18 juillet 2017

L’éclectisme de Beauregard

Fragil était de retour pour démarrer cette saison estivale au festival Beauregard à Hérouville-Saint-Clair en Normandie. L’occasion d’un livetweet sur place durant les trois jours de concerts, et d’une rencontre avec Ibrahim Maalouf.

L’éclectisme de Beauregard

18 Juil 2017

Fragil était de retour pour démarrer cette saison estivale au festival Beauregard à Hérouville-Saint-Clair en Normandie. L’occasion d’un livetweet sur place durant les trois jours de concerts, et d’une rencontre avec Ibrahim Maalouf.

Toujours éclectique, la programmation du festival normand qui fêtera ses 10 ans l’an prochain a vu revenir pour sa neuvième édition des têtes d’affiches familières du lieu en plein air, de ses deux scènes, de son immense parc, et de son château.

C’est ainsi qu’on vit revenir Benjamin Biolay dès le vendredi soir, que des serveuses d’un stand de frites de patate douce n’avaient pourtant pas reconnu bien qu’étant situées pile en face de la scène…

Le même soir, Joseph Mount et sa bande Metronomy rappelaient également leur précédente visite à Beauregard il y a 5 ans (sous une pluie battante, ndlr), demandant avec insistance au public s’il aimait… le weekend. Comme les prémices de l’annonce d’un futur album ?

Autre habitué, Maarten Devoldere, le flamand leader du groupe Balthazar revenu cette fois-ci avec sa formation perso, Warhaus.

Une édition sur le retour

Beauregard adore remettre en scène de vieux briscards du rock’n’roll qui plaisent tant à son public de parents quadras avec enfants. Et pour cette neuvième édition, c’est tombé sur Midnight Oil ! Le groupe qui s’est exceptionnellement reformé cette année a décidé pour l’occasion de repartir en tournée mondiale. Son leader, Peter Garrett, reconnaissable par sa grande taille (1,92 m) et son crâne rasé, est devenu entre temps un homme politique important en Australie, engagé en faveur de l’environnement, il fût également ministre de l’Éducation du pays en 2010.

Midnight-Oil
Peter Garrett, leader de Midnight Oil

Autre revival, celui de Placebo avec Brian Molko et Stefan Olsdal, venus fêter les 20 ans de la sortie de leur premier album. Sur scène, le groupe, pourtant fortement décrié par la critique qui le considère aujourd’hui comme mort, a assuré bien plus que le service minimum. Offrant un show tenant largement la route reprenant en partie ses titres incontournables et une prestance scénique qu’on aimerait voir plus souvent ailleurs. Ultime preuve s’il en fallait, l’impact spectaculaire qu’a conservé Placebo sur les réseaux sociaux à en croire les tweets de Fragil.

Placebo
Brian Molko de Placebo pour un retour sur scène réussi

Au deuxième jour de festival, Beauregard affichait quasi complet avec une affluence qui vit son service de sécurité débordé et se former une file d’attente interminable sous un soleil de plomb.

Sur scène, la température est rapidement montée également après les traditionnels groupes locaux, on a vu débarquer les londoniens de Yak pour un rock plus proche de ce que savent faire les américains comme les Cramps à leur époque.

Volontairement, on ne vous parlera pas ici de Vald, cet énième épiphénomène né sur une plateforme de vidéos en ligne, et qui plaît tant à ses congénères. Véritable produit du net issu de la télé-réalité dont il emprunte tous les codes et dont les effets dévastateurs sur la santé ne sont pour l’heure malheureusement pas encore démontrés.

On lui préfère très largement les centaines de bénévoles, toujours souriants et disponibles, sans qui ce festival ne serait pas ce qu’il est.

On lui préfère encore La Brigade, cette douzaine de comédiens tous vêtus comme il y a quarante ans, certains d’entre eux coiffés d’un abat-jour, chics et snobs pour un jeu d’observation des festivaliers et d’observés. De quoi les confondre avec le carré VIP, à cette différence de taille près qu’eux au moins étaient présents sur le site et non pas planqués dans un barnum.

