• Conscientes du retour en force du vinyle, les grandes maisons de disques décident de sortir de plus en plus de vinyles, en rééditant de grands classiques
24 juin 2016

Vinyle : l’objet d’art face au business

Fragil est allé à la rencontre de différents professionnels de la musique afin de comprendre ce retour à la fameuse galette noire. Véritable support de la créativité, le vinyle attire les artistes. Même si les labels indépendants n’ont jamais vraiment abandonné cet objet mythique, la demande des artistes est de plus en plus importante.

Vinyle : l’objet d’art face au business

24 Juin 2016

Fragil est allé à la rencontre de différents professionnels de la musique afin de comprendre ce retour à la fameuse galette noire. Véritable support de la créativité, le vinyle attire les artistes. Même si les labels indépendants n’ont jamais vraiment abandonné cet objet mythique, la demande des artistes est de plus en plus importante.

Une volonté de retourner au vinyle

Au-delà du retour du vinyle dans la consommation musicale ces dernières années, la galette s’impose de plus en plus au niveau de la production. Témoins de ce retour, les labels indépendants accordent depuis toujours une place privilégiée au vinyle, tandis que les grandes maisons de disques, les majors, avaient depuis longtemps abandonné ce support pour se consacrer au CD et au numérique. Cette volonté de retourner au vinyle comporte donc deux objectifs totalement opposés. Alors que les labels indépendants privilégient le vinyle pour la beauté et le potentiel créatif de l’objet, les majors eux veulent en tirer un maximum de profit. Beaucoup plus puissantes en raison de leurs moyens financiers importants, les majors influent sur les manières de travailler des labels indépendants à la vocation créative.

Les majors influent sur les manières de travailler des labels indépendants.

C’est en tout cas ce que constate Vivien Gouery, le co-gérant du label Yotanka. Présent à Rennes et Angers, le label a ouvert dernièrement son bureau principal et siège social au sein de l’agglomération nantaise. Vivien Gouery partage l’aventure musicale avec Yotanka depuis maintenant six ans et constate depuis deux ans une forte présence du vinyle, autant dans la vente que dans la production. « Cela fait environ deux ans que le label privilégie le vinyle. Il y a, parmi le public de nos artistes, de grands amateurs de cet objet. Par exemple, avec l’artiste Robert Le Magnifique, il y a eu autant de vinyles vendus que de CD ».

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« L’industrie de la musique a beaucoup changé. C’est une autre manière de consommer et également une façon de fuir la consommation de masse. »
« L’industrie de la musique a beaucoup changé. C’est une autre manière de consommer et également une façon de fuir la consommation de masse. »

Manon Margérard

Cet engouement du public pour le vinyle, Vivien Gouery le ressent comme le besoin de prendre le temps d’écouter. « L’industrie de la musique a beaucoup changé. C’est une autre manière de consommer et également une façon de fuir la consommation de masse. Je remarque aussi que le public qui soutient les artistes va acheter leurs vinyles. C’est en quelque sorte un acte militant pour soutenir ses artistes favoris. Sur les tournées, c’est ce qui se vend le plus ». Œuvre à part entière, le vinyle séduit les artistes. « C’est un bel objet. Les visuels sont plus pensés pour le vinyle que pour le CD. Ce n’est pas le même effet », explique le manager de Yotanka.

Partageant cet avis, Chloé Nataf, en charge du développement des musiques enregistrées à Trempolino, a pour mission de conseiller les artistes sur les manières de sortir un disque, de le fabriquer et sur le choix du support. « Je m’occupe autant de vinyles que de CD. Parfois certains artistes veulent sortir leur album seulement par téléchargement ». Bel objet. Rêve. Aboutissement du travail de création. Les artistes ont un réel souhait de revenir au vinyle, comme l’explique Chloé Nataf. « Le vinyle est mythique, il représente l’apogée de l’industrie de la musique dans les années 60 et 70. Cela reste un rêve pour les artistes et laisse plus de place à la création artwork, au visuel et surtout à l’imagination ».

