15 avril 2016

Rêve général

Le mouvement Nuit Debout s’est étendu à la France et prend de l’ampleur dans l’Ouest. Le 5 avril, un appel à occuper la Place du Bouffay a été lancé pour une première Nuit Debout à Nantes. Récit de ce 36 mars.

Rêve général

15 Avr 2016

Le mouvement Nuit Debout s’est étendu à la France et prend de l’ampleur dans l’Ouest. Le 5 avril, un appel à occuper la Place du Bouffay a été lancé pour une première Nuit Debout à Nantes. Récit de ce 36 mars.

Il est à peu après 18h que nous arrivons au point de rassemblement. Le ciel est dégagé, et autour de la place une centaine de personnes attendent déjà assises, debout ou même couchées. Malgré le bruit de l’hélicoptère de la police qui surveille encore la fin de la manifestation, un autre son, le murmure humain, s’approprie petit à petit le lieu. De forts éclats de rire et des engueulades ajoutent un goût épicé à la soupe. Tout le monde discute et se demande quand et comment cela va commencer…

Melting-pot

Quelques instants plus tard, un petit cortège provenant de la manif arrive échauffé, mais tout se calme à nouveau dans le dialogue. Là, le vrai melting-pot se fait : retraité-e-s, intermittent-e-s, chômeurs-es, étudiant-e-s, exilé-e-s, militant-e-s ou même des touristes vont donner vie à cette première « Nuit Debout » à Nantes. Les clés de la réussite seront sans doute cette mixité sociale, le respect, ainsi que la spontanéité.

Le 5 avril, un appel à occuper la Place du Bouffay a été lancé pour une première Nuit Debout à Nantes.

Le 5 avril, un appel à occuper la Place du Bouffay a été lancé pour une première Nuit Debout à Nantes.

L’installation des barnums et d’une sono au cœur de la place donne enfin le feu vert à cette convergence des luttes. C’est parti : les gens se réunissent, attentifs, et le micro passe de main en main pour une prise de parole qui montrera un ras-le-bol général. Ce n’est pas que le mouvement contre la « loi El Khomri » : c’est tout un tas d’urgences sociales qui ne peuvent plus attendre. Par exemple : la situation des migrant-e-s ici, à Calais et partout en Europe. Une Europe hypocrite, qui refuse de les accueillir mais n’hésite pas à aller bombarder leurs pays, et à financer les guerres. C’est aussi un problème de logement, de chômage, de gaspillage alimentaire, d’environnement, de violences policières, d’éducation…

Les clés de la réussite seront sans doute cette mixité sociale, le respect, ainsi que la spontanéité

Dans la foulée une liste officielle, concernant toutes ces inquiétudes, est créée. La prise de parole spontanée touche à sa fin et les gens se regroupent tout de suite en diverses commissions de travail. Deux autres sujets majeurs concernant la continuité de ce mouvement sont évoqués : Organisation et Communication.

Forum de réflexion et de création

Il est 20h : environ 300 personnes débattent par terre passionnément autour de ces sujets : Démocratie, Économie, Médias, Éducation, Environnement, Convergence des luttes, etc… Tous inconnus, ou presque, ils laissent pour un moment leurs vies et leurs problèmes de côté. Les masques du quotidien tombent pour communiquer en toute sincérité : des idées, des propositions, des envies pour créer une autre société et agir ensemble. Peu importe l’âge ou l’expertise dans le domaine, tout le monde est le bienvenu. Il y a de l’énergie, c’est un véritable moment d’échange. Cette force qui fait bouger la place donne de l’espoir et fait rêver beaucoup de monde. D’autres, par contre, déjà plus expérimentés dans le milieu militant, se montrent plus méfiants qu’émerveillés. « Il faut laisser mûrir ce mouvement, voir dans quelle direction on part. C’est trop tôt pour pouvoir en parler dès maintenant. »

Parallèlement, autour du cœur de la place qui cogite, les esprits plus jeunes, munis de marqueurs et de bombes de toutes les couleurs, laissent leurs paroles et dessins fleurir sur les pavés. Une deuxième sono balance aussi de la techno pour les plus fêtards, d’autres font du jonglage. Une buvette à bières s’installe sous les derniers rayons du soleil et une petite poignée de musiciens improvise, tranquille, sous le regard étonné des passants et curieux qui nous demandent : « C’est quoi tout ça ? Est-ce que vous savez ce qu’il se passe ? ». Bouffay est très vivant et varié.