La-Brigade
La compagnie d'impro La Brigade

On enchaîne pour une soirée de concentré rock, façon UK avec Editors que MTV2 matraquait à raison outre-manche il y a tout pile dix ans avec leur clip « All Sparks » (à voir !). Suivis de près par les australiens (encore) et chevelus (ceux-là) Airbourne qu’on aurait pu croire échappés du Hellfest.

Editors
Editors

Avant que n’arrive le vétéran Iggy Pop qui avait déjà foulé l’herbe de Beauregard en 2010 avec les Stooges dont il a repris d’ailleurs les principaux titres à commencer par « I Wanna Be Your Dog » (1969 tout de même) et qui a tout de suite donné le ton. Géant.

Iggy-Pop-scène-2
Iggy Pop
Nous avons notre place dans un festival comme ici. Ibrahim Maaalouf

Rencontre avec Ibrahim Maalouf

Autre ambiance avec le trompettiste Ibrahim Maalouf dont l’occasion d’une rencontre fût donnée à Fragil. L’artiste instrumentiste, plus habitué au Montreux Jazz Festival ou au Nice Jazz Festival, estime avoir toute légitimité pour jouer à Beauregard : « Nous avons notre place dans un festival comme ici. En même temps, j’ai l’impression d’avoir de la chance et de la responsabilité. »

Ibrahim-Maalouf-press
Ibrahim Maalouf

Contrairement aux autres têtes d’affiche du festival, Ibrahim Maalouf explique que sa musique repose sur une très grande part d’improvisation et qu’il ne s’agit pas d’enchaîner des titres de quelques minutes. La difficulté étant pour lui de réussir à convaincre le public de ce nouveau tempo musical tout en respectant la durée du set qui lui est impartie. Mais Ibrahim Maalouf reconnaît bien volontiers : « je profite aussi de l’amélioration de l’image de cet instrument. La trompette a vécu une histoire magnifique avec Miles Davis notamment ». Cet instrument dont il parle, il le doit à son père. « Mon père était paysan dans la campagne libanaise en 63, et il a modifié une trompette pour pouvoir jouer de la musique arabe ».

Ibrahim-Maalouf-scène
Ibrahim Maalouf sur la scène de Beauregard
Lorsque Fragil lui demande ce que cela fait de recevoir un César pour la meilleure musique originale avec le film « Dans les forêts de Sibérie », il avoue sans réserve : « Si je le pouvais, j’aimerais ne faire que de la musique de film, c’est ce que je voulais faire à la base, bien plus que de la scène. »

Ibrahim Maalouf vient de terminer un album hommage à Dalida qu’il admire, tout autant que Lhasa de Sela, cette chanteuse américaine qui a longtemps vécu au Québec et décédée à l’âge de 37 ans des suites d’un cancer du sein. « On manque d’artistes comme Lhasa de Sela », regrette t-il. Ajoutant, « tout ce qui est commercial et qui passe en radio ou sur M6, ce sont des produits, mais ce ne sont pas des compositeurs. » Il fallait que ce soit dit. C’est fait. Sur scène, Ibrahim Maalouf a littéralement enchanté Beauregard qui s’est plutôt bien familiarisé avec l’artiste.

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Si je le pouvais, j’aimerais ne faire que de

la musique de film, c’est ce que je voulais faire à la base, bien plus que de
la scène.

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S’il suffisait d’un seul exemple pour finir de vous en convaincre, c’est bien avec cette troisième journée de festival ensoleillée où le groupe malien Tinariwen succèda à l’excellente découverte locale, Fake, et aux sauvages et sexy Fai Baba, pour offrir un sublime blues qui transporta réellement l’ensemble des festivaliers dont les sourires se lisaient sur toutes les lèvres.

Fragil, une nouvelle vague

La gratuité en question

Programme "La Bande Son" + coprésente "Les Barbares" sur Jet FM - Projette des films avec L'Absurde Séance

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017