Le vinyle c’est comme une drogue. On a toujours envie d’en acheter

Véritable honneur pour les artistes, le vinyle représente pour eux une carte de visite atypique. Chez Yotanka, ces derniers sortent leurs albums automatiquement en vinyle, telle est la volonté du label qui croit en l’avenir de l’objet mythique. « Les ventes de platines sont en hausse. Le vinyle c’est comme une drogue. On a toujours envie d’en acheter », confie Vivien Gouery. Objet de prestige que le public s’approprie plus facilement, le label Yolk constate que les artistes privilégient le vinyle pour « marquer le coup ». Mais le vinyle n’est pas une pratique courante pour le label qui a sorti plus de soixante albums et un seul vinyle en seize ans d’existence. « C’est vraiment un souhait des artistes. Le son du CD est de qualité suffisante, il n’y a pas de perte entre le studio et le CD, donc c’est vraiment lorsque les artistes veulent avoir un objet plus marquant et repérable. Cela demande plus de moyens financiers », explique Tifenn Ezanno du label Yolk. Chloé Nataf le constate tous les jours : « Tous les groupes veulent faire du vinyle ». C’est pourquoi la chargée du développement des musiques enregistrées chez Trempolino croit fortement en l’avenir du vinyle.

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Conscientes du retour en force du vinyle, les grandes maisons de disques décident de sortir de plus en plus de vinyles, en rééditant de grands classiques
Conscientes du retour en force du vinyle, les grandes maisons de disques décident de sortir de plus en plus de vinyles, en rééditant de grands classiques

Marie Bolleyn

Certains pensent même que le vinyle va connaître de plus belles années que le CD à l’avenir. C’est le cas de Mric, de Kythibong. Le label nantais composé de trois membres, Mric, Anthony et Marion, a vu le jour en 2002. « On est très attachés à l’objet. On fait du CD et du vinyle. On ne s’attendait pas du tout à son retour. On pensait que les jeunes s’attacheraient au numérique uniquement, donc c’est une belle surprise. C’est une écoute plus approfondie et attentive ». Pour le label, l’argument du visuel compte beaucoup également. « Il y a tout un univers autour du groupe avec la pochette. C’est un format qui plaît aux artistes ». Besoin de matérialiser les choses et d’avoir un rapport à l’objet plus intime, c’est ce que pense Julien, plus connu sous le nom de Chilly Jay. « Les jeunes ont grandi avec le CD puis avec le MP3 qui est totalement impersonnel, invisible et impalpable. Ce sont aussi les raisons pour lesquelles je continue à mixer avec mes bons vieux disques », confie le DJ qui estime que mixer avec des vinyles est beaucoup plus intéressant et ludique que d’« avoir la tête sur son écran toute la soirée. J’aime faire ma sélection chez moi et imaginer la soirée. Mon job est de faire danser les gens, mais surtout de transmettre la musique. Il y a toujours des yeux qui brillent lorsque je montre mes vinyles aux gens, surtout aux jeunes ».

À l’exemple du label Yotanka, le label Kythibong privilégie également le vinyle, même si le CD est encore produit en quantité. « On produit pas mal de CD, car c’est ce qu’on utilise pour la promotion des artistes ». Valorisé par les artistes, le vinyle semblent séduire tous les genres musicaux, bien que certains genres ont un lien particulier avec ce support, comme l’explique Chloé Nataf. « Le rock indépendant a toujours eu un lien fort avec le vinyle ». Rock. Hip-hop. Electro. Jazz. Soul. Funk. Pour Vivien Gouery du label Yotanka, ces genres ont également un lien intime avec le vinyle. « La chanson française se vend moins bien en vinyle, c’est une certitude ». Et pourtant, les majors ressortent les grands classiques de la musique en vinyle afin d’attirer un public large, explique Chloé Nataf, ce qui a des conséquences sur les labels indépendants dont les conditions de travail sont perturbées.

