pour les jeunes. « Chez soi, on va plutôt consommer la musique par des plateformes de streaming ou en téléchargeant, mais parallèlement on a envie d’avoir un objet ».

Le retour à l’objet compte beaucoup pour les jeunes

« Le vinyle est plus grand, plus beau et plus impressionnant que le CD ». L’attachement à l’objet joue donc un rôle essentiel dans l’engouement des jeunes pour le vinyle dont la pochette donne à discuter. Contrairement à la musique qui s’accumule dans les disques durs et qui finit par s’oublier, l’achat d’un vinyle est une toute autre démarche. « L’acte d’achat est beaucoup plus réfléchi. Sur le net, on ne réfléchit pas forcément, car on peut tout avoir en quelques clics. Le vinyle a un certain coût. On prend donc le temps de faire ses choix », explique Jean-Christophe.

Au-delà du prix du vinyle, les manières de consommer la musique changent avec cet objet. « Pour écouter un vinyle, il faut se lever et le poser sur la platine. C’est totalement différent que de cliquer et de lancer un morceau sur le net », explique Chloé Nataf. Besoin d’authenticité et prise de conscience de l’impact du numérique sur leurs manières de consommer la musique, font que les consommateurs expriment le besoin de prendre le temps d’écouter. Avec le vinyle, les clients acquièrent donc moins de musique, mais prêtent une attention beaucoup plus importante quant à leurs choix d’écoute.

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« Le vinyle est plus grand, plus beau et plus impressionnant que le CD »
« Le vinyle est plus grand, plus beau et plus impressionnant que le CD »

Manon Margérard

Au fil des ans, le vinyle a su résister face à la révolution numérique de par ses particularités telles que sa pochette, son fameux craquement et la chaleur que son écoute laisse échapper, touchant les âmes au plus profond. Mais, selon Jean-Christophe, il ne faut pas pour autant estimer que le numérique possède moins de qualités sonores. « La qualité du son dépend dans tous les cas de l’état de l’objet, du matériel et de ses performances. La qualité d’une platine aura une influence sur l’écoute du vinyle ».

Chloé Nataf, habituée à travailler avec le numérique, partage également cet avis. « Bien sûr, avec le MP3, la qualité sonore est amortie et compressée. Mais, de nos jours, les technologies permettent de restituer le son en très haute qualité. Le vinyle n’a, par exemple, pas une qualité supérieure au CD, qui est plutôt pas mal. Ce qui compte c’est l’objet et la chaleur du son. S’il est vieux, il y aura alors ce petit craquement si charmant. Le côté tactile intéresse principalement les consommateurs de vinyles ».

Ce qui compte c’est l’objet et la chaleur du son

 Au-delà des amateurs de l’objet et de son authenticité, il y a aussi une clientèle qui collectionne et achète un vinyle après un concert afin de soutenir les artistes, sans forcément avoir une platine chez elle. « [Les clients] savent que l’argent ira directement dans les poches des artistes, sans passer par les magasins », explique Chloé Nataf qui côtoie quotidiennement des artistes attirés par l’objet.

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Le fait de ne pas posséder de platine ne réduit pas l’engouement pour le vinyle.
Le fait de ne pas posséder de platine ne réduit pas l’engouement pour le vinyle.

Manon Margérard

Des ventes minoritaires

Le fait de ne pas posséder de platine ne réduit pas l’engouement pour le vinyle. Au début de l’année 2015 au Royaume-Uni, 7% des acheteurs de vinyles n’avaient pas de platine chez eux et 41% des acheteurs de vinyles ne les écoutaient pas malgré qu’ils possèdent une platine, selon un sondage réalisé par l’ICM Unlimited et commandé par la BBC. Bien que la platine ait connu un franc succès à Noël 2015, le vinyle reste principalement un objet de décoration plutôt qu’un objet musical.