Une deuxième sono balance aussi de la techno pour les plus fêtards, d’autres font du jonglage.

Une deuxième sono balance aussi de la techno pour les plus fêtards, d’autres font du jonglage.

« Et s’ils débarquent ? »

A la nuit tombée, toute cette belle créativité s’arrête malheureusement à l’arrivée d’un groupe de CRS. Ce type d’intervention, déjà vécue quelques jours avant à Paris, posait les questions suivantes : « Qu’est ce qu’on fait s’ils débarquent ? Comment réagit-on ? » La tension monte soudainement et tous les gens se lèvent. Un appel généralisé au calme et à rester assis résonne un peu partout, mais n’aboutit pas. Face à cette indésirable et dérangeante présence policière, quelques bouteilles et cailloux volent vers les boucliers et les casques des CRS. Une action désapprouvée par une grande majorité de la place, persuadée que ce n’est pas le moment de chercher la bagarre. Tout se déroule très vite : en même temps qu’une barrière humaine, les bras en l’air, se forme, le classique : « Police partout, Justice nulle part ! » se fait entendre clair et net. Malgré cet essai de résistance pacifique, quelques personnes se font quand même agresser à coups de matraque et au gaz lacrymogène. La confusion règne dans l’air et à la surprise de tous, la police décide enfin de reculer. Peu a peu, sous le regard méfiant de la foule, les forces de l’ordre quittent la place direction Commerce. Cet affrontement avec la police met en évidence différentes façons d’agir, ainsi que la divergence d’opinions issue de cette mixité sociale, d’autant plus remarquable à l’arrivée de la police. « Violence ou non ? » : question d’envergure qui prendra un rôle très important les jours suivants…

Les masques du quotidien tombent pour communiquer en toute sincérité

La nuit ne pardonne pas et il commence à faire frais. Un tas de palettes, cartons et bouts de bois récupérés sur le moment dans les alentours s’offrent pour un grand feu de camp. Les plus courageux installent aussi une paire de tentes à côté des barnums et resteront jusqu’à l’aube. Les débats laissent maintenant place à la fête.

aucun plan d’action n’est prévu, mais il insiste sur l’importante du concept « Penser global, agir local »

Aucun plan d’action n’est prévu, mais il insiste sur l’importante du concept « Penser global, agir local »

Il est minuit. Avant de partir, nous échangeons quelques mots avec Ismaël, jeune salarié de 19 ans. Il a participé avec ardeur à la commission Agriculture et Environnement pendant toute la soirée. Pour lui, même si ce mouvement n’arrive pas à aller plus loin que cela, il le considère déjà comme une réussite car « ce qui est important, c’est la prise de conscience de tous ces problèmes. » Pour l’instant, aucun plan d’action n’est prévu, mais il insiste sur l’importante du concept « Penser global, agir local ». « Si on veut changer les choses, il faut d’abord commencer par ici, où on habite. Voir ainsi soi-même. » rajoute-t-il.

Des personnes se font quand même agresser à coups de matraque et au gaz lacrymogène

Le mouvement s’enracine depuis ce 36 mars, et continue tous les soirs à partir de 18h pour se retrouver autour des assemblées générales : commissions de travail, musique, bibliothèque libre, théâtre ou même zone de gratuité pour ceux qui sont sans ressources.

Pour plus d’informations, ce site et le groupe Facebook Nuit Debout Nantes regroupent les prochaines actions prévues à Nantes, ainsi que les comptes-rendus des diverses commissions.

Louise contre-attaque

Gentlemen du dub (not) only

C'est au travers de reportages photo et vidéo que Xoel fait vivre les événements culture et société. De la Nuit Debout au festival "Couché!", du pavé à la scène, l'actu se mue en portraits, paysages et expérimentations visuelles.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017