Les majors prêtes à tout

Conscientes du retour en force du vinyle, les grandes maisons de disques décident de sortir de plus en plus de vinyles, en rééditant de grands classiques par exemple. Stratégie purement économique, les majors utilisent leur puissance afin de monopoliser les usines de pressage, au détriment des labels indépendants qui ne font pas le poids face à cette hégémonie. La priorité est donc de rééditer des classiques plutôt que d’éditer des disques indépendants.

Les majors utilisent leur puissance afin de monopoliser les usines de pressage

Cette réalité a des conséquences sur la production indépendante. Délais interminables. Et coûts exorbitants. Faire du vinyle lorsqu’on est un label indépendant est devenu le parcours musical du combattant. « La fabrication est compliquée, il y a de plus en plus de demandes et c’est plus cher à fabriquer qu’un CD. Je constate une certaine évolution des tarifs », confie Mric du label Kythibong. Même si la chaîne de production reste la même pour le CD comme pour le vinyle, les tarifs ne sont eux pas les mêmes, affirme le label Yolk. « Pour trois cents vinyles, nous en avons eu pour 1 600€, donc 5,50€ un vinyle. Pour le CD nous en avons eu pour 1 400€ les deux milles CD. Soit environ 1€ l’exemplaire. C’est une différence à prendre en compte. Pour produire des vinyles, il faut compter environ trois mois, surtout si la demande est forte, alors que pour le CD, le délai n’est seulement que d’une dizaine de jours ». La grande différence entre les coûts de production du vinyle et du CD, Chloé Nataf la constate également. « L’amortissement du vinyle est compliqué car c’est beaucoup plus cher à fabriquer. Le CD revient à environ 1€, le vinyle à environ 4€ si on s’y prend à l’avance ».

Il faut parfois attendre trois, voire quatre mois pour fabriquer ses vinyles

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« Les majors ont la primauté dans les commandes, car ils demandent une production plus importante, ce qui est intéressant pour les usines »
« Les majors ont la primauté dans les commandes, car ils demandent une production plus importante, ce qui est intéressant pour les usines »

Marie Bolleyn

S’y prendre à l’avance ? Chose difficile avec le monopole des majors dans les usines de pressage. « Il faut parfois attendre trois, voire quatre mois pour fabriquer ses vinyles », constate Chloé Nataf. Les délais sont encore plus longs durant les mois précédents le Disquaire Day, car les majors ressortent tous les classiques à l’occasion de l’événement. Les usines sont donc, à cette période, encore plus débordées. Il y a une quinzaine d’années, le CD était encore tendance et faire du vinyle n’intéressait pas les majors. Conséquence, les usines de pressage ont énormément diminué, devenant de plus en plus rares. « Les majors ont la primauté dans les commandes, car ils demandent une production plus importante, ce qui est intéressant pour les usines », affirme Chloé Nataf. Triste réalité, l’argent et la puissance dominent le monde de la musique et s’attaquent au vinyle.

Vivien Gouery du label Yotanka reste optimiste quant à la fidélité du public envers les artistes. « Si les acheteurs doivent rajouter 1€ de plus sur le prix du vinyle, je pense que ça ne changera rien pour eux. Nous avec 1€ de plus pour chaque exemplaire, on va pouvoir faire plus de choses et résister face aux majors ». Car de l’espoir, il en faut. Il est encore difficile d’affirmer quels seront les dommages subis par les labels indépendants et leurs artistes dans l’avenir. Alors que les labels indépendants considère le vinyle comme étant le meilleur format pour diffuser et partager sa musique, les majors, elles, voient dans le vinyle une nouvelle manière de faire du business.

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Ne pas se faire manger

Jeune journaliste passionnée par les voyages, la photo et le vintage, Manon s'intéresse dans son dossier numérique aux mutations de la société 2.0 dans notre quotidien.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017