11 novembre 2016

Suuns : rock band pointu

Fragil a eu la chance de rencontrer Suuns, en concert à la Maison de quartier de Doulon dans le cadre du festival SOY. Entre deux cafés, Ben Shemie, chanteur et guitariste du groupe, nous parle — dans un français teinté d'accent québécois — de son rapport à la guitare, du dernier album de Suuns et de la scène montréalaise.

Suuns : rock band pointu

11 Nov 2016

Fragil a eu la chance de rencontrer Suuns, en concert à la Maison de quartier de Doulon dans le cadre du festival SOY. Entre deux cafés, Ben Shemie, chanteur et guitariste du groupe, nous parle — dans un français teinté d'accent québécois — de son rapport à la guitare, du dernier album de Suuns et de la scène montréalaise.

Formé en 2007, le groupe canadien d’electro krautrock Suuns, composé de Ben Shemie, Joseph Yarmush, Max Henry et Liam O’Neill, ne cesse de faire parler de lui et est à l’affiche d’un bon nombre de festivals. Après Zeroes QC et Images du futur, le quatuor revient avec Hold/Still, son dernier album sorti sur Secretly Canadian.

Fragil : Comment définiriez-vous votre musique à une personne qui n’y connaît rien ?

Ben Shemie : Je dis toujours qu’on est un rock band, qu’on joue de la musique rock. Je sais que c’est assez vaste comme réponse, que ça fait souvent référence aux groupes de classic rock à guitare, et que c’est pas forcément ce qu’on fait, mais j’aime cette énergie et cette attitude qui est souvent assignée aux groupes de rock. Donc je pense que c’est ce qui se rapproche le plus de ce qu’on fait, même si on a beaucoup d’influences électroniques. C’est pour moi la seule façon de décrire notre musique.

Fragil : Vous êtes en concert aujourd’hui dans le cadre du festival SOY, et ce n’est pas la première fois (Suuns and Jerusalem in my Heart étaient à l’affiche du festival en 2015, ndlr). Vous êtes en quelque sorte des habitués, c’est un peu la famille ?

Ben Shemie : Oui, c’est la troisième fois qu’on vient à Nantes. On est amis avec Cécile (qui est dans l’organisation du festival, ndlr), donc c’est cool de la revoir. C’est sympa de ne pas jouer à Stereolux, même si j’aime vraiment bien cette salle. Ça permet de voir différents lieux. On a toujours eu de bons moments ici, on est très chanceux.

Fragil : Comment trouvez-vous l’affiche cette année ? Y-a-t-il des groupes que vous auriez aimé voir durant le festival ?

Ben Shemie : Oui, j’aurais bien aimé voir Not Waving, je trouve ça cool. Cate Le Bon, Tim Hecker évidemment, parce qu’il est de Montréal. J’ai vu Tortoise il y a très longtemps dans les années 90. Je ne connais pas vraiment leur nouvel album mais je sais que c’est un très bon groupe. Cold Pumas aussi… Il y a tellement de noms. Il y a aussi beaucoup de choses que je ne connais pas. C’est une très belle programmation.

Fragil : Quelles sont vos influences ?

Ben Shemie : Quand j’étais jeune, j’écoutais du rock classique. C’était les disques de mes parents, Bob Dylan par exemple, mais aussi les classiques rock comme Led Zeppelin ou Jimi Hendrix, parce que je voulais jouer de la guitare. C’était vraiment mes références quand j’étais jeune. J’ai aussi fait un détour par le jazz, parce que je voulais m’améliorer à la guitare. Ensuite, j’ai commencé à écouter de la musique électronique. Notre groupe est aujourd’hui un mélange de tout ça : très axé sur la guitare électrique mais avec aussi des influences de club music.

