• "Le numérique a vraiment aidé la pornographie, car ça l’a démocratisée et ça l’a rendue normale."
15 juillet 2016

Le conseil aux clients, dernier rempart des sex-shops face au porno version numérique ?

Accessible en quelques clics, la pornographie a envahi le web avec l’arrivée du numérique. Cette révolution a démocratisé la pornographie, la rendant ainsi plus accessible et libérant les mœurs. Mais qu’en est-il pour les sex-shops concurrencés par Internet ? Fragil est allé à la rencontre de ces vendeurs atypiques afin de constater les effets du numérique sur ces fameuses boutiques.

Le conseil aux clients, dernier rempart des sex-shops face au porno version numérique ?

15 Juil 2016

Accessible en quelques clics, la pornographie a envahi le web avec l’arrivée du numérique. Cette révolution a démocratisé la pornographie, la rendant ainsi plus accessible et libérant les mœurs. Mais qu’en est-il pour les sex-shops concurrencés par Internet ? Fragil est allé à la rencontre de ces vendeurs atypiques afin de constater les effets du numérique sur ces fameuses boutiques.

La révolution numérique a touché de nombreux domaines, y compris celui de la pornographie. Disponible à outrance sur le web, la pornographie est désormais accessible et consommable sur les smartphones, les tablettes et les ordinateurs, et cela gratuitement. Finis l’abonnement onéreux et le fameux film X sur Canal+. Aujourd’hui, il suffit simplement d’avoir une connexion Internet. Le numérique s’est imposé dans la pornographie et l’industrie du sexe. Cette omniprésence du numérique dans la pornographie a permis de démocratiser cette pratique, longtemps taboue, mais elle a également un impact sur les sex-shops, boutiques atypiques où le célèbre petit canard se vend comme des petits pains.

Finis l’abonnement onéreux et le fameux film X sur Canal+

Démocratisation de la pornographie

Changement de comportements. Libération des mœurs. C’est inéluctable, le numérique a changé la donne de la consommation de la pornographie. « En bientôt dix ans en tant que vendeuse dans un sex-shop, j’ai remarqué une évolution de la clientèle qui est grandissante, épanouie et libérée », constate une employée. « Le numérique a vraiment aidé la pornographie, car ça l’a démocratisée et ça l’a rendue normale. Ce n’est pas parce que l’on achète des sex-toys ou des DVD porno que l’on est un gros vicieux ou un pervers. Tout le monde a une sexualité et des fantasmes ». Plus naturelle, c’est l’image de la pornographie en régime numérique. C’est du moins le principal constat que fait cette employée de sex-shop. « On a chacun sa manière de voir les choses. Certains seront toujours choqués par exemple devant un canard qui est pourtant tout mignon. Cela reste propre à chacun. Tout dépend de la mentalité et de l’éducation ».

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En dix ans, le numérique a démocratisé la pornographie, impactant ainsi la consommation et la clientèle des sexshops
En dix ans, le numérique a démocratisé la pornographie, impactant ainsi la consommation et la clientèle des sexshops

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Sites de ventes, plateforme de téléchargement et de streaming font concurrence aux sex-shops dont le commerce des DVD est en déchéance. Malgré cet impact négatif sur l’industrie du sexe, l’employée de la boutique constate une évolution de la clientèle qu’il ne faut pas négliger. « Une des nouveautés que je constate avec le numérique c’est l’évolution de l’âge de notre clientèle. On a vraiment la même fréquentation qu’un supermarché. La seule différence, c’est que les mineurs ne sont pas autorisés à venir chez nous. Au niveau de la catégorie socioprofessionnelle, on a de tout sauf que les gens ne viennent pas pour les mêmes raisons », affirme l’employée. Pour l’employée du sex-shop, le numérique est donc loin de n’avoir que des effets négatifs sur leur commerce. La vendeuse estime même que c’est une très bonne chose et que le sexe s’est enfin démocratisé. « À long terme, peut-être que les sex-shops finiront par disparaître, tout est possible avec les évolutions de notre société. Mais on ne pourra rien faire pour empêcher les changements qui vont en découler ».

On a vraiment la même fréquentation qu’un supermarché

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Attachés à l’échange client/vendeur, les consommateurs préfèrent être conseillés plutôt que d’acheter n’importe quoi sur le net, surtout quand ils n’y connaissent rien ou presque rien.
Attachés à l’échange client/vendeur, les consommateurs préfèrent être conseillés plutôt que d’acheter n’importe quoi sur le net, surtout quand ils n’y connaissent rien ou presque rien.

