• Le festival Sonor à Trempolino
28 octobre 2016

[SONOR]#9 – Sauvons la création radiophonique

Le temps d'un long week-end d'automne, du 14 au 16 octobre, le festival [SONOR] était de retour pour sa 9ème édition. Organisé par l'association JET avec le concours de nombreux bénévoles et partenaires dont Fragil faisait partie, cet événement tend à promouvoir la création sonore sous toutes ses formes.

[SONOR]#9 – Sauvons la création radiophonique

28 Oct 2016

Le temps d'un long week-end d'automne, du 14 au 16 octobre, le festival [SONOR] était de retour pour sa 9ème édition. Organisé par l'association JET avec le concours de nombreux bénévoles et partenaires dont Fragil faisait partie, cet événement tend à promouvoir la création sonore sous toutes ses formes.

La création radiophonique reste un art fragile qu’il est important de consolider afin d’assurer sa diversité et sa pérennité pour l’avenir. Retour sur la causerie qui a ouvert cette 9ème édition du Festival [SONOR] qu’on était de surcroît bien heureux de retrouver.

Commençons par rappeler ce qu’est la création radiophonique, si tant est qu’on puisse en apporter une définition exhaustive. On connaît tous le métier d’animateur, du simple pousse-disque au plus imaginatif et créatif (premier indice), ou du traditionnel journaliste, du lecteur des dépêches AFP au grand reporter qui signe parfois ses interventions en citant la ville où il se trouve, son nom et la radio qui l’emploie (deuxième indice).
Et puis il y a les autres, auteurs, réalisateurs, producteurs qui donnent de la voix, parfois, et tendent leur micro, la plupart du temps. Preneurs de sons comme on prend le pouls d’une société qui nous entoure, juste à côté de chez soi ou très loin là-bas. Reportages, documentaires. Créateurs d’ambiances expérimentales et d’univers sonores. Feuilletons, fictions, séries. Capteurs d’un monde sonore qu’on ne prend plus la peine d’écouter. La création radiophonique nous offre tout cela et bien plus encore.

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La causerie qui a ouvert la 9ème édition du Festival [SONOR] avait pour but de faire l'état des lieux de la création radiophonique

Gabriella Aubineau

Si un consensus semble se dessiner pour bâtir un avenir plus solide à la création radiophonique, tous ne convergent pas avec les mêmes idées pour y parvenir

La causerie qui a ouvert la 9ème édition du Festival [SONOR] le 14 octobre dernier a voulu dresser un état des lieux de la création radiophonique, en s’appuyant notamment sur le livre blanc édité par la Scam (Société civile des auteurs multimédia). Invités pour en débattre : les auteures et réalisatrices, Cécile Liège et Nicole Marmet, le journaliste web Hervé Marchon (auteur du présent rapport), Sandrine Ferra de la Scam, et Loïc Chusseau, directeur de Jet FM.
Si un consensus semble se dessiner pour bâtir un avenir plus solide à la création radiophonique, tous ne convergent pas avec les mêmes idées pour y parvenir. Et s’opposent même fermement sur certaines d’entre elles.

Le cas Radio France

Dans le livre blanc publié par la Scam, Radio : Quelle place pour les auteurs ?, Kathleen Evin, productrice à France Inter, raconte de façon très claire et franche la dégradation de ses conditions de travail qui n’est qu’un dommage collatéral du lent nivellement par le bas entamé par les directions successives à la tête de la radio publique. Radio France a monté une pyramide à l’envers où les postes administratifs, au marketing, à la communication s’empilent, pendant que l’antenne en pâtit et doit se serrer la ceinture. « Les directions veulent des gens « vus à la télé  » qui viendront faire un petit tour et puis s’en vont. A ceux-là on propose une émission déjà prédéfinie, et quand ils partent on les remplace sans problème. » Voyez la case de 11h00 animée par celui qui considère être bénévole à France Inter, Nagui, qui occupe la tranche d’humour de la chaîne auparavant occupée par uniquement des animateurs télé : Stéphane Bern, Frédéric Lopez, André Manoukian, Laurence Boccolini, Laurent Ruquier.

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Le festival Sonor à Trempolino
Le festival Sonor à Trempolino

Ben Rullier

Radio France poursuit sa mue vers d'autres activités beaucoup plus rentables que la radio

Kathleen Evin ajoute : « Nous allons vers une radio de flux, une sorte d’easy-listening. Beaucoup d’invités autour d’une table, des débats, des appels d’auditeurs pour une part. Et pour une autre de la légèreté, de l’humour (ah cette mode du rire à tout prix !), et de la musique. Ça coûte moins cher (…) c’est ainsi que disparaît peu à peu le reportage dans les émissions. » Pendant que France Inter s’amuse à l’antenne, les producteurs trinquent. Les premiers à souffrir des restrictions budgétaires qui leur sont imposées, des travaux de la Maison Ronde qui ont rendu des studios inutilisables et donc l’indisponibilité de plus en plus flagrante de ceux qui restent. La réduction des effectifs, le non-renouvellement des CDD pour éviter les embauches en CDI… Radio France poursuit sa mue vers d’autres activités beaucoup plus rentables que la radio : défilés de mode, séminaires, formations aux métiers de la radio pour des cadres, concerts privés… Un restaurant de luxe devrait même ouvrir au sein de la Maison de la radio, et une grande partie des locaux sera mise en location.