Avec Jerusalem in my Heart c'est un projet d'amitié, où on avait l'opportunité de faire vraiment ce qu'on voulait, sans contraintes, sans attentes Ben Shemie

Fragil : Concernant votre dernier album : la collaboration avec Jerusalem In My Heart en 2015 a-t-elle donné un penchant plus electro à ce dernier ? Hold/Still est très axé sur l’électro, contrairement à vos albums précédents qui sont plus teintés d’indie rock

Ben Shemie : C’est une bonne observation. Oui et non, avec Jerusalem c’est un projet d’amitié, où on avait l’opportunité de faire vraiment ce qu’on voulait, sans contraintes, sans attentes. C’était très libérateur, sans pression. C’était juste jouer de la musique avec des amis et créer des choses spontanément. La meilleure façon de créer, c’est avec cette attitude et cet esprit. Sur Hold/Still on a essayé de faire ça. On faisait juste whatever we wanted to do (sic). C’est vrai que c’est plus electro maintenant, mais pas forcément à cause de Jerusalem. On écoute de plus en plus de musique électronique et je pense que l’enjeu avec Suuns, c’est vraiment de jouer dans un rock band comme je le décrivais tout à l’heure, mais aussi, comment moi, guitariste, j’utilise la guitare électrique d’une nouvelle façon, car c’est un instrument qui est un peu vieux. C’est essayer d’écrire de la musique pertinente avec de vieux instruments.

Agrandir

Suuns, la tête d'affiche de la quatorzième édition du festival SOY.
Suuns, la tête d'affiche de la quatorzième édition du festival SOY.

Festival SOY

Fragil : Pour cet album, vous avez travaillé avec le producteur John Congleton : pourquoi ce choix ?

Ben Shemie : C’est un producteur qui vient de Chicago. C’est le petit protégé de Steve Albini, qui a notamment collaboré avec Nirvana. C’est la première fois qu’on fait appel à un producteur. C’est quelqu’un de très ouvert à la musique, très encourageant. Il ne retouche pas beaucoup nos productions, il est plus là comme une bonne vibe. Il nous a laissé faire ce qu’on voulait, et dans le fond, je pense que c’est pour ça que Hold/Still est probablement notre album le plus exigeant, parce qu’on était vraiment encouragés à faire ce qu’on voulait faire.

Fragil : Pour l’enregistrement, vous avez quitté Montréal, votre ville d’origine, pour le Texas. Ce n’était pas trop difficile de sortir de votre « zone de confort » ?

Ben Shemie : Non, ça n’était pas difficile du tout. On n’est pas restés très longtemps là-bas, et le peu de temps qu’on est restés, on travaillait. C’était un peu plate dans le fond. On se levait tôt le matin, on restait dans le studio toute la journée et le soir on ne faisait rien. Enfin, on est quand même allés voir des shows et des matches de base-ball. Mais l’idée c’était de partir de Montréal, car on a beaucoup d’amis dans les studios qu’on fréquente et c’est un peu difficile de se concentrer. Avec John, c’était plus sérieux. On ne savait pas vraiment ce qu’on voulait avec ce nouvel album, mais ce qu’on savait, c’est qu’on voulait faire quelque chose de différent.

Hold/Still est probablement notre album le plus exigeant, parce qu'on était vraiment encouragés à faire ce qu'on voulait faire Ben Shemie

Fragil : L’album était écrit avant d’aller au Texas ?

Ben Shemie : Oui. On n’est pas le genre de groupe qui écrit dans le studio. C’est trop cher. On est toujours préparés avant d’entrer en studio.

Fragil : Il n’y a donc pas d’influences qui proviennent du Texas ?

Ben Shemie : Non. J’aimerais dire oui, mais non. Mais on a évidemment l’influence de John, qui lui est né au Texas.

Agrandir

L'ambiance est intense lors du concert de Suuns à la Maison de Quartier de Doulon.
L'ambiance est intense lors du concert de Suuns à la Maison de Quartier de Doulon.

Festival SOY

Fragil : Tu parlais de Nirvana tout à l’heure, c’est une influence que vous vouliez ressentir dans votre musique ?