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Dans d’autres sex-shops de la région nantaise, le constat est le même depuis une dizaine d’années. « Le numérique est une concurrence certes, mais c’est une bonne concurrence », estime un vendeur employé dans un sex-shop qui voit dans le numérique une manière de relancer le commerce du sexe à travers ces boutiques. « Bien sûr, on a ressenti une perte de la clientèle avec le numérique, mais on a tout de même gagné un nouveau public, plus curieux et amateur », explique le vendeur qui ne perd pas espoir en l’avenir des sex-shops. L’accès à différents sites consacrés à la vente de sex-toys, de DVD et de lingerie permet aux consommateurs d’acheter en toute simplicité et discrétion comme le rappelle le vendeur qui estime que cela à eu des effets sur sa boutique, surtout sur la vente d’accessoires. « C’est plus simple de commander et de recevoir sa commande chez soi de manière très discrète. Les gens n’ont plus besoin d’entrer dans un sex-shop et n’ont donc plus peur de se faire voir et juger », explique le vendeur, surpris par la réaction des personnes qui ont acheté sur le net. « J’ai discuté avec beaucoup de clients qui après avoir acheté sur la toile, reviennent en boutique malgré que ce soit moins discret. Ils reviennent car ils sont déçus de leurs achats et surtout du service. Ils ne voient pas l’objet et ils se trompent souvent sur la qualité des produits », explique le vendeur qui préfère être honnête avec ses clients sur la qualité des produits vendus en boutique. Attachés à l’échange client/vendeur, les consommateurs préfèrent être conseillés plutôt que d’acheter n’importe quoi sur le net, surtout quand ils n’y connaissent rien ou presque rien. Le vendeur en est certain, le numérique a fait émerger de nouveaux besoins et donc de nouvelles demandes des consommateurs qui nécessitent un contact humain.« On s’est adaptés aux changements, c’est une concurrence normale après tout. L’évolution est logique », explique le vendeur.

L’intérêt des consommateurs pour la pornographie n’a pas changé, les gens se sont simplement plus ouverts grâce au numérique. « Les clients se sont ouverts à tous les produits, car cela leur fait moins peur et cela fait moins vicieux. L’image du client s’améliore avec la démocratisation de la pornographie. Les gens viennent plus facilement aujourd’hui dans les sex-shops ». Autre évolution majeure de la clientèle que constate la vendeuse en presque dix ans, c’est la fréquentation des femmes de plus en plus forte au fil des ans. Bien que leur consommation soit différente de celle des hommes, les femmes achètent beaucoup plus. « Les sex-shops deviennent de plus en plus des boutiques érotiques. Quand j’ai commencé, on ne vendait presque pas de lingerie, on en avait très peu dans la boutique. Aujourd’hui, ce domaine représente une bonne partie du magasin et se vend très bien. Le magasin a du s’adapter aux évolutions  », affirme la vendeuse.

Après avoir acheté sur la toile, les gens reviennent en boutique

S’adapter à l’évolution des mœurs, tel est l’enjeu actuel des sex-shops. Venant de plus en plus, les femmes ont de nouvelles demandes et représentent une partie importante de la clientèle. Bien que les hommes soient encore plus nombreux que les femmes à acheter en sex-shop, les femmes elles viennent moins souvent en terme de fréquence, mais achètent beaucoup plus. « Elles sont curieuses, c’est comme si elles faisaient du shopping comme dans n’importe quel magasin. Quand elles voient qu’il y a une vendeuse, elles se sentent tout de suite plus à l’aise. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai été embauchée. Les hommes, eux, ça ne change pas leur consommation. », explique la vendeuse.

Résistance des sexshops

Le contact humain présent dans les sex-shops semble faire la différence avec la consommation numérique, mais cet argument ne concerne pas la vente de DVD. Moins chers voire totalement gratuits sur le net, les films se vendent de moins en moins en sex-shops, comme l’affirme l’employée d’une boutique qui estime que depuis deux ans environ, la vente de DVD porno a énormément chuté. « Cette baisse des ventes concerne principalement les DVD dont le prix est très élevé », explique la vendeuse.

Depuis deux ans environ la vente de DVD porno a énormément chuté

Très attentifs à leur consommation et à leur budget, la plupart des consommateurs préfèrent se tourner vers des films gratuits sur le net plutôt que d’acheter un DVD, car ce n’est pas une consommation nécessaire. « Les gens n’hésitent pas à télécharger illégalement, car c’est très simple à trouver. Mais sur le net, on ne trouve pas de films entiers. Il y a énormément de scènes tirées de films et ce n’est pas ce que recherchent les collectionneurs », explique l’employé du sexshop. Car les collectionneurs, eux, sont encore très attachés à la ligne directrice du film, à une actrice ou à un réalisateur en particulier et aiment acheter le film en entier, ce qui ne se trouve pas sur le net malgré la multitude de scènes accessibles en quelques clics.

