21 avril 2016

Modigliani : un regard intime sur le monde

Artiste maudit, génie à la trop courte carrière, Amedeo Modigliani a marqué l’histoire de l’art moderne. Une rétrospective lui est consacrée jusqu’au 5 juin 2016, au Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (LaM) de Villeneuve-d’Ascq.

Modigliani : un regard intime sur le monde

21 Avr 2016

Artiste maudit, génie à la trop courte carrière, Amedeo Modigliani a marqué l’histoire de l’art moderne. Une rétrospective lui est consacrée jusqu’au 5 juin 2016, au Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (LaM) de Villeneuve-d’Ascq.

Le parti pris du LaM est de mettre en lumière l’œuvre d’une vie : des origines antiques et primitives de son inspiration à ses influences artistico-amicales, plutôt que la chronologie d’une vie d’artiste. Loin des drames, demeure le génie, tel est l’angle pudique et respectueux choisi pour cette exposition. Car, au regard d’un parcours pour le moins romanesque, il aurait été aisé de faire la part belle au sombre et au mélodramatique. Que nenni. L’empreinte reste digne et inspirée où transpirent poésie et force créatrice de l’auteur.

« Modi », un surnom prédestiné ?

Difficile d’aborder l’œuvre d’Amedeo Modigliani sans revenir brièvement sur le tumulte qui agita sa trop courte vie d’artiste. Italien de naissance, il étudie l’art à Florence et à Venise, avant de poser ses valises à Paris, quartier Montmartre, en 1906. Il y croise la route des grands noms du moment : Guillaume Apollinaire, Pablo Picasso et Max Jacob. De passage à Montparnasse, il se lie d’amitié avec le sculpteur Constantin Brancusi.

Modigliani au LaM

Tel un mentor, Brancusi le guide dans la création de ses premières sculptures. L’effervescence artistique déborde dans ce Paris bouillonnant du début du XXe siècle, laissant libre cours aux excès (alcool, drogues). Modigliani tombe dans cette spirale infernale, ce qui n’arrange en rien sa santé déjà fragile. Admirateurs, mécènes et collectionneurs, dont Roger Dutilleul, croient en son talent. Malgré tout, il vend peu. Mais leur soutien inconditionnel, aidera à sa survie.

L'effervescence artistique déborde dans ce Paris bouillonnant du début du XXe siècle, laissant libre cours aux excès.

En janvier 1920, il est retrouvé délirant dans son lit, veillé par Jeanne Hébuterne, sa jeune compagne enceinte de leur second enfant. La fièvre faisant déjà son œuvre, Modigliani meurt quelques jours plus tard, le 24 janvier, à l’hôpital parisien de la Charité. Le diagnostic : une méningite tuberculeuse. À 35 ans et après seulement douze ans de carrière, il laisse derrière lui Jeanne et des tableaux au style reconnaissable entre tous. De retour dans sa famille, rejetée, la jeune femme dévastée par le chagrin, saute du 5ème étage de l’appartement de ses parents, le lendemain des funérailles de son amant. Une tragédie.

Modigliani au LaM

Inspiration, recherche et lutte face à la matière

La première partie de l’exposition met l’accent sur ses sources d’inspiration : l’art égyptien, khmer ou encore africain. Fou d’Égypte, comme le rapporte son amie la poétesse russe Anna Akhmatova, il n’a de cesse d’arpenter les salles du musée du Louvre. Il voue une vraie fascination pour les caryatides et l’art des Cyclades. Ses dessins s’en inspirent. À cette période, sous l’impulsion de son ami Brancusi, qui lui donne des conseils techniques en taille directe, il décide de se consacrer à la sculpture. Des têtes de femmes jaillissent de la pierre.

Il décide de se consacrer à la sculpture : des têtes de femmes jaillissent de la pierre.

Quelques unes sont présentées à l’exposition. Le style est net, épuré, symétrique : ovale du visage très allongée, regard rapproché en amande, verticale de l’arrête du nez marquée, cou en forme de cylindre, bouche géométrique. Il grave des masques ; ses masques empreints à la fois d’Afrique et d’Asie. Ses envies de sculptures sont rattrapées par sa santé fragile. Poussières, difficultés matérielles liées à la Première Guerre mondiale et peut-être son constat d’impuissance face à la maîtrise de la matière, le poussent à revenir à ses premiers amours : le dessin et la peinture.

 Un portraitiste au style inimitable

La seconde partie de l’exposition explore ses talents de portraitiste. À travers ses tableaux, il garde les repères stylistiques qui ancrent son trait : cou cylindrique, arrête du nez tranchée, yeux rapprochés. S’ajoute à cela des pupilles absentes, ou parfois une sur deux présente. Un mystère plane sur cette touche Modigliani. La réponse à cette question, il la donnera à un de ses amis peintre, Léopold Survage (voir interview de Jeanne-Bathilde Lacourt). Grâce à son style marqué, il parvient à combiner véracité des âmes et poésie.