Ben Shemie : Non, enfin…c’est compliqué de dire non. Oui, dans le sens où je suis fan de Nirvana, mais ce n’était pas la raison pour laquelle on voulait travailler avec lui. Dans le fond, on ne le connaissait pas vraiment. On l’a rencontré lors de concerts, c’était un fan de notre groupe. C’est pour ça qu’il nous a proposé de faire l’album. C’était très facile de travailler avec lui, c’est quelqu’un qui veut travailler et qui voulait nous apporter quelque chose. On a rencontré d’autres producteurs, et c’était un peu triste, trop professionnel. Je voulais un échange d’art, pas un échange d’argent ou de produit.

Fragil : Y a-t-il une scène musicale particulière à Montréal ?

Ben Shemie : Oui. Il y a une assez grande scène. Il y a beaucoup d’endroits pour jouer, beaucoup d’écoles, d’universités, et c’est pas cher. Ce sont les meilleures circonstances pour créer une scène. Il y a deux scènes qui sont assez distinctes, une scène française et une autre anglaise, mais elles sont toutes les deux super intéressantes. C’est dur à définir, il y a tellement de groupes qui se forment à Montréal… C’est une scène qui se renouvelle constamment, mais c’est cool car il se passe beaucoup de choses, et il y a une bonne énergie.

Ce qu'on fait maintenant avec le gonflable, je trouve que c'est parfait pour nous. C'est drôle, c'est léger, il y a un bon contraste avec la musique qu'on fait, qui est très lourde et sombre Ben Shemie

Fragil : Avec vous sur scène, il y a un un décor particulier : une grosse structure pneumatique. Le visuel, c’est important pour vous ?

Ben Shemie : On n’est pas un groupe qui communique beaucoup avec le public. On a essayé de jouer avec des projecteurs, différentes choses… Ce qu’on fait maintenant avec le gonflable, je trouve que c’est parfait pour nous. C’est drôle, c’est léger, il y a un bon contraste avec la musique qu’on fait, qui est très lourde et sombre. Au lieu que ce soit dark tout le temps, il y a un côté chill et un peu drôle avec ça. Je trouve que ça renforce ce qu’on fait. Cette idée est très influencée par le théâtre. Je trouve ça super important de s’ouvrir à d’autres milieux. Je pense qu’il ne faut pas seulement aller voir d’autres groupes jouer, car la musique, c’est un milieu très fermé. Dans les autres milieux artistiques, on voit des choses auxquelles on n’aurait pas pensé.

Agrandir

Le groupe Suuns a affiché complet lors de son concert au festival SOY 2016.
Le groupe Suuns a affiché complet lors de son concert au festival SOY 2016.

Nick Helderman

Fragil : Tu es fan de théâtre ?

Ben Shemie : Oui. À Montréal il y a une très bonne scène théâtrale francophone. Il y en a aussi une anglophone, mais elle prend moins de risques. Je trouve que dans un pays, dans une ville, ce qui représente le mieux la scène artistique globale, c’est le théâtre. Fondamentalement, c’est le seul milieu où les représentations sont faites dans la langue maternelle, c’est fait pour les locaux. C’est un bon aperçu de ce que consomment les habitants. Une ville avec une scène théâtrale qui prend beaucoup de risques, c’est un bon aperçu de la scène artistique en générale.

En tant que guitariste, ce que je veux faire, c'est plus de bruit, que ce soit plus lourd Ben Shemie

Fragil : Comment voyez-vous Suuns dans quelques années ? C’est quoi « l’image du futur » de Suuns ?

Ben Shemie : Je ne sais pas. Je pense que Suuns ne sera jamais un groupe très populaire. Je veux dire, vraiment très populaire. Je pense qu’on ne va jamais franchir ce cap. On reçoit quand même un succès modeste avec la musique qu’on fait, qui est assez pointue, et je pense que ça, ça ne changera jamais. Prochainement, je pense que notre direction sera plus électronique. En tant que guitariste, ce que je veux faire, c’est plus de bruit, que ce soit plus lourd, mais pas industriel.

Swans de gauche à droite : Christoph Hahn, Paul Wallfisch, Phil Puleo, Christopher Pravdica, Norman Westberg et Michael Gira

Swans : incantations et bouchons d’oreilles

loupdessteppes-16

Il faut encore porter le chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante

Étudiante en master Information-Communication à Nantes, Mélanie est passionnée de musique indé.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017