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« Il y a de moins en moins de collectionneurs. Aujourd’hui nous vivons dans une société de consommation de masse où même la pornographie est touchée : regarder deux ou trois scènes est plus simple que d’acheter un film entier. De nos jours, on veut consommer rapidement », explique l’employé. Collectionneurs attachés aux films ou simples clients qui ne maîtrisent pas Internet voire qui ne possèdent pas du tout le net chez eux sont les acheteurs des DVD porno dans les sex-shops. « La plupart ont 50 ans et restent attachés au support du DVD pour diverses raisons. Certains se mettent peu à peu au net. Les jeunes eux le connaissent par cœur, donc on peut supposer que dans l’avenir le DVD porno va finir par disparaître totalement », affirme l’employée du sex-shop.

Il y a dix ans, 95% de la clientèle était des hommes, aujourd’hui ils représentent 65% de la clientèle

Si le DVD est amené à disparaître, le contact humain,  lui, semble persister, faisant du sex-shop le meilleur endroit pour consommer. « Les gens ont encore besoin d’être informés et d’être rassurés. C’est très long pour faire évoluer les mentalités et pour l’instant le sex-shop a encore de beaux jours devant lui », se réjouit l’employé de la boutique, avant de nuancer. « À long terme les mentalités vont évoluer et les gens finiront par connaître parfaitement ce qu’on vend, car il n’y a pas beaucoup d’innovation dans l’industrie du sexe. Donc oui un jour les clients n’auront plus besoin de nous et pourront acheter sur le net en parfaite connaissance ». Touchées par la révolution numérique, certaines boutiques n’ont d’ailleurs pas résisté et se sont vues dans l’obligation de fermer, peut-être en raison de l’absence d’un conseil personnalisé, comme le pense l’employé interrogé.

En dix ans, le numérique a démocratisé la pornographie, impactant ainsi la consommation et la clientèle des sex-shops. Mais cette révolution a également généré des changements encourageants, selon l’employé de sex-shop. « Il y a dix ans, 95% de la clientèle étaient des hommes de 50 ans environ. Ces dernières années, les hommes ne représentent plus que 65% de notre clientèle. C’est une très bonne chose que les femmes viennent de plus en plus, ainsi que les jeunes dont la mentalité est beaucoup plus ouverte et libérée ». Le numérique a peut-être annoncé la fin des sex-shops à long terme, mais pour le moment, il influe sur la composition de leur clientèle et contribue à effacer les tabous liés au sexe.

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Yas

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Jeune journaliste passionnée par les voyages, la photo et le vintage, Manon s'intéresse dans son dossier numérique aux mutations de la société 2.0 dans notre quotidien.

L'édito

Touche pas à mon info !

L’investigation vit-elle ses derniers mois sur l’audiovisuel public en France ? Contraints par une réduction budgétaire de 50 millions d’euros en 2018 par rapport au contrat d’objectifs et de moyens conclu avec l’ancien gouvernement, les magazines « Envoyé Spécial » et « Complément d’enquête » verront leurs effectifs drastiquement diminués et une réduction du temps de diffusion au point de ne plus pouvoir assurer correctement leur mission d’information. Depuis l’annonce, les soutiens s’accumulent, notamment sur Twitter avec le hashtag #Touchepasàmoninfo, pour tenter de peser sur les décisions de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, déjà visée par une motion de défiance. L’association Fragil, défenseur d’une information indépendante et sociétale, se joint à ce mouvement de soutien.

Après la directive adoptée par le Parlement européen portant sur le secret des affaires en avril 2016, il s’agit d’un nouveau coup porté à l’investigation journalistique en France. Scandales de la dépakine, du levothyrox, du coton ouzbek (pour ne citer qu’eux), reportages en France ou à l’étranger sur des théâtres de guerre, à la découverte de cultures et de civilisations sont autant de sujets considérés d’utilité publique. Cela prend du temps et cela coûte évidemment de l’argent. Mais il s’agit bien d’éveiller les consciences, de susciter l’interrogation, l’émerveillement, l’étonnement ou l’indignation. Sortir des carcans d’une société de consommation en portant la contradiction, faire la lumière sur des pratiques, des actes que des citoyens pensaient impensables mais bien réels. Telle est « la première priorité du service public », comme le considère Yannick Letranchant, directeur de l’information.

En conclusion, nous ne pouvions passer à côté d’une citation d’Albert Londres ô combien au goût du jour, prix éponyme que des journalistes d' »Envoyé Spécial » ont déjà remporté : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »


Valentin Gaborieau – Décembre 2017