Cependant, n’attendons pas des invités du plateau de [SONOR] de s’apitoyer sur le sort de Radio France. Nicole Marmet travaille la plupart du temps en Allemagne où chaque Land dispose de sa propre radio de service public. Elle y vante la très grande liberté d’action et d’expression pour les auteurs en matière de création radiophonique. La radio publique de Sarrebruck ayant par exemple fait le pari de diffuser une création en français non sous-titrée.

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Les auteures et réalisatrices, Cécile Liège et Nicole Marmet, le journaliste web Hervé Marchon, Sandrine Ferra de la Scam, et Loïc Chusseau, directeur de Jet FM.

Gabriella Aubineau

Les radios associatives comme Jet FM permettent à de nombreux auteurs de pouvoir (...) s'exprimer en toute liberté

Les autres intervenants de cette causerie dénoncent aussi le lâcher-prise de France Inter en la matière, et l’absence totale d’implication du réseau France Bleu dans la création radiophonique locale. Seules restent France Culture et Arte Radio qui soutiennent la création par leurs financements, mais avec de nombreuses contraintes de format. Les radios associatives comme Jet FM permettent à de nombreux auteurs de pouvoir partager leurs créations, leurs reportages, s’exprimer en totale liberté, mais sans avoir les moyens de les financer…

Certains auteurs, comme Nicole Marmet ou Cécile Liège, travaillent généralement seuls, de la prise de son au montage jusqu’à la production de leur diffusion. Ce n’est pas le cas à France Culture où la convention collective de la radio impose le recours aux professionnels de la maison pour les différentes étapes avant la diffusion.

Cependant, Aurélie Charon, productrice à France Culture et auteure de la magnifique série estivale #Jeunesse2016, a insisté durant la carte blanche que lui a offert [SONOR] sur la liberté totale dont elle dispose, assurant que la direction lui faisait confiance et ne demandait pas à pré-écouter ses diffusions.

Quelles solutions pour assurer le financement de la création radiophonique ?

Pour permettre aux radios associatives de soutenir les auteurs, plusieurs pistes de financement sont à l’étude.
Loïc Chusseau, directeur de Jet FM et délégué national aux affaires culturelles du Syndicat National des Radios Libres (SNRL), s’est fait plusieurs fois remarquer auprès du public présent ce soir-là pour son éloquence pragmatique et convaincante. Le directeur de la radio herblinoise propose par exemple la mise en place d’un fonds de soutien à la création radiophonique au même titre que le CNC pour l’aide au financement du cinéma français.
Il préconise également l’ouverture aux radios associatives de la publicité des messages d’intérêt général jusque-là réservée au service public. De même que la création d’appels à projets pour les radios associatives qui sont les premières à promouvoir et accompagner des artistes ou auteurs émergents.
« Il faudrait que les pouvoirs publics s’attachent à mieux reconnaître celles et ceux qui font bien leur travail et vont au-delà des minimums imposés », ajoute t-il encore dans le livre blanc de la Scam.

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Le festival Sonor à Trempolino
Le festival Sonor à Trempolino

Ben Rullier

La gratuité est l'essence même de l'écoute de la radio depuis qu'elle existe

De son côté, Hervé Marchon, auteur du même rapport, s’est gentiment fait tancer par les autres intervenants de la causerie lorsqu’il a émis l’idée de radios payantes qui pourraient venir ainsi financer la création radiophonique et leurs auteurs. Prenant pour appui le site Labas.org monté par Daniel Mermet après son départ médiatisé de France Inter, et qui s’enorgueillit de rémunérer de nombreux journalistes et auteurs, malgré un nombre d’abonnés de plus en plus remis en question. Donnant l’exemple également d’une autre ex-France Inter, Pascale Clark, qui, avec le site BoxSons, entend se lancer à son tour dans la radio podcast par abonnement et donc à rémunérer des auteurs. Et de citer enfin le site Slate.fr qui a lancé durant l’été ses propres podcasts et ses séries radios, ce qui a provoqué un édito moqueur des précurseurs d’Arte Radio.
Les auteurs en première ligne ont rappelé à Hervé Marchon que la gratuité est l’essence même de l’écoute de la radio depuis qu’elle existe et ne croient pas par conséquent au déploiement de la radio payante.

Dans l’attente d’un réel engagement politique

A ce stade, seule une véritable volonté politique pourrait permettre au moins un premier pas vers une démarche plus globale de soutien à la création radiophonique. Dans le contexte général de baisse des subventions publiques et des dotations de l’État, Loïc Chusseau a d’ailleurs rappelé, en tant que délégué national au SNRL, que si la Ministre de la Culture, Audrey Azoulay, s’était engagée à soutenir la création radiophonique, les services du Ministère de l’Économie de Bercy n’avaient pas encore donné leur accord…

Enfin, si l’Ordonnance de 1986 a défini les bases de la réglementation de la radio, 30 ans après, la création radiophonique doit-elle attendre qu’on légifère pour sauvegarder son exception culturelle et obtenir le cadre de son financement ?

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L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017