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4 novembre 2016

Festival [Sonor] : l’humanité sur écoute

Dans le cadre du festival radiophonique [SONOR]#9 organisé par Jet FM à Nantes, Fragil a rencontré Léa Minod et Aurélie Charon invitées en carte blanche. Ces deux reporters aux jolis parcours, malgré leur jeune âge, se font les témoins de l'actualité avec beaucoup de sensibilité et d'authenticité en parcourant l'intimité des êtres qui croisent leurs routes au détour d'heureux hasards.

Festival [Sonor] : l’humanité sur écoute

04 Nov 2016

Dans le cadre du festival radiophonique [SONOR]#9 organisé par Jet FM à Nantes, Fragil a rencontré Léa Minod et Aurélie Charon invitées en carte blanche. Ces deux reporters aux jolis parcours, malgré leur jeune âge, se font les témoins de l'actualité avec beaucoup de sensibilité et d'authenticité en parcourant l'intimité des êtres qui croisent leurs routes au détour d'heureux hasards.

Ce matin-là, le ciel est couvert d’un épais voile grisâtre qui, petit à petit, commence à calfeutrer la luminosité…Puis, soudain, des cordes de pluie s’abattent lourdement sur le parterre bétonné faisant face à Trempolino. Le festival [SONOR], organisé par Jet, débute sous de bons augures : une chouette programmation autour de la création sonore, des invités apportant un nouveau souffle à la radio, rare et précieux. Parmi eux, Léa Minod et Aurélie Charon, deux jeunes femmes pleines d’avenir dont le travail met à égalité les récits, occupe l’espace avec d’autres paroles, transmet des témoignages intimes afin de changer les regards biaisés par les clichés, les préjugés… puisque « si on y croit ne serait-ce qu’un petit peu, on peut voir grand », dixit Léa Minod.

Elle a cru que son invitation était une erreur… Léa Minod, reporter, est invitée, lors de cette neuvième édition du festival [SONOR], à réaliser une carte blanche. Une femme pleine de sensibilité et d’un naturel à se déchausser avant de commencer à discuter. Léa sait mettre à l’aise.
Léa Minod se voyait devenir chanteuse ou musicienne. C’est après des études de lettres, de linguistique et de musique (au conservatoire de jazz), qu’elle se tourne vers la radio, « un idéal à mi-chemin entre la parole et le son », explique-t-elle. Aujourd’hui, reporter indépendante à France Inter, France culture, Arte radio, entre autres. Elle dit souvent que c’est sa myopie qui lui a permis de compter sur ses oreilles. Ce qu’elle aime c’est la musicalité des voix et des sons. La féminité et l’intime sont des thèmes récurrents de son travail car donner la parole à des personnes qui ne la prennent pas souvent est important pour Léa. Lors de ses reportages, elle se transforme en « éponge » et cela lui réussit.

Le pouvoir de la radio c'est de donner la parole à des voix, à des gens qui ne la prennent pas souvent Léa Minod

Pour sa carte blanche lors du festival [SONOR], Léa Minod nous fait découvrir en direct, par chronologie, quelques-uns de ses reportages. Mon chat teigne, un chat adorable qui devient vite insupportable, Victor en campagne, la rencontre d’un garçon habitant dans un petit village, ou encore Diane ne se déguise plus en homme, l’histoire d’une petite fille née dans un corps de garçon font partie des extraits. Ces bribes de vie diffusées à la radio offrent souvent la parole à ceux qui ne la prennent que rarement. La vie ordinaire devient poétique, tout en restant authentique, et le rendu est tout simplement touchant.

Les dernières fois de Léa Minod

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Aurélie Charon est productrice à France Culture et réalisatrice de nombreuses émissions

Aurélie Clement

La voix à la jeunesse

« On a tout de suite pu se frotter à la réalité ». Aurélie Charon évoque ainsi la chance que lui ont donnée Emmanuel Laurentin et Vincent Josse entre autres, cette confiance accordée qui lui a permis de se « mettre tout de suite dans le bain » et d’avoir été diffusée très tôt à l’antenne. Depuis Un été à Alger, en passant par les séries diffusées sur France Inter avec Caroline Gillet et aujourd’hui avec ses émissions du lundi soir sur France Culture, Aurélie essaie d’imaginer « des formes qui sortent de l’ordinaire ». Son outil de travail, c’est sa voix, et la jeune femme a conscience de ce qu’elle peut faire avec, de son potentiel d’adaptation, de sa particularité : « J’ai une voix que je peux poser, à laquelle je peux donner un rythme particulier et que l’on reconnaît ».

Justement, elle met sa voix au service de la jeunesse qui semble être un public de prédilection. Aurélie Charon essaie d’aller « chercher des voix, un récit qui raconte quelque chose de différent des clichés que l’on peut avoir et de ce qu’on raconte toute la journée dans la sphère politico-médiatique ». De plus s’est développée, à propos de cette jeunesse, une sorte de « fiction quotidienne nous racontant que l’harmonie c’est fini, que l’on ne peut plus s’entendre, que c’est une génération un peu perdue, qui n’est plus engagée, qui ne s’intéresse pas à la politique et qui donc vit sa vie dans son coin ». Mais lorsque l’on s’y penche d’un peu plus près, lorsque l’on « s’intéresse aux gens et qu’on va voir dans la réalité comment ça se passe, ce n’est pas du tout ça : les gens ont décidé de s’engager différemment, non plus par les voies classiques tel qu’on l’imaginait avant : c’est des engagements plus locaux, des actions réinventées, collectives ».