Modigliani au LaM

Amedeo Modigliani, Nu assis à la chemise, 1917.

 Si la galerie de ses portraits est le moyen pour lui de valoriser ses pairs, elle lui donne aussi l’occasion de magnifier des anonymes. Générosité, sensibilité, respect et tendresse transpirent de son œuvre. Le nu féminin y est également glorifié, comme un retour à ses sources d’inspiration antiques. L’une de ses célèbres toiles Nu assis à la chemise reprend les codes de ses sculptures. L’identité du modèle est occultée par l’absence de pupilles, renforçant les traits d’un masque tenant lieu de visage. Les courbes à la fois généreuses et simples du corps témoignent des recherches artistiques des premières années, tout comme l’utilisation du manche du pinceau pour creuser les mèches de la chevelure dans la toile.

Plus qu’un mécène, son ami Roger Dutilleul

Modigliani au LaM

Un espace, avant la fin de l’exposition, dédie la révélation du talent de Modigliani à l’un de ses plus fervents admirateurs et soutiens : le collectionneur parisien Roger Dutilleul. À l’entrée trône son portrait réalisé par l’artiste. À l’intérieur, des immenses toiles ayant appartenu à l’amateur d’art sont mises en exergue. On y retrouve Maternité. Le sujet de cette peinture, une mère portant sur ses genoux son jeune

enfant, tranche avec les productions habituelles de Modigliani. L’artiste représente rarement des scènes à plusieurs personnages, donc des relations. Le parallèle peut être fait avec un épisode de la vie personnelle du peintre : la naissance de son première enfant. Ici, il fait le choix de pousser son style jusqu’à l’archétype, sacralisant la mère telle une madone protectrice de son bras surdimensionné et installant l’enfant tel un poupon angélique. Un pôle interactif situé à la sortie de l’espace, pe

rmet de rentrer virtuellement dans les appartements de Roger Dutilleul. Totalement et éperdument fou d’art, on apprend que jusque dans sa salle de bain, il collectionnait des tableaux de maîtres.


 Entretien avec Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de l’art moderne au LaM et co-commissaire de l’exposition Amedeo Modigliani – L’Œil Intérieur

Fagil : Pourquoi avoir choisi de faire une rétrospective des œuvres d’Amedeo Modigliani ?

J-B Lacourt : Le projet était déjà dans les cartons. Le LaM conserve l’une des plus belles collections publiques réunie par Roger Dutilleul : six peintures, sept dessins et une sculpture en marbre de Modigliani. Amateur passionné, Dutilleul croise la route de Modigliani en 1917. Leur rencontre sera le point d’origine de cette exposition. À sa mort, le collectionneur lègue ses trouvailles à son neveu, Jean Masurel, un industriel implanté dans le Nord. Ce dernier en a fait don à la communauté urbaine de Lille en 1979.

Fagil : Combien de temps cela a pris pour monter une telle exposition ?

J-B Lacourt : Cela représente trois ans de travail ; un travail de préparation, de recherches, de localisation des œuvres, certaines étaient prêtées, d’autres vendues. Un partenariat a été mis en place avec la Rmn-GP (La Réunion des musées nationaux – Grand Palais), notamment pour les démarches administratives.

Fagil : Quelle est la particularité du style Modigliani ?

J-B Lacourt : Sa peinture est d’apparence très fluide, mais elle est bien plus complexe qu’elle en a l’air. Ce sont ses influences historiques et ses rencontres amicalo-artistiques qui l’ont aidé à construire son style.

Fagil : Pourquoi cette exposition s’appelle Amedeo Modigliani – L’Œil Intérieur ?

J-B Lacourt : Cela fait référence à une anecdote relatée par son ami Léopold Survage. Durant l’été 1918, Survage invite Modigliani à peindre dans son appartement de Nice. À la vue de son portrait, Survage demande à son ami « Pourquoi ne m’as-tu fait qu’un seul œil ? » et le peintre de lui répondre « Parce que tu regardes le monde avec l’un, avec l’autre, tu regardes en toi ». Ce portrait est d’ailleurs exposé.

Après une semaine de présentation au public, le LaM comptabilisait déjà près de 6 000 visiteurs pour cette exposition. Un beau succès en perspective. Elle est à admirer jusqu’au 5 juin 2016 au LaM de Villeneuve-d’Ascq. Amedeo Modigliani – L’Œil Intérieur sera présentée ensuite à Budapest puis à Helsinki

Nicola Beller Carbone dans le rôle de Médée.

Nicola Beller Carbone s’empare de Médée

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Pour Stéphanie, écrire, c'est transmettre une information, c'est soumettre un point de vue, c'est partager une émotion, c'est mettre en avant l'implication de chacun aussi infime qu'elle soit. Son Dada ? L’art au sens large et plus particulièrement l’effervescence du Nouveau Réalisme.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017