Objet que les amateurs peuvent acquérir d’occasion pour de modiques sommes. Car neuf, le vinyle reste un support très onéreux. « La demande augmente, donc forcément les prix aussi. Ils sont produits en petite quantité donc se vendent plus rapidement que les CD », affirme Chloé Nataf.

Le vinyle reste principalement un objet de décoration plutôt qu’un objet musical

 

Loin derrière le streaming et le téléchargement, qui représentent à eux seuls 45% du chiffre d’affaires total mondial en 2015 et qui dépassent la vente physique, la vente de vinyles, elle, ne représente que 2% des ventes du marché de la musique au niveau mondial, selon le Global Music Report 2016 par l’IFPI (Federation of the Phonographic Industry) et le SNEP (Syndicat National de l’Industrie Phonographique). Les ventes de vinyles restent donc très marginales, contrairement à une idée reçue ces dernières années, selon laquelle cet objet mythique serait mis sur un piédestal.

Bien sûr les chiffres ne font qu’augmenter, car les ventes dans le monde ont doublé entre 2012 et 2015, soit 750 000 vinyles vendus en 2015, selon le SNEP. Ces chiffres ne prennent pas en compte les ventes de vinyles d’occasion, or les disquaires de seconde main jouent un rôle majeur dans la vente de vinyles, ce qui complique le calcul réel des ventes.

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Les chiffres ne font qu’augmenter, car les ventes dans le monde ont doublé entre 2012 et 2015, soit 750 000 vinyles vendus en 2015, selon le SNEP.
Les chiffres ne font qu’augmenter, car les ventes dans le monde ont doublé entre 2012 et 2015, soit 750 000 vinyles vendus en 2015, selon le SNEP.

SNEP

Le Disquaire Day empêche les petits labels de travailler, car les gros labels n’arrêtent pas de represser

Certains sont même venus de loin pour profiter de cette opportunité. « J’ai plus de 100 vinyles et je les écoute tous. Je m’en sers surtout pour mixer. Dans notre petite contrée du Calvados, on n’a pas la chance d’avoir des magasins comme Mélomane, donc je viens dès que je peux. Mais le Disquaire Day empêche les petits labels de travailler, car les gros labels n’arrêtent pas de represser pendant des mois juste pour cette occasion », confie un Calvadosien. D’autres sont venus par curiosité et pour dénicher de bonnes affaires. « Je n’ai finalement acheté que des vinyles à 1€ », confie un jeune amateur de la fameuse galette chez Oneness Records.

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« J’ai plus de 100 vinyles et je les écoute tous. Je m’en sers surtout pour mixer. ».
« J’ai plus de 100 vinyles et je les écoute tous. Je m’en sers surtout pour mixer. »

Manon Margérard

 Même si le Disquaire Day donne un élan aux ventes de vinyles, Jean-Christophe est persuadé que les ventes n’atteindront jamais les chiffres des années 80. « Avant c’était le seul support. Aujourd’hui, les usines ne sont plus autant équipées », explique le gérant de Mélomane.

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Les disquaires comptent beaucoup sur le Disquaire Day qui met en avant le vinyle et favorise ses ventes.
Les disquaires comptent beaucoup sur le Disquaire Day qui met en avant le vinyle et favorise ses ventes.

Manon Margérard

Le vinyle a encore de belles années devant lui, porté par une jeunesse fascinée par l’authenticité du support, mais reste encore une pratique marginale par rapport aux autres modes de consommation de la musique. Oui, la galette est bel et bien de retour, séduisant un nouveau public, mais ce retour est un trompe-l’œil qui dissimule un marché de niche.

Meis en concert à La Roche-sur-Yon lors du festival Hip OPsession 2016.

Hip Hop got talent

Le Truck System pour une ambiance sound-system bon enfant devant Trempolino.

Histoires de Dub

Jeune journaliste passionnée par les voyages, la photo et le vintage, Manon s'intéresse dans son dossier numérique aux mutations de la société 2.0 dans notre quotidien.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017