Il y a des jeunes qui s'engagent mais qui le font sans porte-voix, sans le crier sur tous les toits et notre métier c'est de les faire entendre Aurélie Charon

Elle avait l’impression qu’on ne leur donnait pas assez la parole et qu’il fallait « contrebalancer cette image qu’on donnait tous les jours, contrebalancer ce qu’on raconte de nous » car il y a « des jeunes qui n’ont plus envie de parler, qui s’engagent dans des choses mais qui le font sans porte-voix, sans le crier sur tous les toits et donc notre métier c’est de les faire entendre. Ce qui serait grave c’est s’ils arrêtaient vraiment de s’exprimer, si on ne les entendait plus ». Ils « ont décidé d’agir un peu en sourdine parce qu’ils ont justement l’impression que s’ils parlent on va les ranger dans des cases, on va vouloir les définir en trois mots et les réduire à ça ». Aujourd’hui Aurélie a 30 ans mais est, elle aussi, passée par cette période : « Quand j’ai commencé les séries j’avais 23-24 ans et j’ai aussi l’impression que c’est ma génération. C’est également une façon de m’engager, de proposer autre chose à raconter qui correspond plus à la réalité selon moi ». Son travail a par ailleurs été récemment récompensé par l’opération « Stop aux clichés » qui a pour but de sensibiliser les médias et de les inciter à être plus attentifs à l’image des jeunes qu’ils renvoient dans leurs reportages. C’est donc grâce à son reportage Je suis multiple diffusé sur France Inter le 28 juin 2015 qu’Aurélie s’est vu décerner le prix radio, une victoire et un plaisir pour la reporter.

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Aurélie cherche à être au plus proche de la réalité et de réalités multiples

Lise Simon

L’authenticité pour engagement

Si on ne passe pas par ce chemin un peu intime, on n'a pas toutes les informations pour approcher quelqu'un Aurélie Charon

Aurélie semble être fascinée par ses rencontres de l’intime comme moyen de faire témoigner la vraie vie sur les ondes. Ce qui l’intéresse c’est « la volonté d’apprendre à se connaître et j’ai l’impression que quand on approche quelqu’un par sa vie, ce qu’il aime, la musique qu’il écoute, c’est une approche sensible, qui est tout de suite directe, incarnée, qui dit beaucoup, et c’est comme ça que l’on apprend à s’écouter, à s’entendre ». Entrer par l’intimité dans la vie des gens, « ça déconstruit un peu tout ce que l’on a pu s’imaginer, tous les préjugés que l’on a ».

Quand on lui parle d’engagement, d’actualité et de questions politiques, Aurélie dégaine un air pensif avant d’enchérir : « Là c’est une année d’élection présidentielle et je pense qu’un défi c’est quand même d’arriver à parler de tout ce qui nous divise en ce moment de façon sereine afin que ça nous divise moins ». Elle évoque le thème récurrent de l’islam dans les médias en ce moment : « Je pense que c’est important de démystifier les choses, de baisser le ton et c’est justement l’idée des séries. Est-ce qu’on peut revenir à un niveau normal ? Juste se parler et déconstruire tout ça parce que sinon ce sont des espèces de murs qui s’érigent et qui n’ont pas lieu d’être. A travers tous ces discours politiques, c’est une sorte de fiction qui se dresse contre les gens et j’ai l’impression que si on revient à une parole plus simple, quotidienne, on peut très facilement surmonter ça, c’est l’un des défis de notre génération je pense ».  Elle poursuit, « il y a aussi un truc autour de l’identité qui est insupportable, comme si l’on devait savoir se définir, presque montrer patte blanche, se justifier et on pense tellement à qui on est que finalement tu n’as plus le temps de l’être. Je l’ai évoqué dans une série et il faudrait pouvoir être libérer de ça, de cette impression qu’être Français ça se mérite, qu’il faut des bons points, qu’il faut des preuves et c’est un poids pour notre génération. Si on ne fait pas attention, si on s’engage trop là-dedans, on ne saura plus comment en sortir ».

Et si la radio pouvait changer les choses ?

Être proche de la réalité et de réalités multiples

Elle pointe alors du bout du doigt le micro que je tiens dans la main : « Là par exemple tu tiens un micro, c’est un média hyper simple, le son ça colle directement à la vie, à ce qui se passe, il y a peu d’espace, évidemment quand on fait du montage il y a une transformation et on réécrit un peu l’histoire mais il y a quand même peu d’intermédiaires ».  Elle mentionne cette facilité à « se glisser dans plein d’endroits » à être vraiment « proche de la réalité et de réalités multiples ». C’est donc un média aussi simple qu’il est important, « pour mettre des micros justement là où on a pas l’habitude de les mettre et à la fois baisser le niveau de tous ses débats un peu hystérisants, monter un peu le son, mettre sur écoute des lieux qu’on n’a pas l’habitude d’entendre ». La radio a eu, dans l’Histoire, un rôle très important et le possède encore de nos jours : « On rentre dans la maison des gens, on est une voix qui leur parle dans leur salon, on a une responsabilité immense en tant que voix qui parle à l’intérieur du poste et je pense que c’est important d’occuper cet espace par des paroles multiples, pas cliché, et qui raconte une réalité autre que ce qu’on veut nous faire avaler ».


Entretiens réalisés par Lise Simon et  Aurélie Clement

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Projet Loup des Steppes : l'équilibre à mi-chemin entre deux extrêmes

Premier organe auditif, le cœur - Rencontre avec Sean Bouchard

Curieuse de tout et surtout de l'info, Romane (se) pose beaucoup de questions. Salariée de Fragil, elle écrit sur l'éducation aux médias et la musique actuelle !

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017